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Aliette Armel nous parle de son nouveau livre : La Bretagne, terre de sacré [Interview]

Interview d’Aliette Armel pour son livre La Bretagne, terre de sacré à paraitre début avril aux éditions Desclée de Brouwer et dont voici la présentation de l’éditeur ci-dessous :
Terre sculptée par les éléments, la Bretagne est une presqu’île singulière et attachante. Du cairn de Barnenez à Brocéliande, de la Vallée des Saints aux enclos paroissiaux, des cathédrales aux humbles chapelles, le sens du sacré s’y manifeste depuis la préhistoire. Coutumes celtiques, rituels druidiques, mythes de la Table Ronde imprègnent sa culture
tout autant que les récits invoquant ses saints fondateurs : la Bretagne a donné une figure originale au christianisme qui l’a forgée en profondeur.
Sur le sentier des douaniers ou au coeur de la forêt, Aliette Armel nous invite à explorer des lieux connus, mais aussi plus secrets. Ses sens sont en éveil, attentifs aux signes d’une
autre dimension de l’univers, à laquelle font écho les mots des poètes. Elle nous transmet les dernières découvertes sur la civilisation de Carnac, elle nous entraîne sur l’estran, vers
l’île du moine Maudez.
Elle nous conduit au sommet du Menez Bré, mais aussi sur les pas de Tristan et Yseut, ou auprès des bénédictins de Landévennec… Une promenade personnelle sur une terre puissamment authentique, aussi exigeante que généreuse.
Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Aliette Armel : Depuis l’enfance, je pratique quotidiennement la lecture et l’écriture. Je suis historienne de formation. J’ai dédié ma vie professionnelle à la diffusion culturelle, à la critique littéraire et à la publication de romans et d’essais. Parvenue à l’âge de la transmission, je persiste à vivre en lisant, en écrivant, en animant des ateliers d’écriture, et en arpentant les sentiers bretons, particulièrement ceux du Trégor où ma famille est implantée depuis de nombreuses générations.
Breizh-info.com : Avec Bretagne, terre de sacré, qu’avez-vous souhaité apporter de plus qui n’est déjà été écrit au sujet du sacré en Bretagne ?
Aliette Armel : Je convie le lecteur à m’accompagner dans mes promenades dans les bois, en bord de mer ou au milieu de l’estran et à découvrir des sites célèbres, qu’il connaît déjà, mais aussi d’autres, plus secrets. En utilisant ma formation d’historienne, je dévide le fil qui, en Bretagne, des tous premiers temps de la planète jusqu’à notre époque contemporaine en quête de sens, tisse une relation avec le sacré prenant des formes diverses et peu communes. Elle s’exprime tout autant dans le respect d’un if planté devant une chapelle millénaire, dans les légendes des saints chantées dans les gwerz que dans le rappel de rituels magiques au bord d’une fontaine. Je vais aussi à la rencontre d’un moine-poète à l’abbaye de Landévennec, je mène l’enquête sur l’arrivée des saints au V° et VI° siècle, et je rêve la présence de Tristan et Iseut poursuivis par le roi Marc au cœur de la forêt de Brocéliande. À tout moment, je fais référence aux découvertes scientifiques les plus récentes qui ont révolutionné les connaissances en matière de géologie, d’archéologie, et de collecte de traditions reprenant vie dans les pardons ou les fest noz.
Breizh-info.com : Paradoxalement, alors que la foi n’a jamais été aussi faible en Bretagne aujourd’hui (les églises vides, et même fermées parfois, en témoignent), l’attrait pour le patrimoine religieux est lui important tout comme l’est (enfin l’était, avant les contraintes sanitaires) l’attirance pour les fêtes spirituelles et historiques. Comment expliquez-vous cela ?

Aliette Armel : Par le fait que l’identité de la « petite Bretagne » s’est développée autour d’un double mouvement, suscité par l’arrivée de clans familiaux venus de « grande Bretagne » au V° et VI° siècle. Religieux et chefs guerriers y jouaient un rôle complémentaire. Les moines devenus saints par acclamation populaire ont converti au catholicisme celtique ceux qui occupaient déjà ces terres. Les aristocrates ont combattu et négocié avec les rois mérovingiens. Née du contact des autochtones avec les celtes gallois ou irlandais, la langue a tracé une véritable frontière linguistique. L’intrication du politique, du religieux et de la langue est consubstantielle à la création du royaume de Bretagne. L’intérêt pour le patrimoine religieux est donc ici, beaucoup plus qu’ailleurs, vécu comme une affaire personnelle, remontant à plusieurs générations. Il s’agit de préserver la chapelle, l’église, la fontaine où se sont déroulés bien des événements familiaux, d’accomplir des marches rituelles souvent par conviction religieuse mais aussi pour renforcer son lien d’appartenance à une communauté.

Breizh-info.com : N’y-a-t-il pas le risque de voir ce patrimoine finalement relégué au rang de folklore, alors que l’église du Graal à Brocéliande, l’oratoire de St Guirec, la vallée des Saints ont été construits aussi pour interroger spirituellement ceux qui visitent ces monuments ?

Aliette Armel : La composante touristique est, certes, un élément important parmi ceux qui motivent les différents acteurs rassemblés pour la sauvegarde du patrimoine. La part à accorder à la destination touristique de ces lieux et manifestations suscite parfois des tensions à l’intérieur de ces instances, le plus souvent associatives. L’ouverture du Tro-Breiz à tous les marcheurs, croyants ou incroyants, sans obligation d’assister à la messe ni de réciter les prières est ainsi régulièrement mise en question. À la vallée des Saints, le paiement de l’entrée du parking a suscité des polémiques. Les fondateurs ont souvent du mal à faire perdurer le caractère spirituel de leurs entreprises. Mais en Bretagne, il est toujours présent !

Breizh-info.com : La Bretagne est par ailleurs une terre qui a su faire cohabiter, et même mélanger parfois, la tradition celtique et la tradition catholique, pas forcément compatibles au départ. Quelles sont vos interprétations par rapport à cela ?

Aliette Armel : L’évangélisation bretonne s’est faite à partir du V° siècle, par des moines venus d’Irlande et du Sud-Ouest de l’Angleterre qui pratiquaient le christianisme celtique. Il respectait certes l’organisation de l’église catholique et sa structuration hiérarchique en évêchés, mais sans recourir systématiquement à l’avis de l’autorité instaurée à Rome. Depuis ses origines, la communauté chrétienne implantée en Bretagne a ainsi été marquée par la complexité de ses relations avec la hiérarchie romaine. Dans des missives rédigées en latin, le métropolitain de Tours s’opposait régulièrement aux spécificités de cette Église essentiellement rurale, dont la doctrine se transmettait oralement et dans cette langue bretonne qui avait rejeté le latin sur les marges des territoires. Ce particularisme a perduré bien au-delà des premiers temps, et la hiérarchie catholique a souvent considéré la Bretagne comme une terre de mission.

Breizh-info.com : Si vous ne deviez retenir qu’un élément du sacré en Bretagne, qui vous touche particulièrement, lequel serait-ce ?

Aliette Armel : La manière dont la nature se manifeste, du lever au coucher du soleil, à travers le vent violent des tempêtes ou le calme régnant sur l’estran lorsque la mer se retire très loin, aux grandes marées, découvrant un paysage de désert ou à travers la lumière qui semble parfois surgir de l’intérieur d’un rocher de granit rose, le rendant presque incandescent. Confrontée à la grandeur et à la beauté de ces phénomènes naturels, je suis saisie par la force et le mystère d’une Présence à laquelle les hommes se relient, depuis les origines, en élevant menhirs et dolmens, en construisant cathédrales et chapelles ou en se tenant simplement debout sur une falaise dominant la grève, face à l’inconnu au-delà de l’horizon. Je relis souvent L’inconnu me dévore, un des plus beaux livres de Xavier Grall !

Breizh-info.com : D’autres projets d’écriture à venir – c’est tout de même votre quinzième livre ?
Aliette Armel : Souvent mes livres partent d’une image qui me poursuit et qu’il m’importe de clarifier. Je suis ainsi allée jusqu’au Yémen sur les traces de la reine de Saba magnifiée par les fresques de Piero della Francesca. Désormais, j’ai le désir de rester en Bretagne où tant de lieux hors du commun abritent de magnifiques personnages ayant souvent voyagé très loin.
Propos recueillis par Yann Vallerie
Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2022, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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