Il a été décrié comme étant l’un des projets farfelus de Boris Johnson : un pont reliant l’Écosse à l’Irlande du Nord, et donc la Grande-Bretagne à l’île d’Irlande. « Le tunnel le plus stupide du monde (…) rien de plus qu’un projet de vanité » a raillé Dominique Cummings, le ministre des transports du SNP, le Scottish national party.
Les critiques n’avaient pas à s’inquiéter : les plans du gouvernement Johnson ont été mis au placard presque avant d’être lancés. Les sources ont invoqué des problèmes financiers. Pourtant, certains pensent toujours que le projet aurait dû être réalisé.
Le professeur Alan Dunlop, l’architecte du pont, est l’un de ceux qui croient au potentiel du projet. Dans une interview accordée au journal The National, Dunlop affirme que le gouvernement britannique a raté une occasion de relancer l’économie après le Brexit. Il affirme « qu’un tel projet majeur de transport et d’infrastructure serait un investissement dans l’avenir après le Brexit et aussi après le Covid ». Il compare ce projet au New Deal de l’ancien président américain Franklin Roosevelt pendant la Grande Dépression des années 1930, qui a permis à de nombreuses personnes de retrouver un emploi, et le décrit comme « novateur, constituant une première mondiale ».
Le gouvernement Johnson aurait pu en tirer d’autres avantages. À un moment où l’Union est sans doute à son point le plus faible, après le Brexit, et où l’indépendance de l’Écosse et la réunification de l’Irlande sont sur la table, le projet de pont aurait pu démontrer l’engagement de Londres envers les régions décentralisées. Symboliquement, il aurait relié de manière permanente l’Irlande du Nord au Royaume-Uni continental, soulignant qu’elle fait partie intégrante de la Grande-Bretagne et qu’elle le restera.
Mais l’idée du pont a été immédiatement impopulaire auprès des politiciens d’Écosse et d’Irlande du Nord. Fondamentalement, ils n’appréciaient probablement pas la perspective de voir le gouvernement britannique s’immiscer dans leur infrastructure régionale, mais ils ont également fait part de leurs préoccupations quant au coût et à la présence de munitions immergées en mer d’Irlande. Colum Eastwood, leader du SDLP, a déclaré : « Le pont imaginaire du Premier ministre vers l’Irlande du Nord pourrait coûter 33 milliards de livres. Ceci alors que nos réseaux routiers et ferroviaires ont été absolument décimés par des décennies de sous-investissement ». Le secrétaire écossais aux transports, Michael Matheson, a rappelé à Londres que le gouvernement écossais disposait déjà de son propre pouvoir pour planifier les futurs projets d’infrastructure de transport et qu’un tel projet de tunnel n’était tout simplement pas » une priorité » pour l’Écosse ou l’Irlande du Nord.
Le fait est que les administrations décentralisées d’Irlande du Nord, d’Écosse et du Pays de Galles sont tellement habituées à leur autonomie qu’il sera désormais très difficile pour Londres de recommencer à peser de tout son poids dans ces régions à l’avenir. Une fois la liberté donnée, il est presque impossible de la récupérer. En particulier après le résultat du Brexit de 2016, lorsque l’Écosse et l’Irlande du Nord ont voté pour rester dans l’UE, les régions du Royaume-Uni se sont senties abandonnées par Westminster et la détermination de Boris Johnson à sortir de l’UE « quoi qu’il arrive ». Il y a sans doute un sentiment que si un tel projet doit se réaliser entre l’Écosse et l’Irlande du Nord, ce sera à la demande d’Édimbourg et de Belfast, et non de Londres.
Bien que le projet ait été temporairement mis en veilleuse, cela ne signifie pas pour autant qu’il en restera là. Il est probable que le gouvernement britannique proposera d’autres projets de ce type dans un avenir proche afin d’essayer de maintenir l’Union et de diluer les sentiments de nationalisme irlandais et écossais. En mars de cette année, on a appris qu’un millier de fonctionnaires britanniques allaient quitter Londres pour Glasgow, où sera installé le deuxième siège du Cabinet Office britannique. Glasgow étant une sorte de plaque tournante du nationalisme écossais en Ecosse, il ne fait aucun doute que cela fait partie d’un mouvement stratégique visant à implanter du personnel pro-Union dans la ville. Ce genre de « plantation » d’Anglais est pratiqué par le gouvernement britannique depuis des temps immémoriaux. Dans les années 1600, les protestants anglais qui avaient prêté allégeance au roi ont été « plantés » en Ulster, en Irlande du Nord, où leurs descendants restent à ce jour, toujours fidèles à la couronne britannique.
Par conséquent, pont ou pas, le gouvernement de Boris Johnson fera ce qu’il faut pour rallier le soutien à l’Union dans les régions décentralisées dans un avenir proche. La question reste cependant posée : avec un sentiment nationaliste plus élevé que jamais (en particulier en Écosse), n’est-ce pas un peu trop tard ?
Johanna Ross (Infobrics, traduction breizh-info.com)
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