Vue de près, la sculpture ne paye pas de mine. Mise à l’abri depuis 1893 sous le porche de la grande église du bourg de Plouaret, elle a été découverte en pleine campagne près d’une ancienne chapelle en ruine, par un enfant du pays, François-Marie Luzel, archiviste à Quimper. A l’époque, il a fallu l’œil expert de ce chercheur reconnu pour discerner dans ce bloc de un « Cavalier à l’Anguipède », c’est-à-dire un motif typique de l’Empire romain à son apogée.
Pour se faire une idée de ce à quoi ressemblait ce monument de plein air, il faut aller au Musée Romain de Schwarzenacker, un village de Sarre : on y trouve la seule reconstitution à taille réelle et en couleur.
On peut y voir un dieu céleste portant la foudre (Jupiter), écrasant sous son cheval un serpent géant, représentant des forces souterraines du Chaos. Cette sculpture se trouve au sommet d’une colonne, elle-même reposant sur un socle à quatre faces représentant plusieurs dieux. A Plouaret comme dans d’autres lieux de découverte, la colonne avait été érigée à la croisée de routes – par sa forme comme par son fonction, il est possible qu’elle préfigure les calvaires chrétiens, à la fois porte-bonheur et indicateur du bon chemin.
Un vestige du culte celte de la colonne ?
Le style des statues à l’Anguipède est gréco-romain, et non celte. Pourtant dès le XIXème siècle, les premiers chercheurs remarquent que ce motif est surtout présent dans les provinces celtes de l’Empire : Armorique, Belgique, Rhénanie, Grande-Bretagne… Ils se demandent alors si elles ne reflètent sous une forme officielle des croyances druidiques plus anciennes.
Plus récemment, Patrice Lajoye attire l’attention sur la colonne elle-même qu’il rapproche de deux croyances celtes :
– la colonne figurerait l’axe ou le moyeu du monde, représenté sous la forme d’un arbre qui soutient l’univers.
– la colonne serait aussi à rapprocher du culte de « Jupiter Bussumarus », attesté dans des territoires celtes du Danube et de Galatie (Turquie actuelle). Cet adjectif accolé au nom propre du plus grand dieu romain s’explique selon Patrice Lajoye par le recours à des racines celtiques :
« Au final, le sens le plus vraisemblable de ces noms peut-être « Grand Sexe » ou « Grand Moyeu » pour Bussumarus, et « Sexe Raidi » ou « Roi du Sexe » pour Bussurigius. La variante Bussumarius peut même faire envisager un « Jupiter du Grand Sexe (Moyeu)« .
(Patrice Lajoye, L’arbre du Monde, la cosmologie celte, 2016, page 62).
De quoi contempler avec un œil nouveau l’Anguipède de Plouaret…
Illustrations : DR
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