Les éditions Perrin viennent de publier un ouvrage intitulé « Algérie, le piège gaulliste » signé Henri-Christian Giraud, ancien rédacteur en chef au Figaro Magazine.
Un ouvrage édifiant, et éclairant sur De Gaulle et sur sa gestion de la guerre d’Algérie.
Pour évoquer l’ouvrage, nous avons interrogé Henri-Christian Giraud.
Breizh-info.com : pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?
Henri-Christian Giraud : Journaliste, ancien rédacteur en chef du Figaro Magazine, adjoint de Louis Pauwels, je collabore régulièrement au Figaro Histoire. Je suis l’auteur d’un certain nombre de livres à caractère historique dont : « De Gaulle et les communistes » (Albin Michel 1988 et 1989, et Perrin 2020, réédition revue et augmentée), « L’Accord secret de Baden-Baden » et « Une histoire de la révolution hongroise » (aux Editions du Rocher). Né en Algérie en 1944 et petit-fils du général Giraud, le rival de De Gaulle pendant la guerre, j’ai naturellement un regard distancié tant sur l’œuvre gaulliste que sur le personnage historique. La guerre d’Algérie que j’ai vécue adolescent, m’a profondément marqué et je me suis toujours posé la question suivante : le traitement gaulliste de l’affaire algérienne devait-il fatalement se terminer tragiquement ? C’est à cette question que mon livre tente de répondre.
Breizh-info.com : Vous allez à contre-courant de la doxa actuelle en évoquant notamment le fait que le général de Gaulle savait parfaitement où il voulait aboutir, c’est-à-dire à l’indépendance de l’Algérie. Pourquoi cela ne fait-il pas consensus chez les historiens ?
Henri-Christian Giraud : Parce qu’ils ignorent ou écartent certains faits qui, à mes yeux, confirment que de Gaulle voyait en réalité plus loin que l’indépendance qui n’était pour lui que le moyen et le paravent -gratifiant car dans l’air du temps -, pour un dégagement sans retenue. Ce qui, par-delà l’incontestable aboutissement du projet gaulliste, explique la tragédie humaine finale : la néantisation des pieds noirs et des harkis, dont même les gaullistes les plus fervents ont encore aujourd’hui moralement du mal à concevoir la nécessité. C’est qu’ils ne voient pas – ou ne veulent pas voir – la raison gaulliste des massacres, or il y a bien une raison gaulliste des massacres : « Je ne suis bien que dans la tragédie », disait de Gaulle pour lequel, contrairement à Camus, la tragédie est une solution. Ou pour être plus précis : la solution passe par la tragédie. Concrètement, cela s’est traduit pour de Gaulle par un renversement des alliances au profit du seul FLN et par la désignation d’un ennemi commun : le camp pro-Algérie française.
Breizh-info.com : De Gaulle a-t-il finalement menti à tout le monde ?
Henri-Christian Giraud : De Gaulle disait à chacun ce que chacun voulait entendre. « Il y avait autant de De Gaulle que de catégories d’interlocuteurs », a écrit Peyrefitte, bien placé pour le savoir. Raymond Aron est encore plus dur : « Dans cette affaire algérienne, de Gaulle a menti à tout le monde, mais (…) sans ses mensonges, il n’aurait pas pu faire la paix en Algérie. » Aron ne se contente pas de constater l’apocalypse finale mais, à travers le mensonge, en pointe la cause : la solution par la tragédie. Reste à savoir ce que vaut une paix fondée sur le mensonge. Car l’histoire écrite par de Gaulle ne s’est pas arrêtée et, bien au contraire, a poursuivi son chemin dans la voix tracée par ses soins, affectant à divers niveaux l’unité politique du peuple français. D’où l’origine d’un malaise qui ne passe pas.
Breizh-info.com : Pourquoi voulait-il l’indépendance ?
Henri-Christian Giraud : Pour des raisons financières, car l’Algérie était coûteuse (l’exploitation du pétrole n’en était qu’à ses débuts) et pour éviter à la France, ce qui était louable, une algérianisation progressive de son territoire et de ses mœurs, mais le traitement gaulliste de l’affaire algérienne a finalement abouti à son exact contraire, car l’immigration a été rendue effective par les Accords d’Evian et, très précisément, par l’article 2 des dispositions générales de la Déclaration des garanties : « Sauf décision de justice, tout Algérien muni d’une carte d’identité est libre de circuler entre l’Algérie et la France » et par l’article 7 de la Déclaration relative à la coopération économique et financière, selon lequel tout Algérien a, à tout moment, la possibilité de venir résider en France et d’y bénéficier des avantages sociaux. C’est sous la présidence de De Gaulle entre 1962 et 1969 que l’immigration a plus que doublé (or elle avait déjà doublé entre 1954 et 1962) et pris son essor pour ne plus s’arrêter en raison notamment des politiques de ses successeurs.
Breizh-info.com : Vous avez eu accès à des archives inédites ?
Henri-Christian Giraud : Pour certaines, curieusement non exploitées comme les mémoires d’Alfred Sauvy et celles du commandant Vincent Monteil un arabisant distingué converti à l’Islam et auteur d’une note d’information qui a conduit de Gaulle à proposer dans sa conférence du 30 juin 1955 « l’intégration de l’Algérie dans une communauté plus large que la France » donc dans une ensemble fédéral. Phrase passée totalement inaperçue à l’époque. Aucun grand quotidien, ni le Monde, ni le Figaro, ni l’Humanité ne la mentionne. Quant aux archives inédites elles sont tirées du journal de Vinogradov, l’ambassadeur soviétique à Paris, à qui Gaston Palewski, le missi dominici de De Gaulle auprès du Kremlin depuis toujours (novembre 1940), annonce le 10 octobre 1956, trois semaines avant l’expédition de Suez, l’arrivée imminente de De Gaulle au pouvoir et son intention de négocier immédiatement avec les représentants du FLN. Ce faisant, de Gaulle renverse le triptyque de Guy Mollet : « cessez-le-feu, élections, négociations », et privilégie un processus politique plus en accord avec les exigences dudit FLN.
Lorsqu’il affirme qu’il ne se sent bien que dans la tragédie, de Gaulle satisfait-il un besoin intime ?
Nul doute qu’il agit à la fois par calcul et par tempérament. De Gaulle se voit en guerrier de la politique.
Breizh-info.com : Comment expliquez-vous que le récit de la guerre d’Algérie soit si partisan, si idéologisé, si repentant aussi ?
Henri-Christian Giraud : Pour arriver à ses fins, de Gaulle a dû convertir la victoire en défaite. Résultat : le 9 mars 1961, il accepte que le cessez-le-feu ne soit pas un préalable pour l’ouverture de négociations ; le 6 avril, il accepte que le FLN soit l’interlocuteur unique et le représentant exclusif du peuple algérien; le 5 septembre, il reconnaît la souveraineté algérienne sur le Sahara ; le 18 février 1962, il abandonne le sort des populations européenne et musulmane à la discrétion du FLN. La négociation a tourné ainsi à l’habillage diplomatique d’un abandon pur et simple et le 19 mars, c’est la France qui vient à Canossa, avec tout ce que cela veut dire d’humiliation à venir. On n’en est pas sorti avec un président qui a taxé la colonisation française de « crime contre l’humanité », bouclant ainsi à sa façon la boucle gaulliste. Et la France vaincue, enchaînée à sa défaite, n’en finit pas de la payer. Le piège gaulliste est devenu une machine infernale.
Propos recueillis par YV
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4 réponses à “Henri-Christian Giraud (Algérie, le piège gaulliste) : « Pour arriver à ses fins, de Gaulle a dû convertir la victoire en défaite » [Interview]”
»Le grand visionnaire », qu’était de Gaulle, n’avait pas prévu que les lâches fellouzes profiteraient que nos soldats garderaient »le fusil au pied », après la signature du cessez-le-feu, pour brûler vifs et enterrer vivants 150.000 harkis »désarmés et leur famille, pour massacrer et enlever des milliers de non-musulmans »innocents »,etc…Il n’avait RIEN prévu pour accueillir, en Métropole, TOUS ces »Français » chassés de leur pays natal!…
J’ai assisté, à Nîmes, à une conférence d’Henri-Christian Giraud: il a dédicacé, à mon époux, un livre que celui-ci lui avait acheté…Mon époux lui a rappelé que son grand-père, le général Giraud, avec » l’Armée d’Afrique », a libéré, le 2 septembre 1944,son village natal, en Bourgogne, où deux Pieds-Noirs ont été tués en voulant chasser les Allemands de France!…
et vingt ans après les piednoirs entendaient « rentrez chez vous, on ne vous veut pas ici etc. »
tout ça pour pouvoir faire des essais nucléaires au sahara !