Que diriez-vous d’une promenade touristique en France avant l’invention des congés payés ? C’est ce que propose Jean-Didier Urbain dans son livre « Un tour de France en affiches » à partir d’un choix d’affiches signées de grands illustrateurs de l’époque (Alfons Mucha, F. Hugo d’Alési, Géo Dorival, Constant Duval, Charles-Jean Hallo ou Roger Broders) et de photographies anciennes de vacances. Stations balnéaires, stations de ski, châteaux, édifices religieux, villes thermales… c’est toute la richesse et la diversité de la France et de ses régions qui nous est offerte ici.
Pour évoquer le livre à commander aux éditions La Martinière, nous avons interrogé Jean-Didier Urbain
Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?
Jean-Didier Urbain : Je suis Professeur émérite à la Sorbonne/Paris Cité (ex-Paris Descartes, Faculté des Sciences Humaines et Sociales). Enseignant-chercheur en Sciences du Langage, linguistique et sémiologie, mon enseignement est particulièrement tourné vers l’analyse de l’image fixe (peinture, publicité, BD, caricature, etc.) et son rapport au texte. Par ailleurs docteur en anthropologie sociale et culturelle, j’utilise les méthodes des SDL pour développer une approche anthropologique et historiques des mobilités professionnelles ou de loisir et leurs imaginaires, dont les mobilités liées aux vacances, au tourisme et à la villégiature.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer dans ce travail de récupération, et de présentations d’affiches et de contenus, sous la forme d’un grand tour de France ?
Jean-Didier Urbain : Ce qui m’a motivé pour me lancer dans ce travail, c’était en quelque sorte de fournir en contrepoint des textes que j’ai écrits sur le sujet – notamment « L’idiot du voyage », « Sur la plage » et « Au Soleil » – sa bande image (comme on parle de bande son pour un film), histoire de visualiser la réalité rêvée des pratiques touristiques et balnéaires des commencements jusqu’à l’orée du Front Populaire. Vous remarquerez que les affiches retenues, à quelques rares exceptions, se situent toutes dans une période qui va globalement des années 1880 à 1935. Une exception? La publicité de Robert Falcucci pour Juan les Pins, qui date de 1937 et annonce déjà ce qu’on a nommé le « polynésiannisme », avec le Club Méditerranée bien plus tard, au début des années 1950.
Breizh-info.com : On oublie souvent, dans une société de la publicité outrancière comme celle dans laquelle nous sommes aujourd’hui, qu’il y a encore un siècle, ces affiches n’étaient pas si nombreuses que cela. Comment est-ce qu’on les produisait ? Les mettait on en page ? Et quels étaient leurs impacts sur les populations locales ?
Jean-Didier Urbain : Certes, les publicités n’étaient pas si nombreuses qu’aujourd’hui – et les (multi)médias pour les supporter non plus d’ailleurs – ce « détail » ne vous aura pas échappé. A l’époque que j’évoque, les supports sont essentiellement les magazines (style l’Illustration), la rue, les gares, les agences de voyage et les syndicats d’initiatives. Pour ce qui est des affiches elles-mêmes, même si l’on convoquait de grands artistes pour les concevoir (de Mucha à Vasarely), leur production n’étaient déjà plus artisanale, suite notamment à d’importantes commandes des diverses compagnies de chemin de fer privées qui existaient alors (la SNCF ne sera créée qu’en 1938), lesquelles poussèrent l’art de l’affiche vers une imprimerie industrielle. Quant à l’impact de ces affiches sur les populations locales, l’impact n’était pas médiatique mais économique. Elle attira le visiteur et développa l’économie locale. Qu’on cesse ici, entre « publiphobie » rétrospective (au nom des excès actuels) et « tourismophobie » bon teint (qui fait du touriste un « envahisseur…), de dénigrer ce phénomène, dont le solde humain, social et économique est de loin positif.
Breizh-info.com : Quels étaient les principaux thèmes d’époque pour attirer le touriste, notamment sur les stations balnéaires ?
Jean-Didier Urbain : Les principaux thèmes d’époque pour attirer le visiteur était encore pour l’heure assez conforme à un modèle classique du voyage, thérapeutique et sanitaire, d’une part ; culturel et pédagogique, d’autre part. Les stations balnéaires, qui ne relèvent pas du tourisme mais bien de la villégiature, proposèrent des soins, des remèdes (en concurrence directe avec la thérapie thermale de l’intérieur) et des jeux. Les casinos fleurirent alors sur tout le littoral, de Deauville à Biarritz et de Royan à Monaco, équilibrant un système de loisir entre soins médicaux et plaisirs du divertissement. Les thèmes? Santé et plaisir. La découverte de l’Autre vient après. Désolé…
Breizh-info.com : Ces campagnes de communication ont-elles contribué à développer le tourisme en France, et notamment certains lieux qui, aujourd’hui encore, sont particulièrement prisés par les touristes qui viennent même…y habiter ?
Jean-Didier Urbain : Ces campagnes de communication ont bien sûr contribué à développer le tourisme en France et, même, bien plus que cela, elles ont contribué à l’inventer et le produire. Par les affiches et leur publicité ce sont des singularités régionales qui se sont constituées. Non pas seulement révélées ou exprimées mais proprement construites. Cristallisées. Devenant ainsi des attractions du fait de leurs différences « affichées ». Du fait de leurs spécificités, de leurs caractères et de leurs traditions. C’est que l’on appelait le « pittoresque » jadis et une « identité » aujourd’hui. Pour cet aspect construit des choses, voir le remarquable ouvrage de Catherine Bertho Lavenir, cité dans la bibliographie sélective à la fin de mon ouvrage.
Breizh-info.com : Pour la Bretagne, pouvez vous nous parler du tourisme à la fin du 19ème siècle…on pense tout de suite à Dinard, ou à La Baule, représentés dans votre livre ?
Jean-Didier Urbain : Pour ce qui est de la Bretagne en particulier, rien de particulier en l’occurrence. Elle est entrée comme les autres dans le marché du tourisme et des séjours d’agrément au prorata des progrès du réseau ferroviaire Français, qui dépasse les 18000 km en décembre 1869. Dinard se fait une réputation touristique internationale, connectée au réseau en 1864, dès la fin du Second Empire. On notera toutefois, à travers même sa représentation publicitaire, que la presqu’île armoricaine ne se réduit pas à ses attractions littorales et sanitaires. Son folklore, sa culture, ses traditions prennent une place importante dans sa valorisation touristique, opposant ainsi à la villégiature balnéaire périphérique l’horizon complémentaire d’un tourisme culturel intérieur invitant à la découverte plus « immersive » d’un patrimoine vivant, qui résiste au seul attrait des divertissements littoraux.
Breizh-info.com : Le mot de la fin ?
Jean-Didier Urbain : Le tourisme n’est certes pas la pire des choses. Ce que cherche à mettre en évidence cet ouvrage, c’est aussi que le développement de la mobilité touristique – avec cette révolution des transports que fut le train au 19ème siècle, et la publicité encourageant son usage et
l’intérêt de ses destinations – a contribué à faire prendre conscience d’une diversité des régions et des cultures régionales, autrement dit à initier tout un chacun à la variété du monde et son respect. A cet égard, le tourisme a été et est encore (à l’exception bien sûr de ses formes « massives » les plus odieuses) un vecteur pédagogique à même d’apprendre à tous, par son expérience même, la relativité des choses, des hommes, du monde…
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