Le 2 octobre dernier était organisée à Nantes, place du Bouffay, une commémoration du 300e anniversaire de l’exécution du marquis de Pontcallec. Une ironie de l’histoire puisque l’exécution eut lieu le 26 mars 1720. Le covid-19 en est la cause !
Un érudit local réagit alors. Dans une lettre au quotidien Presse Océan (12 octobre 2021), Philippe Kerrand affirme : « jamais, contrairement à la légende qui perdure, le marquis de Poncallec, exécuté à Nantes en 1720, n’a donné sa vie pour défendre les libertés bretonnes. […] Tout le drame repose en effet sur une histoire d’argent ». Le marquis, selon lui, était mu par une fureur personnelle. Il était privé du patrimoine de son grand-père, saisi par la justice.
On peut imaginer que M. Kerrand cherche à tirer la couverture à lui : il est l’auteur d’une étude sur les démêlés juridico-financiers des Guer de Pontcallec. Mais il est complètement à côté de la plaque quand il évoque « une histoire d’argent ».
M. Kerrand cite l’Histoire de Bretagne de Barthélémy Pocquet : « C’est avec une certaine appréhension et même avec une certaine tristesse que nous abordons le récit de cet épisode qui porte le nom de Conspiration de Pontcallec, car il nous faudra briser des illusions et détruire des légendes. » La citation est incomplète. Car Pocquet continue : « Il y a en effet deux Pontcallec : le Pontcallec de l’histoire et le Pontcallec de la légende, le vrai Pontcallec et le Pontcallec légendaire. Il ne faudrait pas croire que celui-ci n’existe pas, ce serait une très grosse erreur. Le Pontcallec légendaire est celui qui s’est perpétué dans la mémoire des hommes ; c’est l’être glorifié, le martyr héroïque, que sa fin tragique a nimbé d’une auréole de pitié. »
Pontcallec et 145 autres accusés
C’est ce Pontcallec-là qui était commémoré le 2 octobre. M. Kerrand a mal lu Pocquet (qui poursuit l’œuvre de La Borderie) et tombe dans la « très grosse erreur » contre laquelle l’historien met en garde ! En tout état de cause, il est stupéfiant de le voir ramener la Conspiration à « une histoire d’argent » du seul Pontcallec – une histoire qui remontait à plusieurs années avant sa naissance !
Oublie-t-il que trois autres accusés, Talhouët, Montlouis et Couëdic, ont été exécutés à ses côtés ? Et que dix de plus l’auraient été si les sbires du Régent avaient pu mettre la main dessus ? Condamnés par contumace, ils ont été décapités en effigie le même jour sur la place du Bouffay. (Le procès de 1720 visait à faire juger 146 accusés, dont 93 sous les verrous et 53 en fuite, par une chambre royale extraordinaire ne comprenant pas un seul magistrat breton.) Tous pour des histoires d’argent, sans doute !
Pontcallec n’est pas l’inspirateur de la conjuration de 1719. Celle-ci a sa source dans la révolte des états de Bretagne de 1718 contre les abus du pouvoir royal, qui foule aux pieds le Traité d’Union de 1532. Montesquiou, commandant de la province désigné par le Régent, se montre alors d’une grande brutalité. Dès décembre 1717, il impose l’exil à quatre gentilshommes bretons (Groesquer, Keravéon, Noyant et Talhouët) trop rebelles à son goût. En août 1718, il fait arrêter Coëtlogon, que cent cinquante gentilshommes bretons ont chargé d’aller à Paris remettre une protestation au Régent. En septembre, il chasse de Dinan, où se déroulent les états, quelque soixante-dix gentilshommes qui manifestent leur opposition.
Petit noble envieux
Ces événements provoquent la rédaction d’un Acte d’association pour la défense des libertés de la Bretagne. Il est signé par des centaines de Bretons, représentants de la petite noblesse, du clergé et du tiers-état. Pontcallec ne le signe que tardivement. D’autres conjurés (Talhouët de Bonamour – aucun rapport avec Laurent Le Moyne de Talhouët, décapité le 26 mars 1720 – Lambilly…) ont été plus moteurs, cela ne fait aucun doute. Pontcallec a été poussé en avant à cause du prestige de son nom.
Un prestige qui lui vaut des inimités. Les historiens qui ont évoqué Pontcallec, comme le cinéaste Tavernier dans Que la fête commence, se sont largement inspirés des mémoires de Christophe-Paul de Robien. Sans avoir été témoin des événements, ce président au parlement de Bretagne en a brossé un tableau ridicule. Ulcéré que sa lignée soit considérée comme de « noblesse maigre », le président de Robien a tenté toute sa vie de rehausser son statut. Pontcallec lui donnait l’occasion de diminuer un aristocrate plus titré. Tout en complaisant au pouvoir royal !
Pontcallec sans défenseurs
Qui aurait pu défendre la mémoire de Pontcallec ? Les conspirateurs les plus compromis ont vécu le reste de leur vie en exil en Espagne ou en Italie. Ceux qui sont rentrés en Bretagne ont préféré faire profil bas par peur de la répression royale. Une menace qui avait dissuadé bien des gens de s’engager. Jacquelot de Boisrouvray, pourtant outré par le comportement de Montesquiou, reproche ainsi à la conspiration « d’exposer des honnêtes gens à la fureur d’un homme qui avait la force à la main ».
L’histoire est toujours racontée par les vainqueurs. Pontcallec est un vaincu.
Illustration : plaque commémorative de l’exécution de Pontcallec et de ses compagnons à Nantes, photo BI, droits réservés
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Une réponse à “Pontcallec 1720 : ne pas se tromper de débat”
Pontcallec, signataire de l’Acte d’association avec deux mois de retard, poussé au premier plan à cause de son prestige de grand aristo par un inspirateur (Talhouët de Bonamour) réfugié en Espagne. Il y laisse la vie après une courte épopée. Cela ne vous rappelle rien ?
Jean Moulin a rejoint Londres quinze mois après l’Appel du 18 juin et a été placé à la tête du Comité national de la Résistance à cause de son prestige de préfet par un inspirateur réfugié en Angleterre. Il y a laissé la vie après une courte épopée…
La comparaison s’arrête là. Les Bretons en rébellion contre des Français qui se comportaient en force d’occupation, espéraient que leurs droits établis par le Traité de 1532 seraient rétablis grâce à une intervention de l’Espagne. Mais la conjuration de Cellamare a échoué, cette intervention n’a pas eu lieu. L’intervention anglo-américaine a permis à Jean Moulin de devenir l’icone de la Résistance entrée au Panthéon en 1964. Sans quoi, des plumitifs quelconques tourneraient aujourd’hui son héroïsme en ridicule ou considéreraient que son principal « mérite » a probablement été, en tant que préfet d’Eure-et-Loir en 1940, de superviser la confection de la liste des Juifs du département remise aux Allemands.
La principale différence entre Pontcallec et Jean Moulin, dans le fond, c’est que le premier n’a pas été trahi par ses propres amis.