Petite réflexion autour du folklore signée Llorenç Perrié Albanell
Les tenants de la résurgence du paganisme sur notre vieille terre d’Europe s’interrogent souvent sur les filiations authentiques qui permettraient une praxie reposant sur une assise solide. Conscient de l’ampleur et de l’importance de la tâche, je vais tenter ici d’apporter une modeste contribution issue de ma propre expérience. J’aborderai mon propos sur deux angles, celui de la pratique par classe afin de poser le cadre, et celui de la filiation culturelle régionale.
1. La pratique rituelle par classe.
Nous connaissons, grâce aux travaux de Georges Dumézil, la répartition trifonctionnelle par classe dans les sociétés indo-européennes. La première fonction, sacerdotale est liée au sacré. La deuxième est la fonction guerrière, celle d’où sont issus les chefs et les rois. La troisième fonction, de production, est liée à la fécondité.
C’est sur cette dernière que portera l’essentiel de ma réflexion, bien que de nombreux groupes païens s’attachent à restituer des rites liés à la classe sacerdotale, citons par exemple le courant du druidisme, qui n’a pas besoin de moi pour faire une démonstration de leurs travaux. Quant aux rites de la deuxième fonction, celle des guerriers (les bellatores), je pense qu’ils n’ont pas tout à fait disparu. En effet, à l’époque du service militaire on entendait les anciens dire: « tu seras un homme quand tu auras fait l’armée! ». C’était un rite de passage de l’enfant à l’homme. Dans l’armée j’ai le souvenir des « classes » qui correspondent à un passage initiatique, avec à la fin la remise des insignes, béret, brevet, de la parade et de la présentation au drapeau avec serment. Cela contribue à marquer l’entrée dans une caste, un ordre. De même que certains chants préparent psychologiquement le soldat à donner la mort ou à la recevoir, cela aussi peut s’apparenter à un rituel.
2. La filiation culturelle régionale.
En ce qui concerne la troisième fonction, mon postulat est le suivant, une terre intimement liée à un peuple crée une osmose d’où découlent mythes et pratiques qui rythment une société. Le fruit de cette lente construction crée un ensemble culturel lié à un espace géographique, mis en perspective par des rites : j’honore le dieu ou la déesse d’un lieu car ils vivent en ce lieu, comme moi et en moi. S’émerveiller de la beauté de ce lieu, le respecter et s’y épanouir, est en soit déjà un acte relevant, pour moi, du sacré.
De manière plus générale, j’ai participé pendant des années à faire vivre les traditions dites « folkloriques » catalanes de mon département (danse, musique, recueil de légendes, cuisine etc.). J’ai observé la chose suivante: les danses sont liées au monde rural, aux saisons, liées aux travaux agricoles, comme le « ball de cercolets » pour les vendanges (danse des cerceaux. Certains y voient également une filiation avec des danses de types romaines en honneur à la déesse Flora).
Ou encore à la guerre le « ball de bastons » (danse des bâtons), qui trouve aussi une autre origine, agricole (avec le bâton tendu vers le ciel et le soleil on fertilise la terre en la frappant avec celui-ci). La « sardana » est, dit-on, l’héritière d’une danse solaire aux origines antiques. Bref j’ai conclu lors de mes activités culturelles, que les danses anciennes étaient le fruit d’une transmission, d’un temps ancien où l’homme était lié à son environnement, on célébrait cet environnement par la fête (qui avait une autre signification que celle d’aujourd’hui). Or aujourd’hui, le public ne comprend pas le sens de ces danses. Les groupes de folklore expliquent généralement l’origine de ces pratiques, Pour citer un exemple célèbre en Pays Catalan : la fête de l’ours, qui représente la fertilisation, le retour de la saison claire et l’annonce de la fin de la saison sombre, le public est directement propulsé aux premières loges, puisqu’il est bousculé et badigeonné par l’ours. Nous avons gardé également la pratique des herbes magiques pour le solstice d’été, sous son verni chrétien de la saint Jean, qui sont distribuées aux participants.
Il y a donc un héritage traditionnel qu’il convient de cultiver dans chaque terroir et de mettre en avant, c’est déjà un grand pas et un lien direct avec les anciennes pratiques et nos ancêtres. Concernant le rite en lui même, il est évident que nous devons nous rattacher aux données scientifiques (historiques, archéologiques), sans oublier que le rite est toujours une construction humaine, qu’il manque des éléments, qu’il y a une rupture dans la chaîne de transmission, que la société n’est plus la même mais que notre imaginaire porte toujours vers les dieux et les déesses, les héros, les fées et autres génies locaux, tous associés à la mythologie et aux légendes. Un européen sentira toujours au fond de lui quelque chose quand il entre dans une forêt, un temple en ruine, ou en ouvrant simplement un livre de légendes.
Un point à prendre en considération : les gens n’évoluent plus, pour une majorité, dans une société agricole, il faut donc réfléchir aussi à cela, cependant pour subvenir à nos besoins biologiques, nous sommes dépendants de l’agriculture, et donc de la nature, il faut donc une adaptation, sans perdre le fond.
Llorenç Perrié Albanell
Illustrations : DR
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