Encore un film tiré d’« une histoire vraie », mais l’avertissement est ici nécessaire afin d’attester la véracité d’un récit qui, autrement, paraîtrait invraisemblable… Le sous-titre,
« 10000 nuits dans la jungle », donne le ton.
À l’hiver 1945, Hiroo Onoda est un jeune lieutenant fraîchement sorti du bataillon d’élite de Nakano, rompu aux techniques les plus sophistiquées de la guérilla. À l’issue de sa formation, il reçoit de son instructeur, le major Taniguchi, l’ordre de s’embusquer dans l’île de Lubang (dans l’archipel des Philippines) afin de sécuriser les positions nippones. Au fil des semaines et des désertions, l’escouade emmenée par Onoda ne se réduit plus qu’à à une poignée d’hommes. À l’été 45, seuls quatre d’entre eux, dont le héros, continuent le combat, refusant de croire à la capitulation de leur patrie, fidèles aux ordres et à l’empereur, qu’ils saluent chaque matin, en même temps que le soleil. Pendant près de trente ans, Onoda (après la défection d’un compagnon puis le décès des deux derniers fidèles) poursuivra le combat, obstiné, comme au premier jour, dans son attente de renforts (supposée imminente) grâce auxquels il pourra, enfin, terrasser les forces adverses.
La faiblesse de l’effectif ne signifie pas une moindre virulence ni le relativisme de l’engagement. La foi d’Onoda dans les ordres demeure aussi vive en 1974 qu’en 1945, et la stratégie de harcèlement de l’ennemi (de paisibles villageois, à deux heures de marche, impitoyablement exécutés quand ils se trouvent à portée d’arc du lieutenant) ne faiblit jamais. Appliquant avec constance les leçons apprises à Nakano, Onoda multiplie les bivouacs, change régulièrement d’abri, monte scrupuleusement la garde et refuse de céder à la « propagande ». Celle-ci se manifeste sous l’aspect de chansons rock – puis plus tard par la retransmission de l’alunissage d’Apollo XI –, qu’Onoda et son dernier compagnon Kozuka dissèquent comme deux complotistes, convaincus de la manipulation des services secrets américains
Sans jamais céder à la tentation de l’esthétisme spiritualiste à la Terence Malick ou de la leçon de choses pour chefs de patrouille scouts, le cinéaste se focalise sur ce qu’Onoda réussit le mieux : le mode survie, thématisé par les premières images. Cette détermination à demeurer fidèle à l’engagement initial, à ne pas faire le sacrifice de sa personne pour le bénéfice de l’adversaire et à coloniser l’île par la puissance mentale de son ardeur belliqueuse – sans considération pour une touriste égarée, qu’il occit sans autre forme de procès – ne connaissent nulle défaillance. Hariri, dont on avait admiré la sûreté d’exécution du premier film, Diamant noir (2016) ne s’encombre pas de pathos ni d’idéologie mais donne à voir l’architecture psychique d’un homme obnubilé par le culte de l’autorité (le major, l’empereur), image d’un surmoi tout-puissant fournissant la résistance possible et le triomphe sur les conditions extrêmes auxquelles il se trouve réduit.
Un film tranchant, qui ne fait pas pourtant l’économie de lyrisme ni de l’humour, comme un coup de sabre.
Sévérac
Onoda. Film français de Arthur Hariri, avec Endo Tuya, Kanji Tsuda, Yuya Matsuuna. Sur les écrans depuis le 21 juillet.
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