Marie-Christine Natta : « Le dandysme est pour Gainsbourg un moyen de dépasser cette mauvaise image de lui-même » [Interview]

Les éditions Passés composés sortent un ouvrage qui va plaire aux amateurs de Serge Gainsbourg et aux curieux. Signé Marie-Christine Natta et intitulé « Serge Gainsbourg, making-off d’un dandy », le livre évoque le dandysme d’un artiste qui n’a, et ne laisse toujours pas indifférent.

Pour évoquer l’ouvrage, présenté ici, nous avons interrogé Marie-Christine Natta.

Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?

Marie-Christine Natta : Je suis auteur, spécialiste de la littérature du XIXe siècle et plus spécifiquement du dandysme.

Après une biographie d’Eugène Delacroix et une autre de Charles Baudelaire, je publie un ouvrage sur Serge Gainsbourg qui est plus un portrait qu’une biographie

Breizh-info.com : Vous passez de Baudelaire à Gainsbourg. Certains y verront un grand écart, vous une suite logique. Pour quelles raisons ?

Marie-Christine Natta : Comme vous le dites, de prime abord, on ne voit pas ce qui rapproche le poète et le chanteur. En fait, ce lien existe bel et bien : Baudelaire et Gainsbourg sont des dandys, comme Delacroix d’ailleurs. Par ailleurs, Delacroix et Baudelaire font partie des grandes admirations de Gainsbourg, et occupent une grande place dans son imaginaire.

Breizh-info.com : Qu’est-ce que vous avez tenté de cerner dans cet ouvrage concernant Serge Gainsbourg ?

Marie-Christine Natta : Comme le titre « Serge Gainsbourg. Making of d’un dandy » l’indique, c’est le Gainsbourg dandy que j’ai mis en évidence, à travers son œuvre, sa vie et sa personne.

Je me suis intéressée à son look très élaboré fondé sur une alliance de luxe, de raffinement et de désinvolture. Que l’on songe, par exemple à sa célèbre « barbe de trois nuits », qui n’est pas le résultat d’un laisser-aller, mais qui exige au contraire de grands soins. Que l’on songe aussi à ses Repetto blanches portées pieds nus, ou ses jeans effrangés associés à des vestes Armani.

Gainsbourg exprime aussi son dandysme par la distance qu’il maintient entre lui et les autres. A ses débuts, il ne cherche pas à conquérir le public. Bien au contraire : sur scène, il se montre froid voire méprisant. Il cherche pourtant la célébrité et l’argent, mais sans emprunter les voies ordinaires. A l’instar de Baudelaire, Gainsbourg s’adonne sans retenue au « plaisir aristocratique de déplaire ». Et pour cela, il use et abuse de la provocation dans ses chansons et ses interviews. Le célèbre épisode du billet brûlé en est un parfait exemple.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui a fait son génie selon vous ?

Marie-Christine Natta : Le génie de Gainsbourg ? La question est délicate. Lui-même refusait le titre de génie. Rappelons que sa vocation première était la peinture, qui s’est révélée être une impasse. Il s’est alors tourné vers la chanson, un art qu’il a toujours considéré comme mineur, par opposition à la peinture ou à la musique, qui elles sont des arts majeurs.

Pour ma part, je considère que Gainsbourg est un génie de la chanson. Manon, Initials B.B. Melody Nelson sont des chefs-d’œuvre incontestables. Et il y en a bien d’autres. Certes, toutes ses créations ne se valent pas, mais aucune n’est médiocre. Je pense ici aux chansons yé-yé des années 60. Elles n’ont évidemment pas la densité des grandes pièces qu’on vient de citer, mais aucune n’est banale. Par exemple, en 1965, Poupée de cire poupée de son, qui a triomphé au concours Eurovision et a fait la fortune de Gainsbourg, n’est en aucun cas une charmante bluette : la jeune fille qui la chante, en l’occurrence France Gall, s’interroge sur ses contradictions, sur l’amour qu’elle ne vit pas, sur son identité éclatée :

Mes disques sont un miroir

Dans lequel chacun peut me voir

Je suis partout à la fois

Brisée en mille éclats de voix.

Cette belle métaphore est liée à Gainsbourg lui-même et au don d’ubiquité que lui procure le disque, et qui lui permet d’être lui aussi « partout à la fois ».

Breizh-info.com : Qu’est-ce qu’un dandy ?

Marie-Christine Natta : Un dandy est un élégant qui cultive son originalité, par sa mise vestimentaire, son cadre de vie, ses goûts, ses idées. C’est aussi un indépendant farouche qui répugne à toutes les entreprises collectives. C’est enfin un impassible qui aime surprendre et n’être jamais là où on l’attend.

Breizh-info.com : Comment le dandy a-t-il évolué et traversé les siècles ?

Marie-Christine Natta : A l’origine, le dandysme est une mode née en Angleterre à la fin du XVIIIe siècle. Elle est arrivée en France au début du XIXe siècle et s’est développée avec la vague d’anglomanie qui a déferlé sur le pays. Certains se moquaient de la froideur, de l’affectation et de la rigidité britannique des premiers dandys. C’est le cas de Chateaubriand et Stendhal, par exemple ; ils sont pourtant dandys à bien des égards, mais ne tiennent pas du tout à être rangés dans cette catégorie d’hommes pour laquelle ils n’ont aucune estime.

C’est Jules Barbey d’Aurevilly puis Baudelaire, deux écrivains dandys, qui ont révélé la profondeur du dandysme, qui ont compris qu’il est bien autre chose qu’une mode anglomane. Ce sont eux qui, les premiers, ont établi les bases de cette philosophie des apparences.

Breizh-info.com : Peut-on dire que Gainsbourg est un artiste incarnant la quintessence de l’individu exclusivement auto-centré ?

Marie-Christine Natta : Non. On ne peut pas définir Gainsbourg comme un « individu exclusivement auto-centré », car ce terme suppose un égoïsme forcené. Il est vrai Gainsbourg était égoïste et ne le cachait pas. Mais il savait aussi être très généreux, et même fastueux, avec ses amis, ses maîtresses, ses musiciens, ses techniciens. Sa générosité était proverbiale.

Je préfère donc dire que Gainsbourg cultive son moi. Cette formule est plus juste car elle suggère la dimension esthétique de sa démarche.

Breizh-info.com : Ce culte du moi n’est-il pas étonnant pour un homme physiquement particulièrement laid, et cultivant l’auto destruction permanente ?

Marie-Christine Natta : Je ne suis pas du tout d’accord avec vous. Je ne trouve pas Gainsbourg « physiquement particulièrement laid ». Bien sûr, il ne répond pas aux canons de la beauté de son époque, surtout celle de sa jeunesse, celle des années 50. Mais ses défauts sont largement compensés par un charme très puissant. Beaucoup de femmes, d’ailleurs, le trouvent beau. Les plus belles lui tombaient dans les bras, et même avant qu’il ait succès.

Mais ses magnifiques conquêtes ne l’ont pas empêché de souffrir d’un fort complexe de laideur.

Et pour répondre plus précisément à votre question, il n’est pas étonnant qu’un homme qui se trouve laid soit dandy. Le dandysme est pour Gainsbourg un moyen de dépasser cette mauvaise image de lui-même. C’était le cas aussi de Barbey d’Aurevilly, qui se jugeait « laid comme un pirate ». En se forgeant un beau masque, il faisait oublier l’héritage ingrat de la nature.

Breizh-info.com : Vous évoquez, le concernant, une posterité « miraculeuse » En quoi cela relève-t-il du miracle ?

Marie-Christine Natta : D’un point de vue extérieur, il n’est pas miraculeux qu’une œuvre de cette envergure continue d’influencer les jeunes générations.

Moi, quand je parle de miracle, je me place ici du point de vue de Gainsbourg, dont les débuts ont été très difficiles. Il lui a fallu vaincre sa timidité, son complexe de laideur, l’hostilité de ses premiers publics.

D’une part, il était fier d’être parvenu à obtenir la reconnaissance artistique et commerciale qu’il recherchait. Mais d’autre part, il était très sceptique sur sa postérité artistique. Ce n’est pas une question qui le hantait. Je pense qu’il serait aujourd’hui très étonné et surtout très heureux de voir de jeunes chanteurs se revendiquer de lui.

Breizh-info.com : Qu’avez vous pensé du film consacré à Gainsbourg, vous qui avez étudié son personnage en profondeur ?

Marie-Christine Natta : Je suppose que vous voulez parler du film de Joann Sfar Gainsbourg (vie héroïque) sorti en 2010.

Sur le plan biographique, ce film comporte des confusions et des invraisemblances, que j’ai trouvées gênantes. Mais Sfar s’en défend en disant : « J’aime trop Gainsbourg pour le ramener au réel. Ce ne sont pas les vérités de Gainsbourg qui m’intéressent, ce sont ses mensonges. »

Point positif : le réalisateur a beaucoup insisté sur le thème du double, qui est très important chez le chanteur, qui, dans les dix dernières années de sa vie, a mis en scène la dualité Gainsbourg-Gainsbarre.

Enfin, la prestation d’Eric Elmosnino dans le rôle-titre est excellente.

Breizh-info.com : Travaillez vous sur d’autres projets actuellement ?

Marie-Christine Natta : Oui, je travaille sur un autre projet, très différent de Gainsbourg, mais je ne peux pas vous en dire plus.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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Une réponse à “Marie-Christine Natta : « Le dandysme est pour Gainsbourg un moyen de dépasser cette mauvaise image de lui-même » [Interview]”

  1. Ric Wald dit :

    Le Dandy que je préfère, c’est Corto Maltese d’Hugo Pratt (Ballade de la mer salée-Les Ethiopiques-Les Celtiques-Fables de Venise). Certes, c’est un personnage de fiction, mais il représente l’archétype du Dandy. Nul doute qu’Hugo Pratt l’était aussi.
    Gainsbourg l’était sûrement. Gainsbarre serait plutôt un anti-dandy ou un dandy raté, mais d’un ratage savamment calculé. Du dandysme au second degré, en quelque sorte…..

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