Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Guerre en Ukraine. La réalité géopolitique derrière la guerre de communication

Ci-dessous un article de Pierre-Emmanuel Thomanndocteur en géopolitique, enseignant et expert sur les questions européennes et globales, qui s’efforce avec pédagogie, de nous faire comprendre, dans une série de 4 articles courts, agrémentés de cartes, riches en information, les véritables enjeux de la crise ukrainienne et les nouveaux équilibres géopolitiques mondiaux qui pourraient en découler.

Dans  la guerre de communication qui caractérise la crise actuelle, le narratif  diffusé  des Etats-Unis et du Royaume-Uni insistant sur une invasion imminente de l’Ukraine par la Russie et diffusée par les médias occidentaux restera comme l’un des campagnes de désinformation  la plus importante de 2022, car elle a pour objectif d’escamoter la réalité des enjeux géopolitiques sur les temps longs.

La réaction de la Russie, qui cherche à desserrer l’étau des crises volontairement provoquées et instrumentalisées par les Etats-Unis et leurs alliées proches de l’OTAN, s’explique aisément par l’angle géopolitique.

Les bases de l’OTAN avec des soldats américains et les éléments du bouclier anti-missile sont installées aux frontières de la Russie, tandis que les soldats russes restent cantonnés au territoire de la Russie. Cette asymétrie territoriale est à la base de la perception russe d’encerclement. La position de principe des membres de l’OTAN sur le libre choix des alliances ne contribue en rien à la sécurité européenne, car l’adhésion à l’OTAN , notamment de l’Ukraine et de la Géorgie, servirait précisément à poursuivre le refoulement territorial de la Russie, et parachever son encerclement progressif. Si les Etats-Unis ne veulent pas de traité contraignant sur cette question, c’est bien la preuve qu’ils estiment que cet élargissement pourrait avoir lieu à l’avenir dans des circonstances plus favorables, idéalement après un changement de régime en Russie, par exemple.

Pour inciter les membres de l’OTAN et les Etats-Unis à engager des négociations sérieuses et faire émerger une nouvelle architecture de sécurité qui prenne en compte ses intérêts, la Russie a fait des propositions adressées aux Etats-Unis et l’OTAN. La Russie estime qu’elle a été suffisamment patiente, et qu’il était temps de tracer ses lignes rouges face au refus des Etats atlantistes d’engager des négociations substantielles. Ces propositions, l’arrêt de l’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine et la Géorgie, mais aussi la limitation des systèmes d’armement en Europe, missiles tactiques et stratégiques sont des propositions de bon sens et correspondent aux intérêts de la France, pour un meilleur équilibre géopolitique européen et mondial. Il s’agit aussi de stopper la dérive qui consiste à faire du projet européen incarné par une Union européenne atlantiste, un instrument contre la Russie sans projet géopolitique propre, d’autant plus que la Russie ne menace pas la France.

La configuration géopolitique actuelle, visualisée sur cette carte démontre la pression que les Etats-Unis et leurs alliés proches de l’OTAN exercent sur la Russie. Cela fait plusieurs décennies, depuis la disparition de l’URSS que les Etats-Unis et l’OTAN cherchent à repousser la Russie dans ses terres continentales avec l’élargissement continu de l’OTAN, et la poursuite de l’encerclement de l’Eurasie (front européen contre la Russie et front Indo-Pacifique contre la Chine), enjeu géopolitique principal pour atteindre les objectifs suivants : afin de maintenir la suprématie des Etats-Unis dans la monde comme chefs de file d’un grand Occident, il s’agit de diminuer le rôle de la Russie et fragmenter l’Europe et l’Eurasie pour torpiller un rapprochement continental.

En effet, même si la Chine émerge comme l’adversaire majeur des Etats-Unis, la Russie reste une cible car elle persiste à promouvoir un monde multipolaire et justifie la suprématie des Etats-Unis en Europe. Un arc d’instabilité, avec le concours des Etats fronts et pivots qui servent de base arrière pour la conflictualité hybride (ingérence, soutien aux révolutions de couleur, guerre de communication, installation de bases militaires et livraisons d’armements…) est maintenu au frontières de la Russie d’où les crises en Ukraine, en Géorgie, en Biélorussie et dans le Caucase avec le soutien de la Turquie et jusque sur le territoire russe avec l’affaire Navalny. Les évènements au Kazakhstan en Asie centrale n’ont pas pu être instrumentalisés par les gouvernements atlantistes grâce à l’intervention rapide de l’OTSC.

Ni les Etats-Unis, ni les Etats-membres de l’OTAN ne souhaitent de conflit frontal avec la Russie à propos de l’Ukraine, qui n’est pas membre de l’OTAN. De plus, la Russie aurait non seulement une position géographique avantageuse lors d’un tel conflit, mais possède aussi des systèmes d’armes, dont l’arme nucléaire, qui la rend invulnérable sur son territoire et ses approches. Les Etats membres de l’OTAN sont aussi divisés et la France et l’Allemagne, au delà des déclarations d’allégeance à l’OTAN ne sont absolument pas prêts à s’engager à un conflit avec la Russie. C’est donc la conflictualité indirecte qui est privilégiée, avec l’Ukraine comme proxy, la guerre de communication et les menaces de sanctions économiques et financières.

L’accusation par les Etats-Unis et leurs alliés d’une invasion imminente de l’Ukraine par la Russie, restera probablement dans les mémoires comme la plus grande fake news de 2022.

Toutefois cette dramatisation arrange paradoxalement tous les acteurs :

  • Les Etats atlantistes sont ravis de présenter la Russie comme l’agresseur, pousser la Russie à des actions qui renforcerait ce narratif, et renforcer l’OTAN qui cherche à justifier son utilité,
  • cela permet à Joe Biden de poursuivre les livraisons d’armes à l’Ukraine et de ne rien lâcher sur les élargissements futurs de l’OTAN, mais aussi à livrer plus de gaz de schiste américain par voie maritime (LNG) à l’UE, en insistant sur une rupture des approvisionnements de la part de la Russie en cas de conflit,
  • cela arrange l’Ukraine, qui refuse de mettre en œuvre les accords de Minsk (la fédéralisation de l’Etat permettrait au Donbass autonome de mettre un droit de veto à l’élargissement de l’OTAN),
  • cela arrange la Russie qui démontre qu’elle est sérieuse face à une éventuelle provocation de l’Ukraine, et de souligner qu’elle peut jouer le rapport de force militaire si ses revendications ne sont pas prises en compte : les médias hystériques et moutonniers à souhait dans les pays occidentaux contribuent à cette tension surjouée !

La négociation que les Etats-Unis ont malgré tout accepté d’engager porte vraisemblablement sur les questions de désarmement, tant sur la limitation des forces conventionnelles que les missiles tactiques et stratégiques, mais elles vont prendre du temps. C’est un domaine où il y a plus de chances d’un accord, du moins provisoire. Toutefois, comme les Etats-Unis cherchent à éviter la question de l’élargissement de l’OTAN, les Russes vont insister sur cet enjeu car cela touche plus fondamentalement à l’ordre spatial, c’est à dire la configuration géopolitique qui doit nécessairement changer du point de vue de la Russie. Le rapport de forces va donc durer longtemps, sinon devenir permanent, tant qu’un nouvel ordre spatial et géopolitique pleinement multipolaire avec accord sur les zones d’influences respectives ne sera pas entériné par les grandes puissances. Les tensions et actions réciproques dans le registre de la conflictualité hybride vont donc durer, avec des périodes d’accalmie et des phases d’aggravation à la suite de provocations délibérées.

Le risque d’un conflit armé entre l’Ukraine et la Russie reste une hypothèse à plus long terme, si les Etats-membres de l’OTAN livraient des armements à l’Ukraine susceptibles de menacer directement la Russie sans adhésion formelle à l’OTAN, en jouant de plus en plus le rôle de proxy contre la Russie.

Avec l’aggravation de cette crise, il y avait une occasion formidable à saisir pour la France, qui détient le présidence de l’UE, de reprendre les négociations avec la Russie à propos d’une nouvelle architecture de sécurité européenne, un enjeu essentiel pour les intérêts de la France, dans le prolongement de la vision gaulliste d’une Europe continentale. Comme l’UE et l’OTAN ne parviendront jamais à l’unité sur cette question, si ce n’est un alignement sur la posture des Etats atlantistes, c’était l’occasion de former une coalition d’Etats plus retreinte, voire au niveau bilatéral, pour dialoguer avec la Russie de manière indépendante, et de forcer le projet européen à évoluer et s’éloigner des principes ultra-atlantistes obsolètes de l’UE. Mis à part une timide tentative de médiation franco-allemande, les gouvernements français et allemands ne s’écartent pas beaucoup des éléments de langage mensongers des atlantistes sur une guerre imminente. Sans posture clairement différente de celle des Anglo-saxons et d’une vision géopolitique alternative à le vision euro-atlantiste exclusive, ni la France ni l’Allemagne, ne seront crédibles pour s’insérer dans la négociation bilatérale entre les Etats-Unis et la Russie.

Pierre-Emmanuel Thomann

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2022, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

3 réponses à “Guerre en Ukraine. La réalité géopolitique derrière la guerre de communication”

  1. André dit :

    Tous les pays sont sous contrôles états unis, O T A N, O N U, plus les milliardaires de Davos et compagnie, nos dirigeant, sont sous contrôle, une parole des ricains et ce sont tous des va-t’en-guerre ! au profit des ricains !! comme en Ukraine, autant leurs demander officiellement qui placer à la présidence !!

  2. patphil dit :

    ah cette guerre est du pain béni pour justifier la flambée des prix, à croire que tout était produit en ukraine, du simple clou aux voitures

  3. Henri Romeuf dit :

    Un grand coup de chapeau à Joe Biden qui est parvenu à fourguer son gaz de schiste aux Européens, trois fois le prix du gaz russe ! Je ne peux m’empêcher de penser à ce passage du film « Le Loup de Wall Street » où le héros (Leonardo di Caprio) fait une gestuelle obscène au moment où il convainc téléphoniquement un pigeon à signer un contrat boîteux.
    Les meilleurs hommes d’affaires au monde, ce sont bel et bien les Américains ! Surtout lorsqu’ils ont en face d’eux des pigeons aussi naïfs que les Européens ! ☺

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

International, Tribune libre

Les euro-fédéralistes sont devenus des « conquérants de l’inutile »

Découvrir l'article

A La Une, International

Entretien avec Rainaldo Graziani : Discussion sur l’avenir de l’Europe

Découvrir l'article

A La Une, International

L’irrésistible montée des BRICS

Découvrir l'article

International

L’Europe de l’Est, aux portes de la guerre. Reportage

Découvrir l'article

Sociétal

« Il ne faut jamais céder ». La réponse de Laurent Obertone aux antifas qui ont tenté de l’attaquer

Découvrir l'article

International

La Serbie face aux pressions occidentales : un bras de fer entre Belgrade et l’Union Européenne

Découvrir l'article

International

Géopolitique. Quelles sont les capacités aéro-navales US d’aujourd’hui, en 2024 ?

Découvrir l'article

Sociétal

Laurent Obertone sur l’affaire Philippine : « Cette Justice n’applique pas la loi ! »

Découvrir l'article

A La Une, Sociétal

Guerre. La nouvelle frappe chirurgicale de Laurent Obertone : « Les mensonges officiels et la prolifération des gourous complotistes n’aident pas les esprits sceptiques à s’y retrouver » [Interview]

Découvrir l'article

Economie

Racket des contribuables européens. Von Der Leyen annonce un plan de prêt de 35 milliards d’euros pour l’Ukraine avant l’hiver

Découvrir l'article

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky