Il y a 20 ans sortait l’anthologie de la littérature bretonne par Francis Favereau. Nous trichons un peu car les 4 tomes qui composent cette somme s’étalent sur plusieurs décennies, cependant celle qui nous intéresse ici est le tome 2. Les écrivains bretons entre 1919 et 1944. Gwalarn, Dihunamb, … L’âge d’or !
Ce livre est un chef d’oeuvre ! Il faut essayer de le lire en breton. Je dis bien essayer car le breton de Francis Favereau est foisonnant. Exubérant. Agaçant. Attachant. Passant du vannetais au léonard, au roazhoneg, au poulaouenneg, au faveroeg aussi sûrement. Tout apprenant doit donc le lire, mais un dictionnaire à la main, une grammaire dans l’autre et le numéro d’un pote plus calé dans la troisième. Le breton de Faverau diffère beaucoup du breton appris en cours du soir. Mais, en même temps, il recèle en lui les saveurs de la langue populaire. Brezhoneg ar bobl ! Brezhoneg badum ! L’intérêt de cette anthologie ne réside cependant pas uniquement dans la qualité de la langue employée. Le contenu y est remarquable. Documenté. Trésors de notre littérature. Beaucoup d’éléments viennent des anthologies précédentes, celles de Raoul et d’Abeozen, notamment. Bien entendu. Favereau a cependant su les compiler. Et les enrichir. A merveille !
Mais là où l’on peut ressentir un certain embarras, c’est en découvrant page après page l’obsession de Francis Favereau: la dénonciation du fascisme, du nazisme, du racisme. Ah ? Formidable Francis Favereau qui, dans une « anthologie de la littérature bretonne » des années 20 aux années 40, trouve le moyen de parler essentiellement du positionnement de chaque auteur sur la question des discriminations. Anti-Noirs et anti-Arabes bien entendu. Un peu les Juifs aussi. Incroyable ! Deux décennies après SOS Racisme, Francis Favereau rejouait donc en 2003 « Touche pas à mon pote » en combattant des skinheads d’avant-guerre morts depuis 20 ou 30 piges ! Aujourd’hui, si le même ouvrage sortait, ce serait quoi le thème sous-jacent ? Fureter dans les textes d’Ivon Krog pour voir ce qu’il pensait des transgenres et dans ceux de l’abbé Perrot pour connaître son positionnement sur les queers non-binaires ?
J’avoue avoir parfois ri en lisant les petites allusions de Favereau. Allusions au « racisme » décortiqué de certains auteurs. Toutes les deux pages, on y a le droit ! Si Francis Favereau était spécialiste de l’acier trempé, il trouverait le moyen de parler du racisme dans une anthologie des fonderies néerlandaises au XVIIIè siècle ! L’antifascisme rend dingue, en fait.
Ah oui, mais il faut se souvenir, 2003 l’année de parution de ce deuxième tome, la Bretagne était encore toute engluée dans les polémiques déclenchées par Françoise Morvan. « Le monde comme si ». Le procès posthume de Roparz Hemon. Kristian Hamon, Ronan Calvez, tous ces courageux résistants qui ont combattu l’Allemagne nazie 60 ans après sa défaite. Oui ! Voilà pourquoi ! Clins d’oeil !
A chaque page donc, Francis Favereau nous fait entendre sa petite musique indignée. « Indignez-vous ! » Toute en subtilité parfois. Exemple avec Jules Gros. Le Trégorrois était un bretonnant authentique MAIS sur les huit textes présentés par Francis Favereau, il y en a un où se font jour quelques phrases malheureuses sur les « arabes, anamites et orientaux ». Pôs bien ! C’est vrai qu’à l’époque, ce genre de regard sur les populations lointaines n’était pas monnaie courante. Non, non. Ensuite ce sont les curés autour de Feiz Ha Breiz de qui on ressort des écrits tendancieux sur les Juifs. Puis Loeiz Herrieu qui dans « Ur vosen Neue » n’est pas vraiment antifa. Ah bah, Roparz Hemon n’en parlons pas ! L’essentiel de l’analyse de son œuvre tournant autour de la question des ses relations avec les officiers allemands, sans oublier son regard sur « les personnes noires ». Il fallait bien trouver une petite allusion vacharde sur les « racisés » et Francis l’a trouvé ! Et puis toujours cette guerre de 40 que Favereau a bien connu et dont il a tant souffert ! Et où il a été résistant. Avec Françoise Morvan. Dans le maquis de Poullaouen.
Le plus drôle de l’analyse de l’oeuvre de Roparz Hemon par Feufeu c’est quand cui-ci souligne l’excellente traduction d’un poème de… Omar Khayyam par le créateur de Gwalarn ! Roparz Hemon a traduit des centaines d’oeuvres, mais Francis Favereau, tout frétillant d’amour pour l’Exotique, n’en a retenu que celle, mineur, d’un écrivain arabe. Parce que les Arabes, ils sont toujours mieux que nous. Toujours mieux que tout ! Et Francis Favereau veut nous faire savoir qu’il lit les écrivains arabes. Car lui « il est anti-raciste » !
En fait, là où l’oeuvre de Francis Favereau nous interpelle c’est quand elle est mise en perspective avec la situation de la Bretagne et de la France telle que nous connaissons aujourd’hui. Parue en 2003, cette anthologie a vraisemblablement été écrite avant. Voir avant 2001, l’année de l’attentat du World Trade Center qui « lança » le terrorisme musulman de masse. Or depuis le 11 septembre 2001, c’est à dire depuis plus de 20 ans, le terrorisme musulman (à dominante arabe donc) a fait des centaines de milliers de victimes à travers le monde et, en réaction, l’extrême-droite n’a cessé de monter jusqu’à être aux portes du pouvoir en France. En fait, depuis 2001, la situation migratoire, religieuse s’est considérablement dégradée. Et les sociétés française et bretonne se sont retrouvées fracturées en trois camps :
– Le camp de la Gauche sociétale qui pense que toute la condition humaine tourne autour du décolonialisme, des LGBT, du féminisme. Bref, du « trou du cul », du « clitoris » et de la « race ». Ce camp représente 5% de la population.
– Le camp de ceux qui s’inquiètent du Grand Remplacement et du Grand Déclassement et qui vont voter Marine Zemmour et satellites. Ce camp représente, en gros, 47,5% de la population
– Et le camp de ceux qui pensent que ça va bien tenir comme ça un moment et que la mondialisation, l’immigration et tutti quanti, c’est cool. Ceux-ci voteront Macron et satellites. Ce camp représente lui aussi 47,5% de la population.
Les petites accusations et la petite obsession de Francis Favereau pour savoir ce que des personnes nées au XIXè siècle, pensaient des « Arabes et des Noirs », ce « décolonialisme avant l’heure » est donc devenu totalement marginal dans la société. Même si ces gens-là font beaucoup de bruit avec leur bouche, ils ne représentent que les Rousseauistes du Hall B de la fac de Rennes II, c’est à dire 50 gamins aux cheveux bleus. Dont la plupart sont d’ailleurs arrivé tellement loin dans l’intersectionnalité islamo-queer qu’ils détestent au moins autant les Juifs (rebaptisés « sionistes ») que les « Nazis » du Breiz Atao de jadis dénoncé par Favereau.
On juge une œuvre et un courant de pensée à la persistance qu’ils auront eu à travers les âges et à leur pertinence par rapport au temps présent. L’oeuvre de Francis Favereau, du moins le tome 2 de son anthologie, aura, on l’aura compris, mal vieilli en ce qui concerne les idées. Terriblement mal. Un peu comme quand on réécoute aujourd’hui les Béruriers Noirs chantant dans « Porcherie » : « plus jamais de 20% » (en parlant des voix pour le Front national). Si ces jeunes gens savaient où en était arrivé le Front national de nos jours. Et combien de ces « keupons » des années 80 sont des prolos déclassés qui votent RN maintenant ?
Le monde a changé. La société a changé. La « menace fasciste » pour nos libertés n’a désormais plus une petite moustache mais une longue barbe, mais le petit monde des militants du breton n’a, quant à lui, pas changé. Gauchiste à bloc. Gauchiste il y a 20 ans. Toujours gauchiste aujourd’hui. Pas de gauche, non rien à voir, mais gauchiste. La maladie infantile et sénile de la gauche.
Pourtant, nous devons suivre le conseil de Francis Favereau qui, en parlant de Roparz Hemon, propose de « séparer l’homme de l’oeuvre » (débat toujours actuel). Faisons la même chose pour l’oeuvre de monsieur Favereau. Séparons l’oeuvre, magistrale de sa cancel culture avant l’heure. Séparons l’oeuvre de cet anti-fascisme ô combien naïf qui tout occupé à fusiller les fantômes d’une guerre de jadis, ne veut absolument pas voir les totalitarismes d’aujourd’hui.
Anne-Sophie Hamon
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Une réponse à “Il y a 20 ans sortait « l’anthologie de la littérature bretonne » par Favereau. Oui mais… [l’Agora]”
Excellent ! Et en même temps consternant : à force d’avoir une guerre de retard, de lancer au 21e siècle des anathèmes confortables contre un monde de la première moitié du 20e siècle (donner la bonne réponse est plus facile quand on a déjà le corrigé), ce qu’on appelait naguère le « mouvement breton » s’est terriblement rabougri. Il a dézingué ses gloires d’autrefois sans en faire naître de nouvelles. Il devrait être aujourd’hui à l’avant-garde du mouvement identitaire dont Marine Le Pen et Eric Zemmour sont les témoins les plus notables, et il devrait être porté par ce mouvement. Or, au contraire, il fait de son mieux pour pousser ce mouvement vers le jacobinisme. Il rate le rendez-vous historique de ce siècle. Contrairement à Breiz Atao ou à Roparz Hemon, personne ne s’indignera de ses positions dans un demi-siècle : il n’aura simplement pas existé.