Breizh, L’Histoire de la Bretagne, c’est terminé, avec la sortie du Tome 8, intitulé « Les Chouans », aux éditions du Soleil.
Aux manettes, Thierry Jigourel comme d’habitude, et Christophe Babonneau à l’illustration, Guillaume Lopez au coloriage.
Ce dernier tome couvre la période révolutionnaire et l’Empire. Un quart de siècle riche en événements, de la suppression des institutions nationales des Bretons, à la Restauration, en passant par la Virée de Galerne et les tristement célèbres noyades de Nantes. Il met en scène la résistance d’un peuple et de héros providentiels, morts pour les libertés incarnées, à un système devenu fou.
Pour l’évoquer, et pour tirer le bilan de cette série indispensable pour enseigner la Bretagne à vos enfants, nous avons interrogé Thierry Jigourel.
Breizh-info.com : Vous sortez le 8ème, et dernier épisode de votre collection, Breizh, l’Histoire de la Bretagne. Parlez nous du contenu de la Bande-dessinée ?
Thierry Jigourel : Ce Tome 8 de Breizh couvre la période qui va des prodromes de la Révolution , c’est à dire du bras de fer qui oppose le Parlement de Bretagne , en mai 1788 à la monarchie absolue, puis de la tenue des derniers Etats de Bretagne , au couvent des Cordeliers, à Rennes , jusqu’ à la mort de Cadoudal . Soit une quinzaine d’années . C’est peu par rapport au tome 7, le Temps des révoltes , qui allait de la mort d’Anne de Bretagne aux prémices de la Révolution et qui couvrait donc plus de deux siècles et demi . Mais ce sont des années fondamentales et essentielles d’une part , et des années très denses en événements par ailleurs . Alors que dans le tome 6 , nous avons montré comment et par quels moyens malhonnêtes , par une agression de la part de l’Etat français , la Bretagne s’est fait voler son indépendance , ici, il fallait montrer comment, de manière illégale encore et contre la volonté des Bretons , la France a détruit nos institutions nationales : Etats et Parlement, et comment nos ancêtres se sont opposés à cette forfaiture et sont, logiquement, entrés en résistance .
Il fallait montrer aussi les racines populaires et antibourgeoises de la chouannerie , quels ont été les mobiles de cette insurrection, qualifiée à juste titre par l’historien Georges Soboul , de » guerre de classe » opposant le peuple à une bourgeoisie qui s’était accaparée le pouvoir et les richesses et qui avait l’outrecuidance d’envoyer le peuple se faire tuer à sa place , lorsqu’elle déclara la guerre à nos amis et voisins européens . D’où l’insurrection de mars 1793 qui suivit la loi portant sur la levée des 300 000 hommes . Du jamais vu sous l’Ancien Régime . Il fallait montrer aussi comment s’établit et s’installa un système totalitaire qui alla jusqu’à décréter et appliquer l’extermination de populations entières, coupables de lui avoir résisté .
Breizh-info.com : Pourquoi s’arrêter après la Chouannerie…l’Histoire de la Bretagne ne s’est pas arrêtée après si ?
Thierry Jigourel : Non, en effet , l’histoire de la Bretagne ne s’est pas arrêtée en 1804. Mais lorsque Louis XVIII revient en France dans les fourgons de l’étranger , après avoir fui, alors que nombre de personnages courageux comme le général Cadoudal ou le général de la Rouérie sont restés sur place pour combattre , et en sont morts , il trahit tous ses engagements et ne rétablit aucune des libertés de la Bretagne. Il adopte toute la centralisation de l’Empire et de la République . La Bretagne n’a donc plus dès lors aucune existence en tant que pays indépendant ou même autonome .
Par ailleurs , c’était le contrat passé avec mon éditeur Guy Delcourt, que je remercie chaleureusement d’avoir eu le courage de me demander d’adapter en bandes dessinées une histoire de la Bretagne conforme à la réalité historique mais pas au roman national français , ou à celle que l’on présente dans les écoles lorsqu’on daigne s’y intéresser .
Breizh-info.com : Pourquoi, selon les numéros, avez vous décidé de changer d’illustrateur ?
Thierry Jigourel : Parce que , du moins pour le premier cycle , soit les cinq premiers tomes , nous ne voulions pas faire attendre les lecteurs trop longtemps entre deux albums, comme ce fut le cas pour ma série les Druides , coscénarisée avec Jean-Luc Istin et dessinée par Jacques Lamontagne uniquement . Nous avions donc mis plusieurs dessinateurs à travailler en même temps ou presque , sur des albums différents. Nous avons eu la même problématique et les mêmes objectifs pour le second cycle ( tomes 6 ,7 et 8). Par ailleurs comme chaque dessinateur traite une période différente , du moment qu’il garde un style réaliste , ce changement ne pose pas de problème . Au contraire , il introduit une variété de styles qui à mon sens rend la série d’autant plus vivante . C’est Daniel Brecht qui a dessiné notre grande reine Boudicca . Mais on ne la retrouve pas dans les albums suivants . Idem pour Anne de Bretagne . C’est Christophe Babonneau qui l’a représentée . mais on ne la trouve que dans le tome 6 .
Breizh-info.com : Quel regard portez vous sur la collection de 8 tomes ? Comment a-t-elle été accueilli par le public, par la critique ?
Thierry Jigourel : je suis heureux d’avoir pu mener à bien ce gros travail, avec le soutien de mon éditeur Guy Delcourt et de mon coscénariste du premier cycle Nicolas Jarry, qui m’a fait profiter de ses connaissance et de ses compétences aussi pour le second cycle . Ce fut pour moi une belle aventure , même si j’ai toujours l’impression d’être contraint par le nombre de pages… ça m’a donné envie de consacrer des one shot à des personnages importants et intéressants comme Armand Tuffin de la Rouérie , qui posa les bases de la chouannerie après avoir combattu, toujours pour la liberté , aux côtés des républicains indépendantistes américains . Je suis heureux de permettre aux Bretons de s’approprier leur histoire , une histoire samizdat , bannie des manuels scolaires qui n’évoquent que l’histoire du vainqueur . Cette série a été bien accueillie du public et aussi par la presse , par la critique , en général , preuve qu’elle correspondait à un besoin, vingt-cinq ans après le succès populaire de l’histoire de Bretagne de Seycher et le Honzec. J’ai tenté simplement d’incarner davantage les personnages , de scénariser un maximum , et j’ai bénéficié des moyens importants d’un très gros éditeur et donc d’excellents dessinateurs et coloristes , comme Guillaume Lopez , celui du tome 8, qui est un véritable orfèvre . Le fait que France 3 m’ait invité pour une émission de 52 minutes à présenter cette série et que Florian Bachelier, premier questeur de l’Assemblée Nationale et député de Rennes m’ait fait savoir aimablement tout le bien qu’il pense de cette série prouve qu’on a toujours raison de dire la vérité , et que cette vision de notre histoire fait son chemin.
Breizh-info.com : Thierry Jigourel, vous êtes réputé pour ne jamais vous arrêter d’écrire. Quels sont vos projets à venir ?
Thierry Jigourel : Je ne sais pas si c’est ma réputation …mais comme c’est mon métier, il faut bien que j’écrive . C’est comme un maçon qui ne construirait pas de maisons ou un paysan qui ne labourerait pas son champ. Justement , je prépare un one shot sur le colonel Armand , Armand Tuffin de la Rouerie , qui est un personnage si attachant , d’autres bd historiques chez d’autres éditeurs , et un ouvrage plus littéraire et plus personnel sur fond d’imaginaire collectif . J’aimerais bien aussi trouver le temps de faire du roman historique voire même historico-fantastique .
Breizh-info.com : Une question par ailleurs plus ouverte : vous avez, dans les années 90, participé à l’aventure humanitaire visant à aider les Croates victimes de la guerre des Balkans. Quel regard portez vous sur ce qui se passe en Ukraine et sur la question des réfugiés ?
Thierry Jigourel : Oui, j’avais fondé avec des amis un comité de soutien aux peuples de l’ex-Yougoslavie qui aspiraient à leur indépendance, conformément à la Constitution de l’ex-république fédérative de Yougoslavie et à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948. La France, d’ailleurs, en juin 1991, par voie de presse ou diplomatique, n’avait pas eu de mots assez durs pour flétrir ceux qu’elle présentait comme des « méchants indépendantistes ». Les propos de la presse française avaient été féroces vis-à-vis de Berlin et du Vatican, qui avaient reconnu ces deux républiques indépendantes et ex républiques fédérées, lesquelles avaient proclamé leur indépendance à la suite de référendums populaires et constitutionnels et avaient subi les bombardements d’une armée officiellement fédérale soutenue alors par la France.
Je me souviens des effroyables massacres de Vukovar et notamment de l’extermination de tous les blessés de l’hôpital, dans le silence accablant de la presse française, en dehors de mon ami François Fejtö, qui avait à cette occasion, découvert la censure et en avait été très affecté. Sur l’affaire ukrainienne, je me méfie des emballements médiatiques et de la tyrannie de l’émotionnel, de l’exploitation unilatérale de l’actualité, surtout lorsque l’on sait qu’en France les grands médias sont soit d’État, soit financés par l’État, soit aux mains du grand capital. J’ai évidemment de l’empathie pour les souffrances de la population civile ukrainienne. Comme pour l’affaire du covid 19, où beaucoup de gouvernants occidentaux ont terrorisé les populations et instrumentalisé la pandémie pour favoriser les intérêts de Big Pharma et de cabinets de conseil type Mac Kinsey, dont le directeur associé Victor Fabius est le fils de Laurent Fabius, président du Conseil Constitutionnel, dans l’affaire ukrainienne, ce sont les marchands de canons, les mêmes capitaux que ceux des marchands de « vaccins », qui vont se frotter les mains, avec la complicité toujours des mêmes gouvernants. Ce qui se passe là-bas est un vrai drame. Pour tout le monde, à commencer bien sûr par les Ukrainiens. Mais l’Ukraine est un État indépendant, de la taille de la France, qui, à son tour, a des minorités nationales, notamment russophones, dans le Donbass, une minorité dont les droits, garantis par les accords de Minsk, n’ont pas toujours été respectés par Kiev, et qui ont été bombardées à de multiples reprises depuis 2014. Il faut se garder d’une vision par trop manichéenne de l’Histoire. Je pense qu’il est important d’écouter les points de vue d’hommes politiques raisonnables, comme Hubert Védrine, ex-ministre français des Affaires étrangères, qui privilégie la négociation à la fuite belliciste en avant. À terme, il faudra parvenir, à mon sens, à un accord international de type Gruber-De Gasperi, qui garantisse à la fois l’indépendance de l’Ukraine face aux appétits russes, la sécurité de la Russie face à l’impérialisme d’Oncle Sam et de l’OTAN et les droits culturels et politiques des populations russophones du Donbass.
Enfin, à ceux qui découvrent soudain le droit des peuples, je rappellerais que les Bretons ont eu un Etat pendant un millénaire et que leurs droits sont bafoués par un État étranger entré chez eux par effraction et qui est hostile à toute forme de dévolution des pouvoirs. Il est temps de réclamer le droit pour les Bretons, de retrouver leur État et leurs droits nationaux.
Propos recueillis par YV
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0 réponse à “Thierry Jigourel (Les Chouans – Histoire de la Bretagne) : « Il fallait montrer aussi les racines populaires et antibourgeoises de la chouannerie »”
Il ne faudrait pas reprendre la manip’ linguistique des historiens marxistes à propos des « racines antibourgeoises » de la chouannerie ! La « bourgeoisie » de 1793 était simplement constituée des habitants des bourgs, par différence avec ceux des campagnes. Parler d' »une bourgeoisie qui s’était accaparée le pouvoir et les richesses » est abusivement simplificateur. Certains habitants des bourgs avaient saisi l’occasion de racheter les biens des nobles émigrés, saisis par les révolutionnaires. C’était un opportunisme individuel, pas le comportement d’une classe qui n’existait pas. Mais un opportunisme qui a bel et bien semé le mécontentement chez les paysans (dont certains auraient bien voulu racheter les terres à la place des « bourgeois » mais n’en avaient pas les moyens, tandis que beaucoup avaient maille à partir avec les nouveaux maîtres, bien moins compréhensifs que les aristocrates enfuis). Il n’est pas moins simplificateur de dire que cette « bourgeoisie » aurait eu « l’outrecuidance d’envoyer le peuple se faire tuer à sa place ». Il est probable que les nouveaux propriétaires étaient aussi mécontents que les paysans de la levée en masse de 1793 : envoyer les jeunes hommes aux frontières de l’Est au mois de mars, c’était fatalement perdre une partie des récoltes du printemps et de l’été — et encore une chance s’ils étaient de retour pour les semailles ! Comme les terres étaient en métayage pour une grande part, les propriétaires étaient aussi perdants que les paysans.
Mes compliments à Thierry Jigourel, à la fois pour sa série de qualité que tout Breton se doit d’avoir dans sa bibliothèque, qui renouvelle le genre (et je sais de quoi je parle!) ,et pour ses courageuses analyses d’actualité qui puisent dans sa connaissance du passé.
A galon aveid er Vro!
remarquez qu’à cette époque, les élites combattaient en première ligne, pas dans leurs salons
mais le génocide a bien été perpétré quand même, jusqu’à ce que le populo obéisse