Dans cette nouvelle chronique hebdomadaire, je vous proposerai des recettes originales et historiques, réconciliant ainsi deux aspects de ma vie professionnelle, celle d’historien et celle de bistrotier à Rome.
Elles seront faciles à réaliser mais surtout liées à l’histoire d’un territoire ou de grands hommes. La gastronomie raconte une terre, des traditions, elle s’inscrit donc dans l’idée d’un combat identitaire, soulignant les diversités qui nous sont chères d’une région à une autre, écologique, travaillant des produits locaux et de saison, et éthique, réduisant au maximum le gaspillage et s’opposant au modèle uniformisé du fast food.
Aujourd’hui je vous emmène donc en Toscane, merveilleuse région de l’Italie centrale où, de la plus grande ville au petit bourg fortifié, tout respire l’histoire. C’est notamment aux cuisiniers de Catherine de Médicis que l’on devra la révolution culinaire en France, celle qui fera de l’hexagone le pays par excellence de la haute gastronomie. Pourtant, en Toscane comme souvent, la cuisine traditionnelle prend ses racines dans celle du peuple qui, modeste, trouvait le moyen de magnifier les produits les plus simples pour les rendre délicieux. Je vous propose deux plats toscans, le premier qui vient faire concurrence à nos terrines et pâtés à la française et qui en est peut être à certains égards une inspiration, le deuxième, un plat de viande, pour rappeler que la cuisine italienne n’est pas que pâtes et pizza.
Antipasto…. Tartine de pâté de foies de volaille
Le « crostino Toscano » est le plat incontournable des entrées toscanes, il s’agit d’un pâté de foies de volaille qui tire ses origines dans la tradition romaine antique. En effet, ces derniers proposaient des plats communs de poisson ou de viande où les différents convives venaient se servir, utilisant des tranches de pain pour récupérer les aliments. Au moyen-âge, les plats devinrent individuels mais les Toscans les plus modestes maintinrent le pain comme base de l’alimentation. Il était d’abord grillé puis trempé dans un bouillon ou dans le vin et recouvert ensuite d’une mixture composée de viandes pauvres hachées et cuites ensemble, souvent des abats. Les nobles toscans appréciant eux-aussi la version utilisant les foies de volaille, rendront populaire la recette que je vous donne aujourd’hui et par la même occasion inventeront une tradition qui sera exportée dans toutes les cours européenne, celle de l’entrée… l’antipasto.
Taillez un oignon rouge et, dans une poêle faites le dorer dans un mélange d’huile d’olive et de beurre. Ajoutez aux oignons dorés, vos foies de volailles au préalable dénervés ainsi que quelques feuilles de sauge. Les foies vont alors relâcher leur jus. Une fois évaporé, déglacez avec un vin doux qui viendra contraster l’amertume des foies (les Toscans utilisent le Vin Santo). Le vin évaporé à son tour, couvrir de bouillon de volaille à niveau et laissez cuire une vingtaine de minutes à feu doux. En fin de cuisson, le mélange ne doit être ni sec, ni liquide. Hors du feu, on ajoute des câpres et des anchois, particularité de ce plat qui se distingue ainsi beaucoup de nos pâtés de foie de volaille. Vos crostini sont alors presque prêts, une fois le mélange tiédi, émincez votre préparation soit au couteau ou au mixeur, dépendant de la consistance préférée, la tradition évidemment privilégiant l’usage du couteau. Corrigez l’assaisonnement, en général les anchois apportent le sel nécessaire. Servez le tout sur du pain grillé.
Un oignon, 400/500 gr de foies de volaille, 50 grammes de câpres conservées dans le vinaigre, un verre de vin doux, 300 ml de bouillon de volaille, 3 filets d’anchois, 3 feuilles de sauge
Il secondo…. Peposo all’imprunetina ou peposo dell’ Brunelleschi
En Toscane, le bœuf est une religion, la race Chianina n’ayant rien à envier à nos charolaises et le vin a pour cépage le Sangiovese qui donne les meilleurs vins Toscans sinon Italiens.
On pourrait se « contenter » d’une Fiorentina, le fameux T-bone, où l’on déguste filet et contre filet, cuite au feu de bois, d’abord sur les deux cotés puis debout, posé sur l’os, ce qui permet au gras de fondre et de « nourrir » la viande…. Mais je m’égare ! Nous allons plutôt suivre les traces des ouvriers qui ont construit la merveilleuse cathédrale de Florence, Santa Maria del Fiore, le fameux Duomo. Lors de sa consécration, elle était la plus grande Eglise au monde. Outre sa taille majestueuse, c’est surtout sa coupole qui la rend unique, elle demeure aujourd’hui la plus grande coupole construite en brique. C’est à l’architecte Brunelleschi que l’on doit ce chef d’œuvre colossal. Les chiffres donnent une idée du gigantisme de l’ouvrage, 45 mètres de diamètres à l’intérieur, 55 à l’extérieur. Elle culmine à 116 mètres. On peut visiter la coupole et bénéficier d’une plongée impressionnante sur le chœur de l’Eglise et bien sûr, en sortant, une vue imprenable sur la magnifique capitale toscane ; seule condition, ne pas être claustrophobe, les escaliers médiévaux laissant peu de place pour le passage et surtout avoir de bon mollet et du souffle pour gravir les 250 marches pour atteindre la première terrasse. Vous me direz… mais la recette ??
Afin de cuire les milliers de briques nécessaires à la construction de son Duomo, l’architecte Brunelleschi fit appel aux artisans d’une bourgade située à quelques kilomètres de Florence, Impruneta, connu pour leur maitrise de la terre cuite. Les ouvriers cuisaient les briques dans de grands fours et, n’ayant pas le temps de cuisiner, plaçaient au milieu des briques un plat rempli de viande, d’herbes aromatiques et de vin qui mijotaient des heures durant sans que l’on ait à s’en occuper. Ainsi naquît le Peposo, recette emblématique de la capitale toscane. On le mangeait là encore avec du pain, particularité de ce dernier en Toscane, il est dit « sciapo », c’est-à-dire sans sel. Une fois le premier choc passé, on comprend qu’il est adapté à la dégustation des charcuteries et en particulier du jambon par définition très salés, l’un équilibrant l’autre. La légende narre que, dans cette terre où les guerres de voisinage furent nombreuses, c’est suite à un conflit avec la ville de Pise qui contrôlait le commerce du sel, imposa d’énormes taxes sur ce dernier. Les Florentins commencèrent ainsi à cuire le pain sans cet ingrédient. Le vin était bien sur un Sangiovese, cépage que l’on retrouve notamment dans le Chianti. Je vous conseille un Chianti Gallo Nero (un coq noir se trouve sur le goulot) qui est un garantie de qualité. Ce coq noir nous rappelle une autre histoire de conflit, cette fois-ci avec la ville de Sienne. La légende raconte qu’afin de déterminer la frontière entre les deux républiques rivales et mettre fin à la guerre, furent choisi deux cavaliers qui devaient partir au galop en direction de la ville adverse. Le lieu de leur rencontre marquerait la frontière. Le signal de départ devait être donné par le chant du coq. Les siennois choisirent un coq blanc qui fut traité comme un roi, bien nourri et bichonné pendant les jours précédant la course. Les Florentins choisirent un coq noir qui fut enfermé dans une cage sans nourriture. Le jour de la course, le coq noir, exaspéré par la faim chanta bien avant l’aube donnant le signal au cavalier florentin. Le coq blanc, trop bien nourri, à l’inverse ne se décida à chanter que bien après le lever du soleil, lançant à son tour le cavalier Siennois. Evidemment l’avance prise par le champion de Florence fit que la rencontre entre les cavaliers à quelques kilomètres à peine de Sienne, donnant un net avantage territorial aux Florentins et leur donnant notamment la riche vallée du Chianti….
La recette….
Dans une grande cocotte, placez les morceaux de bœuf à braiser taillés en gros morceaux. On choisira des morceaux assez gras, la recette ne prévoyant aucun ajout de matière grasse. On pourrait certainement utiliser la joue, tellement tendre après des cuissons lentes. On ajoutera ensuite une ou deux branches de romarin, quelques feuilles de sauge, une poignée de poivre en grain (d’où le nom de Peposo), une ou deux gousses d’ail, sel. On couvrira ensuite de vin, environ un litre et demi, l’important est que le vin recouvre complètement la viande. Bien sûr le choix du vin est important, la recette originale prévoit l’usage de Sangiovese et la qualité du vin influencera bien sur le résultat final. Commencez alors la cuisson à feu doux avec le couvercle pendant environ deux heures trente (pendant ce temps allez faire des briques) puis une autre heure sans couvercle afin que l’évaporation du vin soit quasiment complète.
Votre viande sera alors tendre et s’effilochera facilement. On peut le servir avec une purée de pommes de terre.
A table !
Pierre d’Her
Crédit photo : Pierre d’Her et DR
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