Franco-libanaise, Sophie Akl-Chedid est correspondante de presse au Liban où elle vit depuis 27 ans et travaille notamment pour le quotidien Présent.
Arabophone, membre du Comité directeur du Musée de l’Indépendance, proche des associations telles que SOS Chrétiens d’Orient et la Fondation Afif Osseiran, elle est très impliquée dans la vie politique et sociale du pays.
Nous l’avons interrogé sur la situation sur place, qui semble dégénérer chaque jour qui passe.
Breizh-info.com : Quelle est la situation concrète au Liban, et particulièrement à Beyrouth, à l’heure actuelle?
Sophie Akl-Chedid : Du point de vue sécuritaire, bien que sous haute tension, la situation semble sous contrôle. Les libanais sont habitués à ces soubresauts liés le plus souvent à des agendas étrangers qui secouent régulièrement le pays depuis la fin de la guerre en 1990, que ce soit du fait des attentats, des assassinats politiques, des milices palestiniennes, de Al Qaeda, de Daesh ou du Hezbollah. Du point de vue politique, les différents mouvements et partis sont en train de se positionner sur le nouvel échiquier qui émerge à 5 mois des élections législatives, avec le Hezbollah pour les uns et surtout autour des Forces libanaises pour les autres, y compris une partie des mouvements sunnites alors que le Hezbollah perd sa couverture chrétienne, avec quelques indépendants de gauche qui optent pour la politique du ni-ni. Ce repositionnement en faveur de Samir Geagea a été visiblement accéléré par l’attaque gratuite du quartier chrétien de Ain Remmaneh qui s’inscrit dans la longue liste des agressions similaires depuis 2008, et plus encore par la récente déclaration de Hassan Nasrallah selon laquelle, au mépris de toute légalité, il a directement menacé les Forces libanaises en se vantant de disposer, « sans compter les mercenaires étrangers, d’au moins 100 000 miliciens entrainés et aguerris sur le territoire libanais ».
Breizh-info.com : D’où proviennent les tensions? Quels sont les enjeux de pouvoir notamment, qui se trament au Liban?
Sophie Akl-Chedid : Pour comprendre les tensions de ces dernières semaines qui ont culminé dans les affrontement du 14 octobre, il convient de les replacer dans un contexte régional globalement défavorable à l’Iran avec sa crise économique qui alimente la grogne populaire, le blocage des pourparlers sur le nucléaire iranien, la victoire écrasante des nationalistes chiites irakiens de l’imam Moktada Sadr (80%) au détriment de la coalition des milices pro-iraniennes aux législatives du 10 octobre, le fait que la Syrie de Bachar el Assad soit essentiellement devenue un protectorat russe et la chute de popularité du Hezbollah dont l’image de « résistance contre l’ennemi sioniste » est passablement écornée. Sur le plan strictement local, le Hezbollah est affaibli à la fois par la crise, par l’effondrement de la popularité de son allié chrétien du Courant Patriotique Libre (Aoun) et par la saga juridique liée à l’explosion du port de Beyrouth qui a servi de déclencheur à l’agression du quartier de Ain Remmaneh en marge d’une manifestation du tandem chiite (Amal-Hezbollah) devant le Palais de Justice le 14 octobre dernier.
Il craint manifestement que le contrôle du Liban ne lui échappe après les élections de mars 2022. Dans un pays traditionnellement tourné culturellement vers l’Occident et économiquement vers les pays du Golfe mais historiquement convoité par la Syrie et stratégiquement d’une importance inversement proportionnelle à sa taille pour l’Iran de par sa démographie et sa position géographique, les enjeux s’inscrivent dans le bras de fer géopolitique engagé depuis des années entre sunnisme et chiisme politique et dans la lutte contre Israël qui sert depuis des décennies de cache sexe à la volonté hégémonique d’un empire chiite qui désire accomplir enfin le Wilayat el Faqih ou conquête du croissant fertile de Téhéran à Beyrouth, en passant par Bagdad et Damas.
Breizh-info.com : Quel rôle particulier joue le Hezbollah dans ces tensions? Les chrétiens sont-ils menacés sur place?
Sophie Akl-Chedid : Son mode de fonctionnement à la fois au cœur des institutions et en dehors de celles-ci donne au Hezbollah une grande marge d’action sur le territoire libanais et un véritable sentiment d’impunité.
Entre positions officielles au cœur de l’Etat, intimidation, menaces, et agressions, il jongle avec les peurs pour imposer ses desiderata. L’affaire du juge Bitar en est la parfaite illustration : l’enquête criminelle sur l’explosion de Beyrouth en 2020 s’approchant dangereusement de hauts responsables et alliés du parti chiite, ces derniers mois ont été marqués par la recrudescence des recours légaux visant à faire dessaisir le juge d’instruction en charge du dossier, de refus d’obtempérer à des convocations officielles de la justice, et simultanément de menaces directes proférées à l’égard dudit juge . Ces recours ont finalement été jugés irrecevables mardi dernier par la Cour de Cassation, ce qui a déclenché les foudres de Nasrallah et mené aux affrontements du 14 octobre (Présent N° 9977). Or, ces affrontements, comme tous ceux qui ont eu lieu depuis 2018, ont montré les limites de cette politique d’intimidation face aux chrétiens qui sont porteurs d’une tradition séculaire de résistance. Cela explique la « défaite » des militants chiites quasiment à chaque fois qu’ils tentent d’investir des quartiers populaires chrétiens. Quant à l’hypothèse de voir la milice pro-iranienne mettre en œuvre les gros moyens (artillerie etc.) sur le territoire libanais, elle me semble peu probable puisque ce serait la fin définitive du mythe du Hezbollah défenseur des chrétiens. Pour les mêmes raisons, la carte d’une guerre civile ouverte me semblerait un pari extrêmement risqué de la part du Hezb qui n’a aucune certitude de l’emporter, l’histoire ayant à maintes reprise démontré que le Liban chrétien est un morceau difficile à avaler. Dans la pire des hypothèses, ce sera la Guerre de cent Ans et dans la meilleure une partition du pays. Les deux possibilités ne sont pas à l’avantage du Hezbollah. Pour ma part, je crains bien davantage une guerre des nerfs avec une possible reprise des assassinats politiques et autres attentats, peut-être dans le but de faire reporter sine die les élections législatives.
Breizh-info.com : En tant que libanaise, comment voyez- vous la suite des choses? Est-ce que vous êtes inquiète? Et dans votre communauté,
Sophie Akl-Chedid : Les libanais sont conscients que leur avenir est intimement lié à la question du Hezbollah. Ils ont le choix entre l’émigration, un retour à la prospérité la via la restauration des relations économiques et diplomatiques avec l’Ouest et les pays du Golfe ou le naufrage définitif et la « yémenisation » du Liban aux mains d’une milice islamique. Je pense que le bon sens finira par l’emporter.
Propos recueillis par YV
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3 réponses à “Liban. Sophie Akl-Chedid : « Les libanais sont conscients que leur avenir est intimement lié à la question du Hezbollah » [Interview]”
Donc Madame qui je suppose est de confession chrétienne préfère se rapprocher des pays du golfe plutôt que de l’Iran et de la Syrie. C’est curieux sachant que c’est eux qui ont répandu cet islam des plus rigoristes.. Trouver la logique.
il y a 50 ans, en fac de droit, on citait la suisse pour le bonheur du « vivre ensemble » avec 4 langues et le liban avec 4 religions
c’était au siècle dernier !
Qu’est ce que le Liban. Ce sont à l’origine les montagnes chrétiennes et Druzes, et autour des bouts de Syrie.
Après la premières guerre mondiale, la France a étendu ce pays et mis tout le monde ensemble, et a créé avant de partir un pays divisés par des communautés (17 religions marquées sur la carte d’identité).
Qui sont nos envahisseurs actuellement en France? C’est manifestement la oumma sunnite. C’est pourquoi notre intérêt est la création d’un arc chiite de l’Iran à la méditerranée, isolant l’islam turc. Le Hesbollah, qui a seul défait Israel est le seul vrai défenseur du Liban actuel contre les corrompus sunnites, et les chrétiens s’allient le plus souvent avec lui. Soutenons le contre nos adversaires sunnites.