Gastronomie. Ossobuco et risotto à la milanaise

Dans cette chronique hebdomadaire, je vous proposerai des recettes originales et historiques, réconciliant ainsi deux aspects de ma personne, celle d’historien et celle patron de bistrot. Elles seront faciles à réaliser mais surtout liées à l’histoire d’un territoire ou de grands hommes. La gastronomie traditionnelle raconte une terre, des traditions, elle s’inscrit donc dans l’idée d’un combat identitaire, soulignant les diversités qui nous sont chères d’une région à une autre, écologique, travaillant des produits locaux et de saison, et éthique, réduisant au maximum le gaspillage et s’opposant au modèle uniformisé du fast food.

Pour ceux d’entre vous qui ont eu la chance de voyager un peu en Italie, vous aurez sans doute noté que les menus sont toujours divisés entre « Primi piatti », pâtes, riz et soupes et « secondi piatti », viandes et poissons. Il existe au moins une exception de taille, un monument de la cuisine transalpine, l’ossobuco et le risotto à la milanaise, ce sera notre recette du jour.

Ossobuco et risotto à la milanaise, toute une histoire

La légende narre que le « Risotto alla Milanese » est né en 1574 à l’ombre du chantier de la cathédrale de Milan, le fameux Duomo. Un maitre verrier, Valerio di Fiandra, qui travaillait à la réalisation des vitraux aurait eu l’idée d’ajouter du safran au riz servi lors du mariage de sa fille. Le safran était utilisé pour colorer le verre. Le plat aurait alors connu un succès immédiat tant pour son goût que pour sa belle couleur jaune qui rappelle l’or et donc le souhait de richesse. En réalité, on note déjà des traces de ce plat dans les campagnes lombardes dès l’introduction du riz en Italie. Il était en général cuit dans du lait ou du bouillon et on y ajoutait du fromage et du safran. Ce n’était donc pas à proprement parlé un Risotto, ce dernier n’étant pas cuit directement dans la poêle. Il faudra attendre le XIXème siècle pour voir notre recette définitive de risotto à la milanaise être enfin publiée.

L’histoire même du safran mériterait un livre. A l’état sauvage, la plante est probablement originaire de Crète. Le safran est en réalité le pistil d’une fleur de Crocus. Sa culture et son commerce se diffusa sur tout le bassin méditerranéen, en particulier dans les zones du Maghreb, le nom de safran dérivant d’un mot arabe signifiant probablement « ailes d’or ». La diffusion du safran en Europe se fit par l’invasion arabe de l’Espagne, cette dernière en garda le monopole du commerce pendant des siècles même bien après la Reconquista. Déjà le prix de cette épice était exorbitant. Cela s’explique notamment par la difficulté de la récolte, un kilogramme de safran équivaut aux pistils de 150000 fleurs récoltées à l’aube vers la fin octobre. Heureusement pour nous, quelques pistils suffisent pour chaque plat vu la puissance aromatique de cette épice. La production en Italie ne débuta qu’au XVIe siècle lorsqu’un prêtre des Abruzzes, Domenico Santucci, contourna les lois espagnols et ramena quelques plants dans sa terre natale. Aujourd’hui c’est l’un des meilleurs lieux de production de « l’or rouge ».

Le riz lui-même nous pousse à quelques questions. On sait que les Romains le connaissaient mais ne le cultivaient pas. Ce dernier était utilisé à des fins thérapeutiques. Ainsi la culture du riz en Italie aurait été introduite soit par les arabes en Sicile au alentours de l’an mille, par les Aragonais à Naples vers 1400 ou par les commerçants Vénitiens dans la même période. Mais c’est en Lombardie que les premières vraies rizières italiennes furent développées dès 1468, sous l’impulsion des Sforza, utilisant de vastes terres que le Po inondait chaque année. Le riz devint vite une des bases de l’alimentation des paysans lombards avant de se diffuser dans toute la plaine du Po. Pourtant cette histoire du riz ne se termine pas là, il faudra attendre le XXème siècle pour qu’il termine son invasion de toutes les tables Italiennes du Nord au Sud. Le riz avec les céréales et le mais fut l’objet principal de ce Mussolini appela « La battaglia del grano » (la bataille du blé), qui visait à conférer l’autosuffisance alimentaire à l’Italie, ce qui en ces temps de crise devrait nous faire réfléchir.


En 1925, l’Italie importait beaucoup de blé, le régime prit alors des mesures pour augmenter la production ce qui préludait aux lois de 1935 sur l’autarcie. A partir de 1925, furent encouragées la recherche sur les espèces à cultiver, et entrepris de gigantesques travaux comme l’assèchement des marais pontins. Dans le même temps un grand travail de propagande visa à changer les mentalités afin d’encourager notamment les habitants du sud à consommer plus de riz ou de polenta (farine de Mais), abaissant ainsi les besoins en blé. Certains résultats furent spectaculaire notamment en terme de productivité à l’hectare. Un grand concours national sera organisé et largement publicisé à Rome afin de trouver les meilleurs recettes à base de riz. Marinetti et les futuristes rentreront en guerre contre les pâtes accusées d’appesantir le corps et l’esprit. Ainsi dans chaque région, des recettes de Risotto verront le jour. Pourtant la recette phare demeure le risotto à la milanaise dont la version officielle est déposée et brevetée depuis 2007 par la ville de Milan. En voici la recette…

Ossobuco et risotto à la milanaise : la recette

Ingrédients pour 4 personnes : 20 gr de moelle de bœuf (optionnel si vous ne faites pas l’ossobuco ou si vous êtes végétarien), 320gr de riz Carnaroli, 125gr de beurre, un oignon, 80 gr de parmesan, un verre de vin blanc sec, 1 litre de bouillon végétal, de préférence fait maison, 15/20 pistils de safran.

Commencez en mettant les pistils de safran à infuser dans un peu de bouillon tiède au moins pour une heure, ou une nuit dans un petit verre d’eau. taillez ensuite très finement l’oignon afin qu’il fonde littéralement durant la cuisson de notre riz. Dans une poêle, faites fondre 50gr de beurre ainsi que la moelle et commencez à y cuire lentement nos oignons. Il ne doivent absolument pas colorer, cuisez à feu doux et, éventuellement, utilisez un peu de bouillon pour éviter la coloration. Après une dizaine de minutes, ils seront translucides. A ce stade, versez le riz et mélangez-le bien aux oignons et on va le toaster pendant 4/5 minutes. Les grains de riz vont changer de couleur à leur tour. Une fois cela fait, déglacez le tout avec un verre de vin blanc sec et laissez le liquide s’évaporer. A partir de ce moment, ajoutez peu à peu le bouillon en attendant entre une louche et l’autre que le riz ait absorbé le liquide. La cuisson durera entre 18 et 20 minutes. Il faut de la patience et surtout être toujours présent, le riz doit toujours être couvert de liquide. Cinq minutes environ avant la fin de la cuisson (donc au bout de 13/14 minutes), versez votre bouillon où a été infusé votre safran, mélangez. Une fois la cuisson terminé, passons à la finition. Hors du feu, mettez le reste du beurre et votre parmesan dans le riz. Si vous êtes habile, commencez à créer avec votre poêle un mouvement qui ressemble à celui pour faire sauter une crêpe, sinon utilisez une cuillère en bois et vous devrez émulsionner votre risotto. C’est ce que les Milanais appellent faire « l’onda », la vague. Le fromage, le beurre et l’amidon du riz se mélangent et deviennent crémeux. C’est prêt !

A Milan, le risotto accompagne en général un délicieux Ossobuco. Les jarrets de veau sont d’abord enfarinés. Vous prendrez soin de faire trois incisions sur les cotés de vos morceaux, cela évitera qu’ils se referment sur eux-mêmes durant la cuisson. Dans une cocotte, faites fondre le beurre puis placez vos morceaux de viande afin de bien les dorer sur les deux cotés. Ajoutez un oignon taillé en lamelles. Une fois le tout bien caramélisé, déglacez au vin blanc puis mouillez le tout avec un bouillon jusqu’à couvrir complètement la viande. Baissez alors la flamme et couvrez, cuire 35 minutes avant de retourner la viande et de la laisser de nouveau cuire 35 minutes. Contrôlez la cuisson qui peut varier en fonction de l’épaisseur et de la qualité de la viande. Elle doit être très tendre et se détacher de l’os. Préparez la « gremolata », mélange à part égale d’ail frais, de persil et de zestes de citron (non traités), le tout ciselé très finement au couteau. Cette gremolata est l’indispensable touche finale qui viendra garnir votre viande dans le plat.

Bon appétit !

Pierre d’Her

Crédit photo : breizh-info.com

[cc] Breizh-info.com, 2022, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

Les commentaires sont fermés.

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

Immigration

Invasion migratoire : le navire ONG Geo Barents a annoncé cesser son activité en Méditerranée

Découvrir l'article

A La Une, Immigration

Matteo Salvini, accusé de séquestration de migrants, relaxé

Découvrir l'article

Tourisme

Géorgie. Où bien manger et bien dormir à Tbilissi ?

Découvrir l'article

Immigration, International

Italie. Une majorité d’Italiens redoute l’immigration et ses conséquences [Vidéo]

Découvrir l'article

A La Une, Economie

Black Friday : une panne des paiements numériques vient rappeler l’importance de l’argent liquide

Découvrir l'article

International, Patrimoine

Le Musée National des Chemins de Fer de Pietrarsa : un joyau de l’histoire ferroviaire italienne

Découvrir l'article

Economie, Immigration, International, Sociétal

Immigration économique. En Sicile (Italie), 14 000 migrants employés illégalement dans l’agriculture [Vidéo]

Découvrir l'article

Immigration, International

Révoltes ethniques à Milan : l’Italie découvre les banlieues qui s’enflamment

Découvrir l'article

Société

« Le patriarcat n’existe plus, garçons fragiles et immigration sources des féminicides » : l’analyse à contre-courant du ministre de l’Éducation italienne

Découvrir l'article

Immigration, International

Italie. Immigration : une hausse record des demandes d’asile en 2023

Découvrir l'article

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky