L’écrivain allemand Günter Maschke, au parcours politique et idéologique atypique, s’est éteint ce lundi 7 février 2022 à Francfort-sur-le-Main en Hesse. Spécialiste du philosophe et juriste décisionniste allemand Carl Schmitt (1888-1985) et de l’écrivain espagnol contre-révolutionnaire Juan Donoso Cortés (1809-1853), il avait réalisé ses débuts en politique au sein de la gauche radicale allemande, avant de rejoindre la sphère de la Nouvelle droite.
Une jeunesse allemande
Né à Erfurt en 1943, peu avant l’effondrement de l’Empire qui se voulait millénaire, Günter Maschke, enfant adopté, arrive, avec sa famille, à l’âge de six ans à Trèves (Trier), une ville allemande située à côté de la frontière du Grand-Duché de Luxembourg. Il y réalise ses humanités, puis suit une formation afin de devenir commercial dans le domaine des assurances.
En 1960, Maschke adhère à la Deutsche Friedens-Union (DFU-Union allemande pour la paix), un petit parti politique de gauche, et peu après au Kommunistische Partei Deutschlands (KPD-Parti communiste allemand) illégal. À la haute-école technique de Stuttgart au Bade-Wurtemberg, il suit les cours du philosophe Max Bense (1910-1990) et fait la connaissance de Gudrun Ensslin (1940-1977), future cofondatrice, aux côtés d’Andreas Baader (1943-1977), Horst Mahler (1936-) et Ulrike Meinhof (1934-1976), de l’organisation terroriste de gauche radicale Rote Armee Fraktion (RAF-Fraction Armée Rouge), et de sa sœur Johanna Ensslin.
Günter et Johanna déménagent à Tübingen, la ville du Bade-Wurtemberg qui abrite le séminaire évangélique qui a eu pour élèves les représentants de l’idéalisme allemand Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831), Friedrich Schelling (1775-1854) et Friedrich Hölderlin (1770-1843), qui, adeptes de la Révolution française, y ont planté un arbre de la liberté. Hölderlin, poète devenu fou et incurable, a passé dans cette cité les 36 dernières années de sa vie au sein d’une tour située au bord du Neckar.
Le couple se marie en 1965. Günter y étudie la philosophie du néo-marxiste Ernst Bloch (1885-1977) et est, de 1963 à 1964, rédacteur de la publication estudiantine Notizen (notes ou annotations). Il adhère au groupe situationniste – influencé par l’écrivain français Guy Debord – Subversive Aktion (Action subversive). Après la dissolution en 1966 de ce mouvement, Günter Maschke rejoint le Sozialistischen Deutschen Studentenbund (SDS- Union des étudiants socialistes allemands).
Rejetant, pour des raisons idéologiques, tant le service militaire obligatoire, que le service civil pouvant le remplacer, il fuit en Autriche afin d’éviter une incarcération pour cette raison et y prend part au mouvement étudiant Kommune Wien (Communauté d’habitation Vienne). En octobre 1967, il est arrêté lors d’une manifestation contre la guerre du Vietnam et doit être extradé vers la République Fédérale Allemande (RFA). Les actions de Kommune Wien permettent d’éviter cette expulsion territoriale et Günter Maschke est accueilli par le régime castriste à Cuba. Il y passe deux ans et en est expulsé suite à son comportement peu favorable au système en place. Revenu en Allemagne fédérale, il purge une peine d’un an de prison en Bavière, à Munich et Landsberg, pour désertion. Le juge qui l’a condamné est victime d’une tentative de meurtre par attaque incendiaire revendiquée par un groupe de gauche radicale ayant exigé sa libération.
Le tournant idéologique
Maschke est ensuite professeur à l’école de la Marine à La Punta au Pérou, au sein de laquelle il enseigne aux officiers la stratégie du combat des partisans. Il est également le correspondant du quotidien conservateur allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, un des organes de presse les plus lus du pays.
Étudiant l’œuvre du catholique conservateur Carl Schmitt, Günter Maschke devient un des spécialistes de son œuvre, ainsi qu’un de ses amis personnels. Suite à une querelle littéraire, avec le représentant de la deuxième génération des théoriciens de l’École de Francfort Jürgen Habermas, à propos de Carl Schmitt, Maschke est exclu, sous l’impulsion du théoricien du « patriotisme constitutionnel » – terme repris par Habermas – Dolf Sternberger, de sa collaboration avec le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Il est chercheur indépendant à Francfort-sur-le-Main et traduit et édite les textes de Juan Donoso Cortés et de Carl Schmitt. Il écrit dans les publications de la Nouvelle droite allemande Junge Freiheit, Staatsbriefe, Criticon et Etappe, dont il est co-éditeur à partir de 1993.
Alors que les anciens représentants de la gauche radicale allemande qui n’ont pas sombré dans le terrorisme de la Fraction armée rouge ayant conduit à l’ « Automne allemand » de 1977 réalisé par la deuxième génération de ce mouvement – marqué par l’assassinat du procureur fédéral et ancien membre du parti national-socialiste Siegfried Buback (1920-1977), le meurtre du président du directoire de la Dresdner Bank AG Jürgen Ponto (1923-1977), l’enlèvement du « patron des patrons » allemands et ex-officier SS Hanns Martin Schleyers (1915-1977), le détournement du Boeing 737-200 de la compagnie allemande Lufthansa vers Mogadiscio en Somalie et le suicide qui en a résulté de membres de la première génération de la RAF, emprisonnés à Stuttgart-Stammheim au Bade-Wurtemberg, Andreas Baader (1943-1977), Gudrun Ensslin (1940-1977) et Jan-Carl Raspe (1944-1977), puis la découverte du cadavre d’ Hanns Martin Schleyers abattu par ses ravisseurs – ont atteint de hautes fonctions, liées à de plantureux salaires, au sein de l’État et de la société allemande, notamment en passant par le parti écologiste, l’un ou l’autre de ces protagonistes, tels Günter Maschke, le rédacteur en chef du magazine Compact Jürgen Elsässer (1957-), le sociologue et écrivain Bernd Rabehl (1938-), l’écrivain Reinhold Oberlercher (1943-) et Horst Mahler (1936-), ont rejoint les sphères idéologiques du nationalisme ou du nationalisme radical.
Gestion du passé
L’Allemagne est restée un pays embourbé dans sa « gestion du passé », entre celle de la génération de la guerre ayant pris part à ces faits et ne considérant pas qu’elle a fauté et celle de la suivante, se révoltant en 1967-68 contre l’« amnésie » de la précédente.
Désormais, les Soixante-huitards étant partis à la retraite, leurs idées sont dominantes dans le pays, à travers le monde de la politique, des médias, de l’enseignement et de la culture. Elles ont contaminé l’ensemble de l’échiquier politique, à l’exception du parti patriotique Alternative pour l’Allemagne et d’une aile minoritaire du parti post-communiste die Linke représentée par Sahra Wagenknecht (1969-).
Le militant anti-islamisation munichois Michael Stürzenberger (1964-), condamné plusieurs fois pour délit d’opinion, m’expliquait, alors que nous prenions un verre ensemble dans le Jardin de la Cour dans le centre de la capitale bavaroise : « Lorsque j’avais vingt ans, j’étais de gauche et nous, les jeunes de l’époque, étions tous de gauche. Tout allait bien, il n’y avait pas de problèmes et donc pas de raisons d’adhérer à une autre ligne idéologique. » Cette voie de la gauche très à gauche vers le patriotisme, d’autres l’ont empruntée, tel l’écrivain et homme politique néerlandais Pim Fortuyn (1948-2002), assassiné pour ses opinions. Günter Maschke a suivi le même chemin idéologique qui correspond à un changement sociétal.
Lionel Baland
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