Un train régional m’amène à quarante kilomètres à l’ouest de Varsovie, capitale de la Pologne.
Arrivé sur place, j’envoie un message SMS à Grégory Leroy, « le Hussard » (https://hussard.pl/), pour lui signaler que je me trouve devant le portail métallique du stand de tir. Les moteurs s’activent, la lourde porte rouillée coulisse bruyamment. Derrière, Grégory m’accueille, souriant. Il me dit qu’il est très heureux de collaborer avec notre organe de presse. Il avoue même avoir repoussé le reportage Enquête exclusive de M6 d’une semaine, pour pouvoir me recevoir : « Collaborer avec des sites d’information authentiquement indépendants comme Breizh info est très important pour moi. »
Dans le petit monde du tir français, tous les tireurs se passent officieusement le mot mais tâchent de rester discrets. En effet, ce stage est jugé non conventionnel, et même dangereux, par la très orthodoxe Fédération française de tir (FFT).
Mais pourquoi faire tout ce chemin pour tirer quelques centaines de cartouches ? Quelles sont les motivations des participants ?
J’apprends qu’en France, seul le tir statique, aussi appelé tir de précision, est autorisé. Lors du stage pistolet Hussard, chaque participant porte un semi-automatique Glock 17, chargé et approvisionné, à la ceinture. Il s’agit de répéter des exercices dynamiques consistant à neutraliser une menace armée. Cela s’appelle du tir tactique, du tir en situation ou du tir de combat. Cet enseignement sensible, strictement encadré par les autorités françaises, est ordinairement réservé aux seuls professionnels, comme ceux des brigades d’intervention de la police.
Un reportage polémique Envoyé Spécial a été diffusé sur France 2 au mois d’avril 2021. Des députés LREM, le parti du président de la République Emmanuel Macron, scandalisés par les images des stages Hussard, a alors rédigé une proposition de loi afin de « mieux encadrer les dérives du survivalisme ». Grégory Leroy, expatrié français et organisateur des stages, répond :
« Je ne comprends pas cette polémique. Venir chez nous, c’est comme venir piloter une Porsche sur un circuit. De retour à la maison, tu ne vas pas appliquer toutes nos procédures dans la rue. De la même façon, tu ne vas pas conduire ta Porsche comme un pilote sur une départementale. Mais en cas de force majeure, tu sauras comment utiliser ton arme ou ta 911, comme un professionnel. »
Mais la maîtrise technique n’est pas tout selon lui :
« Bien entendu, il y a aussi la dimension plaisir ! Tout comme les pilotes automobiles, on veut se mettre à l‘épreuve. On veut apprendre à utiliser notre arme de façon dynamique, comme elle a été originellement conçue. Les tireurs français me disent qu’ils s’ennuient beaucoup dans leur stand. Chez nous, ils se régalent ! »
Je m’assieds sur une chaise disposée à 15 mètres des stagiaires. Ces derniers sont parfaitement alignés contre une paroi. L’instruction est en langue anglaise. Les phrases sont minimalistes et simples à comprendre, comme dans une caserne militaire. Les stagiaires répètent « à sec » (sans munition) le dégainé, l’acquisition de cible et le changement de magasin. Grégory, assis à ma droite, m’indique : « Ce geste peut paraitre simple de prime abord, mais dégainer son arme, former un bon grip (prise en main), aligner les organes de visée, puis presser délicatement la détente, le tout de façon fluide et efficiente, est un art qui demande beaucoup, beaucoup de répétitions, beaucoup de travail. Chaque détail compte. »
Durant toute la matinée, l’instructeur Adam est situé en face des canons des stagiaires afin de mieux pouvoir les observer et de déceler leurs erreurs. Cette méthode d’enseignement est formellement interdite en France. Grégory m’explique que son instructeur a été trois fois champion national IDPA (International Defensive Pistol Association). Ce dernier forme les brigades d’intervention de la police de Varsovie au tir, mais préfère rester discret sur ses autres activités :
« C’est un technicien ultra spécialisé. J’avoue avoir eu beaucoup d’accrochages avec lui, ce n’est pas tous les jours facile. En fait, pour moi, c’est un vrai sociopathe (rire), mais c’est le meilleur instructeur de tir. Il est à un niveau différent des autres. »
En tant que reporter, par de-là le sujet d’investigation, l’humain m’intéresse par-dessus tout. Je pose donc à Grégory des questions plus personnelles, sur sa vision de la France et de la société française :
« Il est très difficile d’entreprendre en France. Il s’agit d’un système collectiviste socialiste qui marche par cooptation. Alors on fait bien attention de rester dans les clous pour ne pas être sanctionné, pour ne pas perdre son travail, pour conserver son contrat public, éviter le contrôle fiscal, garder sa place. C’est structurel, on s’aide les uns les autres en faisant bien attention à rester entre soi, dans sa caste. »
Puis je lui pose des questions sur les leaders d’opinions du camp national.
« Le job des leaders d’opinion consiste essentiellement à se donner en spectacle, à vendre du rêve. Leur public a besoin d’espoir, alors il se fabrique des idoles. Il veut s’évader le temps d’une vidéo. Il est en quête de sens, d’un certain esthétisme dans lequel il peut se retrouver, ce que je peux comprendre. Mais ces youtubeurs le savent bien, il n’y a rien à faire. Je pense qu’il est trop tard, en France tout du moins. Qu’est-ce que tu veux faire avec 70% de prélèvement, des charges délirantes, pas de meuf, et Kader qui t’attend au coin de la rue pour te planter pour une clope ? »
Je lui demande s’il lit leurs livres.
« Pour moi, on se met à écrire quand on a suffisamment de vécu ou qu’on a une réelle vocation d’écrivain. Je pense qu’ils se lancent tous dans l’écriture très jeune par dépit, car l’action en France n’est pas possible. Écrire un livre consiste en un dialogue avec soi-même, un peu comme ce que fait un autiste. On reste dans un espace confortable au sein duquel on contrôle tout.
J’avais invité Julien Rochedy à passer quatre jours en Pologne, il y a cinq ans. Je voulais produire des images promotionnelles en vue d’organiser un événement avec lui. C’était un gars sympa, intelligent, de bon conseil. Mais dès que j’ai activé le projet, que je lui ai demandé de venir pour une conférence, il m’a répondu sèchement qu’il n’avait pas le temps pour ça, car il écrivait un livre. Pas une seule fois, il n’a relayé mon offre, alors que j’avais beaucoup travaillé sur son image. Comme si mon entreprise était malpropre, illégale. Ce n’était pas facile, car à l’époque, je cherchais encore à formuler la bonne offre.
C’est Frédéric Delavier (auteur du guide des mouvements de musculation) qui m’a relancé, qui m’a mis en contact avec Piero San Giorgio (un survivaliste). C’est Fred qui m’a remotivé à travailler sur les premiers stages Hussard. »
« J’ai pu observer cela de près et de façon récurrente dans l’industrie de la musique, avec des rappeurs, des rockeurs, les gars du showbiz. Tous se voient accomplir de grandes choses. Ils ont passé du temps à façonner leur image. Leur prestige personnel est important plus que tout, quitte à planter les autres. Donc, ils cultivent une image romancée, mais aucun d’eux ne veut mettre les mains dans la merde (sic). Ils ont comme peur de se faire griller. Car ils le savent, l’action est rugueuse, hasardeuse, et presque toujours décevante par rapport à l’idée que l’on s’en fait. Trop de choses nous échappent, on est frustré ! Dans un livre ou dans un clip de musique, leur narcissisme est assouvi. La réalité ne leur donne jamais tort, ils contrôlent tout.
Mais si notre vie est un roman, alors je crois qu’écrire un livre quand on est jeune est une sorte de mise en abime absurde : « Mon roman, c’est d’écrire des romans ! » (rire). C’est une imitation, une falsification d’un truc vrai, c’est un truc de hipster. Que ce soit dans la musique, l’art, ou la littérature, il n’y a plus que des hipsters. »
Après la pause déjeuner, les munitions entrent sur le champ de tir. Il s’agit de répéter à balles réelles les dégainés travaillés précédemment. Les gestes des stagiaires sont encore approximatifs, les grips se forment maladroitement, les groupements laissent à désirer.
« Tu vois, c’est ça la réalité ! Il n’y a rien qui va ! Tout est pété ! Leurs gestes sont imparfaits, mais au moins ils essaient, ils le font. Ils sont repris et corrigés par l’instructeur et ils progressent. On est dans le vrai. Moi, je suis le seul à diffuser des vidéos et des photos d’erreurs suivies de corrections. Dans le monde du tir, tout le monde accomplit des prouesses, tout le monde joue les John Wick. Ils veulent tous imiter les Américains. Moi je montre les erreurs, puis l’instructeur indique le chemin vers le bon geste. Il n’y a pas de super héros des forces spéciales dans ma communication, même si c’est ce que le public attend. »
Lionel Baland
Crédit photo : DR
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Une réponse à “Le Hussard. Un entrepreneur français dans le collimateur de La République en Marche ? (première partie)”
mais quid des tireurs à la kalachnikov dans les « quartiers » ?