Ce mois-ci, plus d’une douzaine de nations africaines ont participé au sommet de deux jours sur le partenariat Turquie-Afrique à Istanbul, organisé par le président turc Recep Tayyip Erdogan. Son thème était « Un partenariat renforcé pour un développement et une prospérité communs ».
Environ 16 chefs d’État étaient présents, dont les présidents du Ghana, du Zimbabwe et du Sénégal. Le président en exercice de l’Union africaine, Félix Tshisekedi, y a également assisté, ainsi que 102 ministres (dont 26 ministres des affaires étrangères) de 39 pays différents. Un mémorandum de coopération a été signé entre la zone de libre-échange continentale africaine (AfCFTA) et la Turquie. La présence d’un si grand nombre d’autorités de haut niveau a constitué un accomplissement diplomatique pour le président Erdogan.
Au cours de l’événement, Erdogan a déclaré : « Ce sommet témoigne du fait que la Turquie s’intéresse à l’Afrique et que l’intérêt de la Turquie pour l’Afrique n’est pas un intérêt temporaire, mais un engagement durable. Nos frères et sœurs africains montrent qu’ils sont intéressés par une meilleure coopération avec la Turquie. » Il a également souligné le fait que 1,3 milliard de personnes vivent sur le continent et que celui-ci n’est pourtant pas représenté au Conseil de sécurité des Nations unies, une situation qu’il a qualifiée d’« énorme injustice flagrante ».
Le président turc a également annoncé que son pays allait livrer 2,5 millions de doses de vaccins Covid-19 à l’Afrique dans les jours suivants. Le sommet a produit des lignes directrices pour la coopération turque avec plusieurs pays africains (le « Plan d’action conjoint du partenariat Turquie-Afrique 2021-2026″), avec un certain nombre de projets qui incluent également le secteur privé, couvrant un certain nombre de domaines tels que l’éducation, les projets d’infrastructure, la sécurité, l’agriculture, etc.
Les principaux partenaires commerciaux de la Turquie en Afrique sont le Nigeria et l’Afrique du Sud, suivis de l’Éthiopie. La présence turque en Libye est bien connue, mais elle a également des investissements au Sénégal, une base militaire en Somalie et elle cherche actuellement à renforcer encore davantage ses liens avec le Nigeria ainsi qu’avec d’autres pays. Entre 2002 et cette année, les ambassades turques sur le continent sont passées de 12 à 43, tandis qu’entre 2003 et 2020, le volume des échanges bilatéraux entre l’Afrique et la Turquie est passé de 5,4 milliards à 25,3 milliards de dollars. Les entreprises turques se sont implantées dans toute l’Afrique, en particulier dans les secteurs de la construction, du textile et des appareils électroniques. La Turquie fournit des armes et des équipements militaires, notamment des drones, à plusieurs nations africaines et son personnel militaire forme actuellement des soldats somaliens.
Loin d’être un simple engagement économique, les autorités turques ont en fait développé une politique étrangère cohérente à l’égard du continent africain, impliquant aide, entreprises, liens culturels et militaires, ainsi qu’une bonne diplomatie.
Cependant, tout n’est pas rose ; la présence turque, notamment dans son aspect militaire, alimente également certaines tensions et contradictions en Afrique, car la République turque est impliquée dans un certain nombre de guerres par procuration. Le continent est déjà assez divisé sur le conflit israélo-palestinien, surtout après les accords d’Abraham, qui ont ouvert la porte à de nombreux États arabes pour normaliser leurs relations avec l’État juif, certains d’entre eux considérant aujourd’hui la Turquie comme leur principale préoccupation. Ankara a été une critique sévère de ces accords de normalisation et de la coopération israélo-arabe qui en a découlé, impliquant souvent une dimension militaire.
La Turquie joue un rôle agressif dans le différend algéro-marocain sur la région du Sahara occidental – une question très polarisante, qui constitue déjà en soi une menace sérieuse pour la stabilité économique en Afrique du Nord et même en Europe. La Turquie est également impliquée (contre l’Égypte) dans les différends entre l’Éthiopie et l’Égypte concernant les projets éthiopiens de construction d’un barrage sur le Nil bleu. Il s’agit d’une autre cocotte-minute de tensions – aggravée par le récent coup d’État au Soudan. Ankara a fourni des drones militaires à l’Éthiopie et a été accusée d’offrir son expertise pour le projet de barrage controversé.
En outre, la présence militaire turque en Libye inquiète particulièrement les autorités égyptiennes du Caire, qui ont soutenu l’Armée nationale libyenne (ANL) de Haftar, basée à Tobrouk, dans la guerre civile libyenne, tandis que la Turquie soutient le Gouvernement d’entente nationale (GNA) basé à Tripoli avec des troupes. En janvier, l’Égypte a tendu la main à ce dernier, dans le but de contrer l’influence turque. Ankara reste le principal soutien du GNA, suivi du Qatar, tandis que la LNA est soutenue par les Émirats arabes unis (EAU), la Russie et la France.
Ce scénario complexe implique une sorte de guerre par procuration entre la Turquie et l’Arabie saoudite plus les EAU, comme c’est le cas pour le Sahara occidental. Depuis au moins le mois de mars, Le Caire et Ankara tentent d’apaiser leurs tensions – sans grand succès jusqu’à présent, malgré quelques évolutions. L’Égypte considère les Frères musulmans comme une organisation terroriste, tandis que la Turquie reste une plaque tournante régionale pour ce groupe, qu’elle utilise souvent comme un outil de hard et soft power – comme elle le fait ailleurs (en Europe) avec les Loups gris, qui sont également considérés comme une organisation terroriste par de nombreux États.
Plus récemment, la Turquie, avec le soutien du Qatar, a cherché à se rapprocher des Émirats arabes unis, ainsi que d’autres adversaires traditionnels. Cependant, derrière ces gestes de bonne volonté, Ankara n’a pas repensé son programme néo-ottomaniste et pan-turc du « Grand Turan ».
Bien que la diplomatie turque soit très sophistiquée, qu’elle parvienne souvent à surmonter certaines rivalités régionales pour maintenir de bonnes relations bilatérales avec un certain nombre de nations (malgré ces différends), et que de nombreux États puissent certainement bénéficier du renforcement de leurs liens avec Ankara, la présence militaire de la Turquie à l’étranger, alimentée en grande partie par une idéologie néo-ottomane irrédentiste, a contribué à accroître les tensions et l’instabilité en Méditerranée, dans la région du Caucase, en Europe de l’Est et au Moyen-Orient. Il en va de même en Afrique, où Ankara envisage d’accroître progressivement cette présence.
Le récent sommet turco-africain a clairement montré que la Turquie souhaite partager son expertise en matière de lutte contre le terrorisme et renforcer la coopération militaire sur le continent africain, même si la manière exacte dont elle compte s’y prendre n’est pas encore claire. Quoi qu’il en soit, cela pourrait déclencher de nouveaux points de discorde.
Uriel Araujo (Infobrics, traduction breizh-info.com)
[cc] Breizh-info.com, 2021, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine
Une réponse à “Géopolitique. La Turquie accroît sa présence militaire en Afrique”
c’est parfait ! que la turquie développe l’afrique (comme elle réussit sur son sol à vaincre la pauvreté, et maintenir son économie et sa monnaie!!!) bon vent aux africains! que la france s’occupe de ses citoyens serait aussi une politique à considérer