Samedi 12 février est une date historique pour Kerguelen ! En effet l’année 2022 marque d’une part les 250 ans de la découverte de l’archipel Crozet par l’expédition de Marion du Fresne, qui fit débarquer son second, Julien Crozet, sur l’île de la Possession le 24 janvier 1772, et d’autre part les 250 ans de la découverte de l’archipel Kerguelen par l’expédition commandée par le Breton Yves Joseph Kerguelen de Trémarec, le 12 février 1772.
Qui était Yves Joseph Kerguelen de Trémarec ?
Dans la marine depuis 1750, Kerguelen s’intéresse à ce qui est une des grandes préoccupations des milieux scientifiques et littéraires de son temps : l’existence d’un continent austral qu’on situait dans le Pacifique sud et dont Bouvet de Lozier avait cru apercevoir l’extrémité en 1739 (le cap Circoncision, en réalité l’île Bouvet). À sa demande, Kerguelen dirige une expédition dans les mers australes, à partir de l’île de France : le 12 février 1772, il découvre l’archipel qui porte son nom, mais ne peut l’explorer à cause d’une violente tempête. Persuadé qu’il s’agit de « la masse centrale du continent antarctique » dont il fait imprudemment une description idyllique, il obtient le commandement d’une division de trois bâtiments pour en compléter l’exploration et débarquer des colons. Après deux mois de navigation difficile, il touche à nouveau l’archipel le 14 décembre 1773, constate qu’il n’offre aucune ressource et en est réduit à mettre le cap sur Madagascar pour réparer ses avaries et soigner ses malades. Cet échec, des accusations d’inconduite et les intrigues de ses nombreux ennemis lui valent d’être condamné à vingt ans de forteresse (1775). Libéré au bout de quelques années, il reprend du service pendant la Révolution, est nommé contre-amiral, puis est destitué en 1795 au lendemain de la défaite navale de Groix. Il a laissé la Relation des deux voyages dans les mers australes et des Indes, faits de 1771 à 1774 (1782) et la Relation des combats et événements de la guerre maritime de 1778 entre la France et l’Angleterre (1796).
« Marc Joseph Marion du Fresne et Yves Joseph de Kerguelen de Trémarec sont passés à la postérité en tant que navigateurs et explorateurs. Au XVIIIe siècle, ils partent, à quelques mois d’intervalle, à la recherche du mythique continent austral, la Terra australis incognita imaginée depuis l’Antiquité quelque part au sud du sud des mondes connus. Tous deux eurent des parcours et des destins bien différents, l’un tombant mortellement sous les coups des Maoris, alors que l’autre était reçu comme un nouveau Christophe Colomb à la Cour, avant son inéluctable et lente déchéance » indique Isabelle Autissier, navigatrice française, écrivaine, présidente du conseil consultatif des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), marraine du 250e anniversaire de la découverte de Crozet et Kerguelen.
« Marion du Fresne et Kerguelen partagent néanmoins un incontestable mérite : celui d’avoir fait une découverte il y a 250 ans, celui d’avoir donné, aujourd’hui, des terres australes à la France et la responsabilité de joyaux de biodiversité. L’histoire de ces découvertes, et l’histoire de ces territoires devenus les districts des archipels Crozet et Kerguelen administrés par les Terres australes et antarctiques françaises, sont marquées par des tentatives – souvent dramatiques et toujours héroïques- de peuplement, mais aussi d’exploitations économiques et d’implantations scientifiques. Cette part épique, et encore méconnue, de notre héritage maritime, entre en résonance avec le défi que représente aujourd’hui encore la desserte logistique indispensable aux missions de souveraineté, de soutien à la recherche et de protection des écosystèmes de cette France du bout du monde. Quelle meilleure occasion qu’un anniversaire pour une mise en lumière, pour en partager l’exceptionnelle richesse de beauté et de diversité avec tous nos concitoyens ! » poursuit-elle.
LA FRANCE À LA RECHERCHE DU CONTINENT AUSTRAL (Terra australis incognita)
La quête d’un continent austral mythique et mystérieux qui, par sa présence dans l’hémisphère sud, équilibrerait symétriquement la masse des terres situées dans l’hémisphère nord, est millénaire. Les premières hypothèses sont posées dès l’Antiquité, par les Grecs puis par les Romains. La Terra australis incognita continue de hanter les conceptions cosmographiques du Moyen Âge, pour apparaître finalement sur les cartes marines à partir de la Renaissance, sous la forme d’une vaste terre qui s’étend parfois du détroit de Magellan jusqu’à l’Australie. À la fin du XVIe siècle, les écrits de l’historien et écrivain français Voisin de La Popelinière (ca 1541-1608) font écho aux découvertes réalisées par les navigateurs européens. Portugais et Espagnols s’aventurent toujours plus au sud, non pas en quête de vérité géographique, mais à la recherche de nouvelles routes commerciales synonymes de nouveaux marchés. Suivis par les Anglais, les Hollandais et les Français, aucun d’eux ne découvre le fameux continent austral.
Kerguelen, la Fortune et le Gros-Ventre
C’est de Lorient qu’Yves Joseph Kerguelen de Trémarec (1734-1797) reçoit en mai 1771 l’instruction de Louis XV de découvrir, à partir de l’île de France (Maurice, qu’il quitte seulement en janvier 1772 avec la Fortune et le GrosVentre) « un très grand continent dans le sud des îles de Saint-Paul et d’Amsterdam ». Il revient triomphant à Brest en juillet 1772, annonçant la découverte le 12 février 1772 du continent austral qu’il baptise « France Australe ». Mais il s’agit en fait d’îles australes formant l’archipel des Kerguelen, qui sera ainsi nommé en 1776 par l’explorateur anglais James Cook (1728-1779).
Marion du Fresne, le Mascarin et le Marquis de Castries
Fin 1771, le capitaine Marc Joseph Marion du Fresne (ca 1724-1772), lui aussi à la recherche de la Terra australis, fait voile vers le sud depuis le cap de Bonne Espérance, avec le Mascarin et le Marquis de Castries. Mais c’est un archipel glacé qu’il découvre le 24 janvier 1772, là encore des îles australes, que Cook baptisera du nom de « Crozet » en souvenir du second de Marion du Fresne, Julien Crozet, qui y débarqua.
DES TERRAINS DE CHASSE PRISÉS PAR LES BALEINIERS ET LES PHOQUIERS D’EUROPE ET D’AMÉRIQUE
La nouvelle de ces découvertes se répand très vite en Europe et en Amérique, et suscite des expéditions voire des implantations temporaires pour en exploiter les ressources. Baleines et éléphants de mer sont chassés pour leur graisse, qui permet de fabriquer l’huile nécessaire aux mécanismes des premières machines de l’ère industrielle et aussi utilisée à l’éclairage public. Les otaries sont quant à elles décimées pour leur fourrure, très prisée pour la fabrication de vêtements.
DES MERS DE NAUFRAGES
Les eaux tumultueuses et les récifs représentaient de réels dangers pour les navires s’aventurant au-delà des Quarantièmes rugissants ; la peur du naufrage hantait les esprits. L’île de l’Est pour Crozet, les îlots des Apôtres et la pointe Charlotte à Kerguelen, furent le théâtre d’épisodes tragiques et épiques pour nombre de chasseurs, marins, et passagers.
L’ÈRE DES GRANDES EXPÉDITIONS SCIENTIFIQUES INTERNATIONALES
Finalement, seuls les hommes épris de science et de protection de la nature ont su apprivoiser ces terres de l’extrême. L’année 1874 sera historique. Trois expéditions scientifiques (anglaise, américaine et allemande) vont venir observer, depuis les rivages des archipels Crozet et Kerguelen, le passage de Vénus devant le Soleil, un évènement attendu par les astronomes du monde entier pour calculer avec précision la distance entre la Terre et le Soleil. Une vocation scientifique de ces îles que viendra confirmer l’Année Géophysique Internationale (AGI) des années 1957-1958.
Tout au long de 2022, tant en métropole qu’à La Réunion et dans les districts des TAAF, les autorités vont mettre en place un programme faits notamment d’événements culturels.
Février : exposition « Les Terres australes et antarctiques françaises » présentée aux députés et au personnel de l’Assemblée nationale.
Du 6 au 8 juin : journées d’études aux Archives nationales (Pierrefitte-sur-Seine) « Terres australes et antarctiques françaises : de la Nouvelle Amsterdam à la terre Adélie, archives du bout du monde »
Du 24 juin 2022 au 5 mars 2023 : exposition « Voyage en terres australes : Crozet et Kerguelen 1772-2022 » au Musée de la Marine de Brest. Présentation exceptionnelle d’objets issus de collections publiques et privées, et pour certains transportés pour la première fois depuis les archipels Crozet et Kerguelen
Du 17 au 19 juin : Journées européennes de l’archéologie Mise en ligne de nouveaux contenus patrimoniaux numérisés (archives, photos), conférence en ligne.
Été-automne 2022 : Festival Photo La Gacilly Exposition de la photographe Mélanie Wenger embarquée sur le Marion Dufresne en décembre 2021.
Septembre 2022 : Institut océanographique de Monaco Exposition « TAAF » en partenariat avec le Musée national de la Marine de Brest
Septembre : Journées européennes du patrimoine Accueil à Saint-Pierre de La Réunion d’une déclinaison de l’exposition « Voyage en terres australes : Crozet et Kerguelen 1772-2022 ».
Du 5 au 9 octobre : participation des TAAF aux Rendezvous de l’Histoire de Blois.
Illustration : DR
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