La ferme des animaux, de George Orwell, en bande dessinée

Pour dénoncer les dangers du totalitarisme stalinien, George Orwell compose pendant la seconde guerre mondiale une allégorie animale. Décédé en 1950, ses œuvres tombent dans le domaine public en 2021. Après les nombreuses adaptations en bande dessinée de 1984 en début d’année, c’est au tour de La ferme des animaux, à l’automne, de connaître plusieurs versions.

Sage l’Ancien, le plus vieux cochon de la ferme, révèle aux animaux que les humains les exploitent. Mais il meurt paisiblement dans son sommeil. Inspirés par ses idéaux, les animaux se révoltent contre leur maître, M. Jones, dans l’espoir de mener une vie sans labeur. Les nouveaux dirigeants sont les cochons Napoléon, brutal et mégalomane, Boule de neige, idéaliste, tous deux secondés par Brille-Babil, excellent dans l’art du discours. Ils élaborent un système politique : l’« animalisme ». La ferme est dès lors gérée dans le respect de sept commandements : « Tout deux pattes est un ennemi » ; « Tout quatre pattes ou volatile est un ami » ; « Nul animal ne portera de vêtements » ; « Nul animal ne dormira dans un lit » ; « Nul animal ne boira d’alcool » ; « Nul animal ne tuera un autre animal » ; « Tous les animaux sont égaux ». L’ennemi est ainsi clairement désigné : l’homme. Mais les idéaux d’origine sont rapidement dénaturés. Avec l’aide de la meute de chiens qu’il a lui-même élevés, le cochon Napoléon chasse Boule de neige, devient dictateur, instaure un culte de la personnalité et épuise les animaux par un travail harassant. Les années passent. Tandis que les cochons se sont engraissés, les autres animaux continuent une vie de labeur. Le septième commandement devient ainsi « Tous les animaux sont égaux, mais certains plus que d’autres ». Plus rien ne semble distinguer les cochons de leurs anciens maîtres. Ce nouveau régime totalitaire se révèle pire que le précédent…

Une dénonciation du stalinisme

George Orwell dénonce ainsi le régime instauré par Staline en Union soviétique. Écrit dans les années 1943-1944, et publié en 1945, son récit La ferme des animaux critique le culte de la personnalité du chef, la réécriture du passé par l’histoire officielle, la manipulation des masses… Les exemples sont innombrables. La révolte animale représente la révolution russe de 1917, qui chassa le tsar Nicolas II. Napoléon renvoie à Joseph Staline. Boule de Neige évoque Léon Trotsky. Cochon l’Ancien rappelle Karl Marx. L’hymne « Bêtes d’Angleterre » correspond à l’Internationale, hymne des révolutionnaires. Le drapeau de la ferme représentant un sabot et une corne rappelle la faucille et le marteau. L’emploi du terme de camarade y est fréquent. La lutte pour la direction de la ferme entre Napoléon et Boule de Neige rappelle celle entre Staline et Trotski. Les exécutions des animaux considérés comme des traîtres correspondent aux grands procès de Moscou. Le rationnement de nourriture pour les animaux de la ferme évoque les famines soviétiques. Les chiens de Napoléon représentent le NKVD…

Cette critique du système dictatorial soviétique reste d’actualité. Comme Orwell le disait lui-même, « il n’est pas indispensable, pour être corrompu par le totalitarisme, de vivre dans un pays totalitaire ». La Ferme des animaux incarne toute société qui dévie de son idéal pour devenir totalitaire.

Une première adaptation en bande dessinée est sortie dès 1951, à l’aube de la guerre froide. Juste après la mort de George Orwell, la CIA négocie avec sa veuve les droits de La ferme des animaux. Cette version de propagande anticommuniste est alors diffusée dans les pays du tiers-monde, devenus l’enjeu des luttes entre grandes puissances. C’est la version en langue créole, diffusée à l’Ile Maurice dans les années 1970 pour lutter contre le Mouvement Militant Mauricien d’inspiration communiste, qui a été traduite par les éditions de L’Echappée. Le scénario de Donald Freeman reste extrêmement fidèle à l’œuvre d’Orwell, ne gommant pas certains aspects anticapitalistes. Par un dessin en noir et blanc, Norman Pett donne à Cochon l’Ancien les traits de Lénine, à Napoléon ceux de Staline avec ses moustaches, et à Boule de Neige ceux de Trotsky. Une quinzaine de pages resituent cette adaptation dans le contexte historique de l’époque (La ferme des animaux, version française et version créole, traduction du créole en français par Alice Becker-Ho, 80 pages, 15 euros, Editions L’Echappée).

 Deux adaptations sorties en 2021 peuvent décevoir.

 D’une part, celle des éditions Grasset, qui prend la forme d’un roman graphique. Celui-ci respecte le découpage en dix chapitres de l’œuvre originale. Mais le texte d’Orwell n’est pas repris dans son intégralité par cette nouvelle traduction inédite de Josée Kamoun. Les dessins expressionnistes du brésilien Bernadi Odyr ainsi que ses couleurs directes, de plus en plus sombres, destinent cette adaptation à un large public (La Ferme des animaux, 176 p., 20 euros, Editions Grasset).

D’autre part, celle des éditions Delcourt, qui font le choix d’une bande dessinée classique. Le prolifique scénariste Rodolphe respecte l’œuvre d’Orwell. Il a suivi des études littéraires à la faculté de Nanterre, avant de devenir professeur de lettres. Mais le dessin semi-réaliste de Patrice le Sourd reste sans doute un peu trop classique, tout comme le découpage (La Ferme des animaux, 48 pages, 10,95 euros, Editions Delcourt).

L’adaptation la plus réussie, éditée par Jungle, est destinée au jeune public.

Le scénariste Maxe L’Hermenier cherche à transmettre cette œuvre politique à un plus jeune lectorat. Le scénario bien rythmé, mais sensiblement simplifié, reste fidèle à l’esprit de l’œuvre originale. Il est ainsi accessible aux lecteurs de tous âges. Déjà en 1985, les éditions Novedi avaient adapté La ferme des animaux pour le jeune public, avec Jean Giraud/Moebius au scenario et Marc Bati au dessin.

 

Pour séduire le jeune public, le dessinateur Thomas Labourot donne vie à des animaux aux traits ronds. Ses illustrations semi-réalistes et caricaturales apportent une touche enfantine : les cochons arborent des airs cruels, tandis que les autres animaux affichent un mélange de naïveté et d’inquiétude. L’émotion est bien présente. La colorisation de Diego L. Parada reste lumineuse tout au long de l’album, malgré l’ambiance qui s’alourdit au fil des pages.

En fin d’album, un cahier pédagogique permet aux plus jeunes de vérifier qu’ils ont bien compris ce récit.

 Kristol Séhec

  La Ferme des animaux, 54 pages, 14,95 euros, Editions Jungle, Groupe Steinkis.

Illustrations : DR
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3 réponses à “La ferme des animaux, de George Orwell, en bande dessinée”

  1. patphil dit :

    dire qu’il avait imaginé un roman et que c’est devenu la réalité pour une bande de dégénérés occidentaux qui veulent nous imposer leur wokisme

  2. miniDart dit :

    Merci beaucoup, ça me fera mon cadeau de Noël :-)

    D’un côté SOS Bohneur (Jean Van Hamme) et de l’autre la ferme des animaux. Avec ça, on est bien lotis !

  3. Marc RICAUD dit :

    C’est un peu comme dans les fables de La Fontaine qui, en son temps, faisait des leçons de morale aux puissants, en faisant parler les animaux.

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