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Non à la ragougnasse…

Nous vivons des temps affreux. Chaque samedi soir, lorsque j’attends le feuilleton de « Meurtres à Trifoullis », je ne peux me défaire de l’accablement  que suscite l’apparition sur mon écran d’un jeune préposé à la mal-bouffe. Et je te triture à mains nues des morceaux de kekchose dans une grosse gamelle, je t’ajoute des petites fleurs cueillies dans un ancien pot-de-chambre et je t’invite à partager cette pitance, soi-disant « locale », avec un monsieur ou une dame qui essaient de jouer sans conviction les utilités. Le temps de vaquer à d’autres choses importantes, je coupe le son ! Happily ! Il n’est pas le seul, hélas ! Mon émission préférée d’Arte (« Invitation au voyage ») est maintenant coupée d’une « recette » de rata qui soulève le cœur… Beurk !

Il y a déjà un certain temps que la « cuisine de foire », racontée jadis par Raymond Dumay, a terminé ses jours, définitivement renversée dans le fossé. Cela tient à la transformation de cuisiniers rusés ou forts en gueule en bonimenteurs expérimentés, vendeurs de paroles (comme des psychanalystes) et de beaux livres qui continuent de se conduire en « bourrins » des fourneaux, comme disait feu Alain Chapel (le grand oublié des Dombes). Des éditeurs y ont fait fortune, ne nous le cachons pas.

Je me souviens d’une affaire qui en dit long sur cette part du compliment. En ce temps-là, un éditeur (je ne dirai pas son nom tant il aurait dû avoir honte) s’en était allé à Frankfurt-am-Main faire son marché. Il jeta son dévolu sur un ouvrage alléchant qui proposait une lecture détaillée des bonnes manières de faire son potage dans notre beau pays français… mais c’était écrit en anglais ! On me demanda d’éclairer la lanterne et de rechercher des traducteurs alors que, d’évidence, les françaises existaient. Rien qu’au nom des auteur(es) ma langue se dessécha dans mon gosier. Il ne s’agissait pas moins des excellentes sœurs Scotto di Vettimo (et Marianne, ma préférée) qui s’étaient fendues d’un travail de titan(es) sur les bonnes recettes de nos campagnes et provinces y attenantes… Elles n’avaient trouvé de débouché qu’en anglais « australien » tellement ça commençait à décliner ici. La traduction ne se nécessitait pas… œuf corse !

Depuis ça aurait empiré… Récemment, j’ai même vu un spécialiste de la  « bouffe locale » transformer la « potée champenoise » qu’il avait faite, à l’insu de son plein gré, en « pot-au-feu ». Parole ! Il mettait du chou ! Dans le pot-au-feu y’a pas d’chou malheureux ! Et pourquoi pas de gros soissons — comme on appelle les fayots de Neustrie. Il avait sans doute été influencé par le « cocido » madrilène de mes ancêtres à moitié mauresques… Tss ! Plus des trois quarts des gars qui interviennent sur la « bouffe » (je n’emploie pas d’autre terme pour leurs ignominies, sinon celui de « ragougnasse ») sont des nuls qui ne méritent pas leur cacheton.

Prenons de la hauteur géographiquement ! Je n’oserai plus aller me promener en Italie où les petits troquets vous accueillaient autour de midi en vous proposant des plats de pâtes divins… en entrée. Suivis de jambons qui fondaient sur la langue et d’un plat solide inventé par la patronne. Quelle misère que tout ait disparu ! Je ne vous parle pas de l’autre versant des Pyrénées. Avec leur « novida », comme ça a dû changer ! Ils se sont mis à imiter les « gabachos » — les « ploucs »… Et flanquer leurs perdrix au vinaigre (Barcelone, calle de Avinyo ! à côté des « Demoiselles » ) de quelque fruit ou fleur coupée… Ah là là ! Comme c’était mieux avant ! On avait trente ans et le « godillot » n’était pas notre cousin !

Désormais, mon grand âge m’incite à la sagesse. Un verre de vin (pas trois !), un plat de viande et un fromage… comme dit le gentil monsieur de feu le PCF qui se présente à l’opinion. Parole, on en reprendrait si la lecture de la belle Sofia Oksanen me gelait les rotules rien que d’y penser. L’Estonie est un beau pays, en face de la Finlande… je ne vous dis que ça. Je n’ai pas goûter leur cuisine à ces gars-là. Je « dubite » à son sujet, y’a trop de bidoche aigre  —  « dubiter », c’est du « moyen français (1330-1500) » dit mon dictionnaire.

MORASSE

Crédit photo : DR
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