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Cinéma. La charrette fantôme, chef d’œuvre sur l’Ankou, a 100 ans !

Il y a 100 sortait La charrette fantôme, chef d’œuvre suédois sur la légende bretonne de l’Ankou. Ce film conserve encore sa force poétique.

Gravement malade de la tuberculose, Édith (Astrid Holm), une jeune femme de l’Armée du salut, exprime un dernier souhait : revoir l’un de ses protégés, David Holm (Victor Sjöström), qu’elle aurait voulu ramener dans le droit chemin. Mais celui-ci est introuvable. En fait, il est en compagnie de deux autres pochards, avec qui il fête la Saint-Sylvestre dans un cimetière. Les trois ivrognes se remémorent un camarade, Georges (Tore Svennberg), décédé l’année précédente, lequel avait initié David à l’alcoolisme. Ils évoquent la légende selon laquelle le dernier mort de l’année, s’il s’agit d’un grand pécheur, conduira, jusqu’au Nouvel An suivant, la « charrette fantôme » qui ramasse les âmes des défunts. Mais les trois hommes se disputent. David, assommé par une bouteille, s’écroule, tandis que retentit le dernier coup de minuit. La charrette fantôme arrive alors pour prendre son âme. Le conducteur est Georges. Il explique à David qu’il va devoir prendre sa place et assumer les conséquences des actes de sa vie. David revit, évoquées par le charretier, les étapes de sa déchéance. Jeune ouvrier heureux, marié avec Anna (Hida Borgström), père de deux petites filles, il s’était mis à boire, en dépit des avertissements prodigués par son épouse. A son retour de prison, il avait retrouvé sa maison vide, femme et enfants disparus. C’est alors qu’il fut pris en charge par l’Armée du Salut et, en particulier, par Sœur Édith, qui dès leur première rencontre l’a aimé. Celle-ci avait recousu son manteau et ainsi attrapé les germes de sa maladie future, la tuberculose. Mais la seule réaction de David fut de déchirer les coutures. Edith arrangea pourtant une réconciliation avec son épouse. David parut revenir à la raison avant de retomber dans son vice…

Le charretier de la mort répond au souhait d’Édith et transporte David à son chevet. Le jeune homme y apprend que c’est grâce à elle qu’il avait pu retrouver sa famille. Édith supplie le charretier de laisser en vie son protégé. David se repent. Édith meurt heureuse. Le cocher emmène alors David voir sa femme et ses enfants. Découvrant que sa femme prépare le poison destiné à elle-même mais aussi à ses deux enfants, David ne peut se résoudre à laisser faire ce drame sans réagir. Il implore le pardon de Dieu en expiant tous ses péchés et demande une seconde chance. Georges accepte et laisse l’âme de David réintégrer son corps dans le cimetière. Redevenu mortel, David court chez lui pour empêcher le drame familial. Il éprouve enfin de l’amour pour sa femme et ses enfants. En mémoire de Sœur Edith, il jure d’être un bon mari et un bon père. Face aux larmes de David, sa femme accepte de le pardonner.

La Charrette fantôme (Körkarlen) est un film muet suédois, drame fantastique moraliste, réalisé par Victor Sjöström, et sorti en Suède le 1er janvier 1921.

Il s’agit de l’adaptation du roman Körkarlen de Selma Lagerlöf, publié en 1912. Selma Lagerlöf, première femme à recevoir le prix Nobel de littérature, exaltait l’esprit national suédois. Son roman Le trésor d’Arne venait également d’été adapté au cinéma, par Mauritz Stiller, en 1919 . Dans La charrette fantôme, Selma Lagerlöf s’inspire de la célèbre légende bretonne de l’Ankou. Selon cette légende, héritage de la mythologie celtique, la dernière personne à décéder au douzième coup de minuit la veille du jour de l’An est condamnée à prendre les rênes de la charrette qui emporte les âmes des morts. Ce roman sera de nouveau adapté au cinéma par Julien Duvivier, en 1939, avec les acteurs Pierre Fresnay et Louis Jouvet.

L’interprétation est exceptionnelle, toute en subtilité et en retenue. Sjöström joue lui-même l’ivrogne qui, la nuit du Nouvel An, est contraint par le conducteur fantomatique de la charrette de la Mort de réfléchir à ses erreurs passées (alcoolisme, violence conjugale, bagarres…). Celui-ci représente, à travers ses remords et sa culpabilité, la confrontation entre le bien et le mal. Ce film moraliste énonce qu’il faut faire le bien autour de soi. Ce moralisme fut critiqué par la gauche, mais également par Bardèche et Brasillach, dans leur Histoire du cinéma, même si ces derniers y reconnaissent « une virtuosité et une puissance d’émotion tout à fait remarquables ».

Devenu un succès mondial, ce chef d’œuvre du cinéma muet surprend par sa construction en flash-backs et ses multiples effets visuels fantastiques : surimpressions montrant les âmes des morts sortir de leurs corps, caméra très mobile pour l’époque, effets de lumière, magnifiques images souvent de teinte bleutée… Les images de la charrette fantomatique dirigée par l’Ankou, une faux à la main, roulant la nuit sur la mer afin de récupérer un noyé gisant au fond de l’eau conservent encore, un siècle plus tard, toute leur puissance.

Comme Le Trésor d’Arne de Stiller, ce film illustre la puissance évocatrice du cinéma muet. Il influença l’expressionnisme allemand, notamment Murnau. Chaplin considérait ce film comme le plus grand jamais réalisé.

Kristol Sehec

Crédit photos : DR
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