Gorgona : le vin de la rédemption

Pour l’amateur d’insolite, il ne sera jamais donné une aussi belle opportunité que celle de boire un vin chargé autant de symboles par son origine, mais surtout au regard du profil bien particulier de ses géniteurs. Le vin de Gorgona est en effet issu du travail d’une colonie pénitentiaire agricole installée depuis 1869 sur un petit ilot rocheux de l’archipel Toscan, à 37 km au large de Livourne.

Depuis 2012, le pénitencier a entamé une fructueuse collaboration avec Marchesi Frescobaldi pour prendre en charge la culture et la vinification de quelques hectares de vignes donnant naissance au vin blanc (et aussi d’un rouge depuis quelques années) le plus improbable du monde !

Le décor de Gorgona pourrait ressembler à un éden méditerranéen, mais trouve malheureusement aussi sa comparaison avec une autre île tristement célèbre… Souvenez-vous ! À la fin du film Papillon lorsque le bagnard Papillon, incarné par Steeve Mc Queen est envoyé sur l’île du Diable pour terminer sa captivité…

Eh bien Gorgona, c’est un peu l’île du Diable version toscanisée, sans l’humidité équatoriale et avec un régime pénitentiaire moins coercitif, faisant de cette colonie agricole une échappatoire à la surpopulation carcérale de la prison de Florence. L’îlot de Gorgona peut accueillir environ 70 détenus en fin de peine, venant cultiver tour à tour le potager de l’île, s’occuper de la cueillette des olives et veiller à l’entretien d’une vigne blottie dans un amphithéâtre magnifiquement exposé.

Sous la houlette de Marchesi Frescobaldi

Le projet de conduire une vigne sur l’île n’est pas nouveau. Depuis 1989 la colonie s’est essayée à la production d’un vin à partir de vermentino et de l’ansonica (cépage autochtone), mais la qualité des premières cuvées s’est révélée décevante voire calamiteuse, au point que la vigne sera laissée à l’abandon en 2008.

Cependant sur l’initiative d’un détenu désireux de relancer le petit vignoble de Gorgona, le directeur lance   un appel à partenariat en direction d’une centaine de propriétés de Toscane.  Une seule, mais pas la moindre, se donnera la peine de répondre à la requête de la colonie pénitentiaire : Marchesi Frescobaldi.

Marchesi Frescobaldi est le mastodonte du Chianti, réunissant pas moins de six propriétés dont le célèbre château de Nipozzano dans l’aire d’appellation du Chianti Rufina.  Ce conglomérat vinicole déverse sur le marché   une production de plus de 11 millions de bouteilles. La famille Frescobaldi qui descend de la richissime dynastie bancaire de la Renaissance, aligne aux côtés de ses vins de grande diffusion, quelques joyaux comme le « supertoscan » Ornellaia qui façonne aussi l’opulent et le prestigieux   merlot de Masseto, sans oublier d’autres joyaux tel le Castelgiocondo dans le Brunello di Montalcino.

L’expertise et les moyens colossaux injectés par Marchesi Frescobaldi, vont véritablement changer le destin du vin de Gorgona en 2012.

Au point de revêtir un statut à part dans l’échiquier des vins italiens, celui d’être l’un des vins blancs le plus révéré et le plus cher d’Italie, à cause de sa rareté et de son caractère extrêmement insolite.

Les contraintes insulaires et pénitentiaires

Si produire un vin sur une île n’a rien d’une sinécure, l’exercice se complique un peu plus avec des détenus qui ont abandonné, depuis de longues années, la discipline et les habitudes du monde du travail.

Face à ces contraintes, le PDG de Marchesi Frescobaldi, Lamberto Frescobaldi, ne se dérobe pas et  va dépêcher une équipe de 15 personnes : dont un œnologue en chef pour superviser l’élaboration du vin. Avec le temps, le turnover de l’équipe s’avère assez élevé, car au-delà de la carte postale, Gorgona située à seulement 18km du trait de côte, peut être coupée du reste du monde pendant plus de 15 jours lors des épisodes de mauvais temps.

Pas moins de trois œnologues se sont déjà succédé, sans compter l’enchérissement des coûts de production inhérents aux conditions insulaires. À titre de comparaison : la compagnie loue 13 000 euros à l’année le droit d’exploitation de la vigne quand le coût moyen dans le Chianti revient à 1500€. Preuve en est qu’une des composantes de ce projet procède aussi d’une forte ambition sociale, ce qui n’empêche pas, bien au contraire, de   recueillir aussi les retombées sociales et publicitaires pour l’image des Frescobaldi.

Pour les prisonniers- vignerons, outre l’apport d’un salaire, la possibilité de travailler dans ce vignoble représente une véritable opportunité d’apprentissage qui consolide leurs chances de réinsertion comme semble l’attester le taux de récidive exceptionnellement bas de la prison.

4 000 bouteilles !

En quelques millésimes, le vin de Gorgona s’est donc érigé au rang des vins les plus convoités d’Italie avec un prix de revente qui avoisine les 100€.

En dépit de cette soudaine célébrité, l’exploitation du vignoble accuse un déficit annuel de plus de 100 000 euros, toutefois facilement absorbé par la puissance financière de la compagnie. Chaque millésime reste parcimonieux, même un rouge à partir de sangiovese est venu s’adjoindre aux 4000 bouteilles de blancs. Goûter ce vin âprement disputé demeure donc un privilège, sa commercialisation reste confinée à l’Italie, je ne peux en conséquence que me contenter de relayer quelques comptes-rendus …

De conserve Le vermentino et l’ansonica font à l’évidence ressortir la nature profondément méditerranéenne d’un vin environné par le myrte, le romarin, et des pins d’Alep. Le nez exhale un pot-pourri d’herbes aromatiques et dévoile une sublime richesse fruitée, finement tranchée par la salinité. Aux côtés des vins de Faro (Palari) en Sicile, du domaine de Marisa Cuomo sur la côte Amalfitaine, mais aussi du fameux Campogrande d’Elio Altare dans les Cinqueterre, Gorgona prend sa place dans le cercle très fermé des vins méditerranéens de légende, créés autour d’une beauté paysagère sans égale.

Raphno

Crédit photos : DR
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