D’une manière assez sibylline, Vladimir Poutine a déclaré que, désormais, le paiement du pétrole et du gaz russe se ferait avec des roubles. Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères, a justifié cette décision par le gel des avoirs russes en occident. Jusqu’à présent, le dollar, monnaie dite « de réserve internationale » depuis les accords de Bretton Woods de 1944, était utilisé pour ces paiements, comme pour l’immense majorité des échanges internationaux. Cette règle s’appliquerait essentiellement aux pays jugés « inamicaux », essentiellement les USA et l’Union européenne.
Un choix « cornélien »
Ces pays clients de la Russie vont se trouver face à un dilemme. Pour les États-Unis, qui ont décrété l’embargo des produits en provenance de la Russie, à l’exception notable de l’uranium dont la ressource nationale est insuffisante, le problème ne se pose pas en raison de la faible part du marché russe dans le total de leur approvisionnement.
Pour les pays de l’Union européenne, les choses sont beaucoup plus préoccupantes. L’Allemagne, leader économique européen, est très largement dépendante du pétrole et du gaz russes. Mais elle n’est pas la seule. Le site Futura Sciences a publié une étude qui récapitule les niveaux de dépendance des pays de l’Union européenne aux importations russes. On comprend qu’un certain nombre d’entre-eux ait préféré conserver une certaine neutralité dans le conflit russo-ukrainien.
La France est dans une position moyenne. Moins dépendante du gaz, elle a cependant un besoin crucial du pétrole russe, au moins pour le futur immédiat.
Ces pays devront opter, naturellement à titre individuel, pour renoncer purement et simplement à leurs achats ou accepter le paiement en roubles. Ceci ne va pas dans le sens d’une union renforcée.
Les deux choix sont dangereux pour l’économie des pays européens
Se priver des importations russes implique dans la plupart des cas de diminuer la consommation énergétique, qu’elle soit domestique ou industrielle. Hormis le coté nécessairement impopulaire qu’entraînerait de telles mesures pour le quotidien des gens, ce n’est peut-être pas le plus grave.
Sur le plan industriel, ce serait probablement beaucoup plus dramatique. Les conséquences sur la production se traduiraient par une importante chute d’activité avec toutes les mesures sociales qui en découlent. On peut penser qu’une partie de l’opinion publique de ces pays rendrait la Russie responsable de ses malheurs mais il y a gros à parier qu’une autre partie non négligeable verrait dans les décisions de ses gouvernants la source de ces épreuves qu’ils doivent, malgré eux, subir.
D’un autre coté, accepter ce mode de paiement n’est pas sans risque non plus. Premier problème : comment se procurer des roubles en quantité suffisante ? Cette monnaie circule essentiellement en Russie, et probablement dans les pays limitrophes pour l’usage des transfrontaliers,mais on ne peut dire qu’elle très utilisée -du moins jusqu’à présent- pour les échanges internationaux.
Le rouble est contrôlée uniquement et intégralement par la Banque de Russie, et il lui appartient d’émettre ou non de la monnaie en quantité suffisante. Sur quels critères le fera-t-elle ?
Le crépuscule d’un géant ?
Depuis les accords de Bretton Woods en 1944, et plus particulièrement après le discours du 15 août 1971 de Richard Nixon mettant un terme à la convertibilité-or du dollar, la monnaie de loin la plus utilisée est le dollar américain.
Depuis plusieurs décennies, cette monnaie de double nature (domestique et internationale) a largement contribué à maintenir le leadership économique et financier mondial des États-Unis.
En tant que monnaie domestique, elle est émise et contrôlée par la Réserve fédérale (FED), qui crée de la monnaie fiduciaire en contre-partie de bons du Trésor américain, et cette monnaie doit être en quantité suffisante, puisque c’est également une monnaie internationale, pour permettre les transactions que le libre-échange et la mondialisation ont fait croître exponentiellement.
On voit tout de suite l’intérêt qu’ont les États-Unis à utiliser ce double aspect du dollar, grâce auquel ils font régler leurs déficits budgétaires par la communauté internationale.
Mais cela leur permet également, et c’est probablement un abus de droit, d’extra-territorialiser le droit américain à peu près partout dans le monde. Malheur aux entreprises internationales qui ne se soumettent pas aux diktats de la justice américaine, et qui peuvent se voir interdites d’utilisation du dollar. En France, BNP, Airbus et Alstom, entre autres, en ont fait les frais.
Une attaque directe contre le dollar
En imposant l’utilisation du rouble, la Russie attaque directement une des pièces-maîtresses de la finance anglo-saxonne, comme l’appelait le Général de Gaulle. Depuis plusieurs années, la position internationale du dollar est remise en question, notamment par les pays « émergents » mais pas uniquement. Le problème que pose le dollar à l’économie internationale, est qu’il a été émis en quantités invraisemblables depuis 2008 et la crise des « subprimes ». Tant que cette masse de monnaie émise quittait le territoire américain pour ne jamais y revenir, ces émissions ne généraient pas beaucoup d’inflation.
Afin d’éviter une faillite généralisée des banques américaines dites « systémiques », le Trésor américain a demandé à la FED de créer de la monnaie à tout va, en appelant pudiquement cela de faire du QE (quantitative easing) pour venir au secours des banquiers imprudents et trop cupides qui avaient laisser leur en-cours de prêts grimper exagérément, au détriment de leurs fonds propres, qu’ils devaient reconstituer d’urgence. Il était alors plus que jamais indispensable conserver le rôle international du dollar pour que tout ne s’écroule pas. D’aucuns se souviennent de la phrase resté célèbre de O’Connaly en 1971 : « Le dollar est notre monnaie et c’est votre problème »
Tout ceci ne pouvait se faire qu’avec un taux d’intérêt très faible, voir nul.
Mais le contexte international évolue et les « ateliers du monde », et notamment la Chine, l’Inde et la Russie » pèsent plus à présent que les USA.
Doublement gagnant
Vladimir Poutine sait naturellement tout cela et les sanctions prises par le monde occidental lui ont fourni une occasion en or pour appuyer là où cela peut faire mal. Il joue un coup qui le fait gagner sur deux tableaux à la fois. Premier effet, la remontée du rouble qui s’est beaucoup dévalué depuis l’entrée en guerre. Il suffit de voir les cours actuels des monnaies. Cela va lui permettre de davantage financer les opérations militaires. Ensuite, et c’est probablement le plus important, il va affaiblir le dollar et surtout menacer toute les économies occidentales, dont les échanges se font surtout en dollars et en euros, mais qui sont très interdépendantes. Le danger pour la zone euro vient d’une remontée des taux de la FED, afin de revaloriser le dollar, qui ferait baisser l’euro si la BCE ne suivait pas cette remontée. Et si la BCE augmente ses taux, nombre de pays de l’UE risquent le défaut et certaines banques systémiques risquent la faillite
Quoiqu’en dise le ministre des Finances Bruno Lemaire, vouloir « tuer l’économie russe » n’est peut-être pas une très bonne idée, surtout si notre propre économie se trouve largement dépendante de ce pays, et il ne faut pas trop compter avec la solidarité américaine, ou plutôt de celle de « l’État profond américain qui, probablement, va avoir « d’autres chats à fouetter ».
Jean Goychman
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5 réponses à “Pourquoi la monnaie russe peut menacer les économies européennes”
Mr Poutine et ses conseillers ne sont pas des truffes comme nos hommes politiques au pouvoir en Europe, c’ est un excellent joueur d’ échecs et il a toujours 2 voir 3 coups d’ avance, on va morfler c’ est sur !
Les russes sont des joueurs d’échecs : Ils ne mentent jamais (impossible aux échecs) et ils font toujours ce qu’ils disent (évident aux échecs car le jeu est visible).
Les américains sont des joueurs de poker : Ils mentent toujours (c’est le jeu qui veut ça), et ils pensent que le plus riche gagne toujours (il peut suivre toutes les enchères).
En outre, aux échecs, il faut anticiper le plus de coups possibles, alors qu’au poker, chaque coup est indépendant (donc raisonnement court terme).
Un texte très bien présenté, très intéressant.
Encore !!!
les européens , bons toutous des américains, continuent à sanctionner poutine qui évidemment répond, les sanctions vont nous faire très mal, mais les gouvernants s’en contrefichent ! la preuve, un seul exemple, ils nous demande de ne plus se chauffer, mais eux, le font ils?
Après la crise de 2008 ,cette nouvelle crise va achever l’œuvre de déstabilisation de la France .Macron et de ses commanditaires tapent sur le citoyen lambda , brise le système politique en imposant un conseil de défense occultant les parlementaires et en même temps détruit les supports de santé et de retraite sur lesquels repose l’équilibre de la société .Mais qui sont donc ceux qui tirent les ficelles?