Nous vous avons annoncé lundi la sortie d’un excellent numéro de la revue Livr’arbitres consacré notamment à la Bretagne littéraire.
Littérature et société : la revue non-conforme Livr’arbitres se dévoile [interview]
Pour évoquer le contenu, et parler de la revue, nous avons interrogé Patrick Wagner, directeur de publication de la revue.
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Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la Bretagne littéraire pour ce numéro de Livr’arbitres ?
Patrick Wagner (Livr’arbitres) : Tout d’abord il nous faut préciser que nous avons entamé un Tour de France littéraire et que toutes les régions de France seront mises à l’honneur ! Mais la Bretagne de toute façon était un passage obligé ! Elle a une grande place dans notre imaginaire collectif où que le regard se porte : Astérix le célèbre personnage plus vrai que nature, que tout le monde vous envie est sans doute le personnage préféré des Français (il devrait d’ailleurs y avoir un sondage pour connaître les « héros de notre imaginaire » préférés des Français). Le cycle arthurien également qui est une grande source d’inspiration pour petits et grands dont Brocéliande cristallise toutes les extrapolations. Mais l’on ne peut passer à côté des korrigans et autres farfadets, petit peuple des grottes, tumuli et autres dolmens. Tout aussi important et souvent ignoré, le patrimoine oral avec par exemple les chants marins (chantonnés lors de nos veillées scoutes, le fameux « Le trente et un du mois d’août« , l’un des nombreux chants marins glorifiant les exploits du corsaire Surcouf au début du XIXe siècle. D’un auteur inconnu, la chanson récite la victoire du capitaine malouin face au navire anglais Kent, le 31 août 1800, alors que ce dernier n’était pas en position de force au début du combat.
C’est ainsi que le corsaire entra dans la légende et inspira l’auteur de ce chant, dont les paroles séduiront bon nombre de marins !) jusqu’aux bagads magnifiés lors de la grande parade de Lorient.
On le voit, la Bretagne est une région à fort potentiel, et, un peu plus pauvre que le reste de la France jusqu’à la seconde guerre mondiale, plus isolée aussi, elle a su garder presque intact son identité, quand bien même aujourd’hui, celle-ci est mise à mal. Pourtant, l’esprit breton demeure, il suffit de voir la vigueur des pèlerinages dont celui du Tro Breiz, ce pèlerinage né au Moyen-Age qui permet d’honorer les sept Saint fondateurs du Christianisme en Bretagne. Bref, un « pays » à part entière, avec son hymne national, le « Bro Gozh Ma Zadoù » (« le vieux pays de mes pères ») dont le refrain
« O Bretagne, mon pays, que j’aime mon pays tant que la mer sera comme un mur autour d’elle. Sois libre, mon pays ! Bretagne, terre des vieux Saints, terre des Bardes, il n’est d’autre pays au monde que j’aime autant ; Chaque montagne, chaque vallée est chère dans mon cœur. En eux dorment plus d’un Breton héroïque ! »
n’a pas besoin de commentaire, tout comme ce texte magnifique du groupe Tri Yann, La découverte ou l’ignorance :
«… À cette heure, des enfants naissent en Bretagne
Seront-ils Bretons ? Nul ne le sait
À chacun, l’âge venu, la découverte ou l’ignorance…»
Breizh-info.com : Quels sont les auteurs bretons qui, à titre personnel, vous ont le plus marqué ?
Patrick Wagner (Livr’arbitres) : Une bonne partie d’entre eux se retrouve dans notre dossier, formidablement introduit par un Breton de cœur, Bernard Rio. Pêle-mêle, vous y retrouverez Théodore Hersart de La Villemarqué, Saint-Pol-Roux, Xavier Grall, Anatole Le Braz, Per-Jakez Hélias, Chateaubriand, le barde Brizeux, Charles Le Goffic, Olier Mordrel, Jean Markale, Glenmor, Henri Queffelec, Jean-Pierre Abraham, Louis Grall. De mes années de fac, je garde en mémoire l’imaginaire arthurien (et Jean Markale ou Philippe Le Guillou n’y sont pas pour rien…) et de mes séjours en Bretagne, les contes bretons (Petite légende dorée de la Haute-Bretagne, Contes de Korrigans, Veillées bretonnes, Contes et légendes de Brocéliande, Les derniers jours de la ville d’Ys, Légendes traditionnelles de la Bretagne…) ! Pour les écrivains bretons, au-delà des sensibilités et des siècles, Chateaubriand (Mémoires d’outre-tombe) bien évidemment, mais aussi Henri Queffélec (Un recteur de l’île de Sein) et Louis Guilloux (Le sang noir) !
Quant à la poésie, l’immense Guillevic découvert sous la plume de Drieu la Rochelle… Puis-je évoquer La Brière d’Alphonse de Chateaubriant sans entrer dans la polémique sur Nantes et son rattachement à la Bretagne ?
Breizh-info.com : « Si vous croisez au loin en terre occidentale, les fantômes d’un passé qui fût grand, gardez-vous bien d’en rire tous reviennent » écrivait Glenmor, grand barde breton. Une citation plutôt d’actualité et pleine d’espoir non ? Quels autres contenus pourra trouver le lecteur dans ce nouveau numéro ?
Patrick Wagner (Livr’arbitres) : Pour rebondir sur votre citation, l’esprit de la « maison » est justement de faire parler les « morts » ! Faire parler les fantômes du passé, ou, si vous préférez de dépoussiérer les étagères de nos bibliothèques, souvent mise au rebut d’ailleurs ! Mais le goût de la lecture reviendra, rassurons-nous, comme celui des auteurs délaissés par de nouvelles générations de lecteurs perdus par les nouvelles publications et auteurs mis en avant, en tête de gondoles de supermarchés ou d’émissions télévisées… Comme l’écrivait Maurras au sujet de la politique, disons que tout désespoir en littérature est une idiotie ! Un auteur breton comme Louis Grall, que nous évoquons dans notre dossier, est là pour confirmer ce principe !
Alors que trouvons-nous dans ce numéro ? Nous fonctionnons de plusieurs manières… Entre les anciens et les modernes, notre cœur balance. Vous retrouverez donc des auteurs disparus (ici Emmanuel Berl et Michel de Saint-Pierre) ou des auteurs méconnus ou débutants qui méritent d’être découverts (il est difficile de faire un choix, alors discriminons un peu : Alexis Legayet, Xavier Eman, Bruno Lafourcade ou Thomas Clavel pour qui nous appelons à voter dans le cadre du prochain Prix des lecteurs de la presse française libre). De grands entretiens, ici avec Robert Kop au sujet de la correspondance d’écrivains. Nous évoquons également de nombreux domaines comme les essais, les biographies, la littérature jeunesse, la Bande-dessinée et de la science-fiction ou de la création littéraire avec de la poésie, des nouvelles, des récits de voyage… Bref, à chaque numéro un sommaire bien chargé et très éclectique sur 168 pages pour 12 euros seulement !
Breizh-info.com : Plus globalement, qu’est-ce qui fait la singularité de votre revue, mais aussi son succès ? Quels sont les prochaines soirées organisées par Livr’arbitres ? Peut-on imaginer des délocalisations, un jour, en dehors de Paris, pour présenter la revue ? Le prochain numéro est déjà en route. A quoi sera-t-il consacré ?
Patrick Wagner (Livr’arbitres) : Sa singularité et son succès, il faudrait le demander à nos abonnés ! Je pense surtout que nous répondons à une attente d’un certain public et que finalement notre longévité parle pour nous. Après, il y a la qualité de notre travail, nous persévérance et la marge de progression qu’il nous reste encore. Avec de faibles moyens, il faut le reconnaitre, nous pouvons tout de même nous réjouir du résultat. De petits moyens mais de grands talents qui nous rejoignent, nous suivent depuis plus ou moins longtemps. Nous avons une cinquantaine de contributeurs potentiels par n°, tous bénévoles. Nous fonctionnons sans publicité, nous sommes entièrement indépendants, libres d’évoquer les sujets qui nous intéressent sans avoir l’aval de quiconque ou la peur de heurter un annonceur ou un actionnaire ! Et comme l’écrivait Péguy, il faut toujours bousculer ses lecteurs mais pas toujours les mêmes !
Au niveau des soirées, la période covidienne n’est pas la plus heureuse pour organiser des évènements. Mais en principe, nous organisons une soirée à chaque parution de numéro. Notre prochain numéro paraîtra en décembre, nous y évoquerons : Napoléon, Brassens, dans le cadre de notre Tour de France littéraire « Les pays du Val de Loire », Dante, Dostoïevski et un grand dossier sur les « journaux d’écrivains » et bien évidemment nos rubriques habituelles !
Une délocalisation ? Ce serait avec grand plaisir… et à ce sujet, nous étudions la possibilité d’organiser une rencontre littéraire cet été à Saint-Malo ! Si cela se confirme, il sera urgent d’en reparler avec vous !
A bientôt, certainement, et comme on dit par chez vous, kenavo !
Propos recueillis par YV
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