Sens interdit[s]. Rencontre avec Jacques Saussey, l’une des nouvelles références du polar français [Interview]

Les éditions Ring viennent de publier Sens interdit[s], un excellent polar signé Jacques Saussey, à réserver toutefois à un public majeur et averti. Depuis quelques années, on doit à cette auteur, l’une des nouvelles références du polar français, des livres comme Cinq doigts sous la neige, Enfermé.e, Colère Noire, Principes Mortels…

Voici comment débute Sens Interdit[s], qui rentre dans le cadre d’une série multi auteurs plus large, l’Embaumeur :

Le corps d’un enfant de huit ans est repêché dans un étang isolé au fond des bois. Le cadavre, complètement nu, ne représente aucun signe de lutte ni de violence sexuelle, laissant à penser que le petit garçon a succombé à un accident. Seulement il s’agit du cinquième enfant qui meurt dans cette petite ville de l’Yonne en moins de deux mois. Et cette fois il s’agit du fils du légiste. Alors on m’a appelé pour que je prenne le relais. Moi, vous me connaissez, je suis incapable de refuser quand on me demande un coup de main. Entre autre…

Ce livre est addictif. On le lit en quelques heures, avec l’impression d’être plongé dans une histoire particulièrement sordide, mais dont on se dit qu’elle a existé et existe sans doute encore, ici ou là en France, tant notre société regorge de personnes qui ont l’impression de ne plus avoir la moindre limite. Le résultat est glauque, mais prenant. On ne vous en dit pas plus.

Pour évoquer cet ouvrage, nous avons interviewé Jacques Saussey que nous remercions de nous avoir accordé cette interview.

Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Jacques Saussey : Je suis né à Paris en 1961, mais je vis dans l’Yonne près des bois depuis de nombreuses années par allergie à la ville où j’ai été obligé d’exercer mon métier de maquettiste pendant plus de quarante ans. Marié, deux enfants de 33 et 29 ans, je viens d’accrocher la soixantaine à ma besace.

J’ai écrit mon premier roman, Colère Noire, en 2008. J’en suis aujourd’hui à la mise en place de l’intrigue du seizième. Le quinzième, achevé depuis des mois, paraîtra en 2022.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amené à l’écriture et au thriller ?

Jacques Saussey : La lecture a toujours été un élément majeur de ma vie, elle l’est toujours aujourd’hui. J’ai traversé mes premières nuits blanches en dévorant Gaston Leroux, Conan Doyle, Agatha Christie et Exbrayat. Les classiques, en revanche, me sont souvent tombés de mains. Le policier, le roman noir, et plus tard le thriller, sont devenus les briques de ma culture romanesque. Lorsque j’ai commencé à écrire mes toutes premières nouvelles, à la fin des années 1980, je me suis naturellement dirigé vers les histoires sombres, et je m’y suis tout de suite senti à l’aise. Lorsque je lui ai fait lire mes premiers textes, ma mère m’a demandé qui avait bien pu me coller ces idées horribles dans le crâne. J’ai pris cela pour le plus beau compliment que l’on pouvait m’offrir. Elle adorait frissonner avec ce type d’intrigues et j’avais vu la petite étincelle jaillir dans son regard quand elle m’avait rendu mes premières cartouches de Noir.

Breizh-info.com : Parlez nous de Sens Interdits, votre dernier ouvrage. Ou plutôt un ouvrage édité une première fois en 2015, mais réédité chez Ring cette année. En réalité, il s’agit d’une nouvelle aventure de Luc Mandoline dit « l’embaumeur ». Pouvez-vous présenter le concept ?

Jacques Saussey : L’Embaumeur est un personnage créé à l’origine par Stanislas Petrovsky, qui cumulait lui-même à ce moment-là les deux professions de thanatopracteur et d’éditeur. Nous étions déjà copains depuis un bon moment quand Stanislas est venu me trouver et m’a proposé d’écrire un volume de la collection, un peu dans le concept du Poulpe, initié par Jean-Bernard Pouy dans les années 90. L’idée était simple : un personnage central récurrent — Luc Mandoline, thanato de métier comme son créateur —, un auteur à chaque fois différent qui lui donnait vie, et quartier libre pour l’intrigue, tant que les caractères conservaient une certaine homogénéité, à l’instar de Sullivan et Elisa, les deux compères principaux de Luc.

J’ai tout de suite tilté sur les possibilités qu’offrait ce personnage décalé de l’Embaumeur, même si, pour la première fois, je ne l’avais pas mis au monde moi-même. Mandoline était au contact de familles en deuil, de secrets inavoués, de morts louches maquillées en accident, etc. Du pain béni pour un auteur du Noir.

Lorsqu’il a paru pour la première fois en 2015, Sens Interdits était à l’époque le neuvième numéro de la série, qui en a compté une dizaine avant la fermeture de la maison d’édition Mosesu fondée par Stanislas.

Breizh-info.com : Serez-vous d’accord avec nous pour dire que ce n’est pas un polar à mettre entre toutes les mains ? Pourtant, il y a aussi beaucoup d’humour… mais la violence et le sexe, très présents… le destinent à un public âgé de 18 ans et plus non ?

Jacques Saussey : Oui, à l’évidence, c’est un livre très sombre à ne pas mettre entre toutes les mains, surtout les plus jeunes, puisque j’y ai mis en scène des violences atroces commises envers les enfants. L’humour potache de Luc et celui souvent lourd de Sullivan, ainsi que leur goût commun et immodéré de la chair — qui étaient inhérents aux deux personnages dans les opus précédents avant que je les travaille — ne sont là que pour permettre au lecteur de respirer un peu au sein de cette intrigue très glauque. Le format (environ 250 000 signes), était imposé afin que les livres de la collection soient tous à peu près de la même épaisseur. J’ai plus l’habitude des romans de 6 à 700 000 signes, alors j’ai dû faire court, aller à l’essentiel. C’est dans cette optique que j’ai écrit le premier paragraphe très tendu sur l’autopsie du gamin dans une cabane de chasseurs, et je me suis tenu à cette ligne jusqu’à la fin : agripper le lecteur par le col et le forcer à me suivre dans les méandres boueux de cette histoire, même si l’odeur de la fange y devenait insupportable. Parce ces bourreaux sont insupportables. Le résultat est assurément un livre pour adultes, et pas pour tous.

Breizh-info.com : Comment est-ce que l’on s’y prend pour se renouveler dans le genre dans lequel vous excellez ? Qu’est-ce qui vous inspire ? 

Jacques Saussey : Je suis bien heureux d’apprendre que j’y excelle ! Non, sérieusement, je peux vous donner le truc, mais c’est une lapalissade : Pour se renouveler constamment, il suffit de ne jamais vouloir raconter la même histoire deux fois. Les motivations de commettre un crime sont multiples et elles peuvent toucher n’importe qui. C’est cela, in fine, qui est le cœur du roman noir. Alors, même si les actes sont parfois semblables, comme l’utilisation d’une arme à feu, d’un couteau, de poison, ou d’autres objets atypiques extraits de l’environnement de la victime ou de l’assassin, les possibilités d’intrigues sont infinies. Tout le travail en amont de l’écriture consiste à poser l’architecture du récit et l’enchaînement des événements afin que pas un seul caillou ne vienne se loger entre les dents de votre mécanique de précision. C’est dans cette partie de la gestation du roman que j’aime peser mes idées, les évaluer, les trier, les garder ou les rejeter. Et si vous enfermez dix auteurs dans dix pièces séparées en leur fournissant les mêmes idées, vous n’obtiendrez jamais deux livres identiques à la fin. Parce toute la magie, en fait, réside dans la façon dont le cuisinier accommode les mets, et pas dans le panier.

Breizh-info.com : Avez vous déjà été contacté par le monde du cinéma pour adapter un de vos livres ? Sens Interdits pourrait parfaitement correspondre non ?

Jacques Saussey : Je n’ai rien vu arriver pour l’instant en termes d’adaptation, même si j’ai déjà eu quelques contacts à ce sujet pour des romans précédents. Le cinéma et la télévision sont des mondes très différents de celui du livre, et je n’y connais personne. Sens interdits pourrait faire un film, j’en suis certain, mais… pas non plus pour les moins de 18 ans.

Breizh-info.com : Enfin, est-ce que Jacques Saussey, outre ses romans, a des coups de cœur et des conseils de lecture à donner à nos lecteurs ?

Jacques Saussey : Oui, j’ai toujours des coups de cœur de lecteur à partager. Je les cumule, à vrai dire, parce que quand je n’ai pas réussi à entrer dans un roman au bout d’une centaine de pages, je laisse tomber. Du coup, je n’en parle jamais. Si un livre m’a déplu, il peut séduire quelqu’un d’autre. En revanche, j’aime parler de ceux qui m’ont empêché de fermer l’œil un soir ou deux. Ou plus longtemps encore.

Les deux derniers en date sont des trilogies : La trilogie écossaise, de Peter May, et La trilogie berlinoise, de Philip Kerr. J’ai été absolument conquis par ces deux auteurs que je ne connaissais pas du tout. Au Québec, je recommande « Et à l’heure de votre mort » de Jacques Côté et « Hell.com » de Patrick Sénécal. Chez nous, quelques incontournables : « Gataca » de Franck Thilliez, « Le tueur de l’ombre » de Claire Favan, « Code 93 » d’Olivier Norek, « Nous rêvions juste de liberté » d’Henri Loevenbruck, « De cauchemar et de feu » de Nicolas Lebel.

Il y en a tellement que je n’ai hélas pas assez de place pour tous les détailler ici…

Propos recueillis par YV

Photo d’illustration : DR
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