Anne Groutel est maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et docteur en études irlandaises. Chercheuse, elle est rattachée au Pôle 1 (Vie économique : dynamiques, modèles socioéconomique) du Center for Research on the English-speaking World (Sorbonne Nouvelle – Paris 3) et membre du Groupement d’intérêt scientifique ÉIRE – Études irlandaises : Réseaux et Enjeux au sein duquel elle co-dirige l’axe « diaspora : économie, migration, intégration ».
Elle vient de publier une étude passionnante intitulée LES DEUX IRLANDES ET LA DIASPORA, un attachement intéressé.
Un livre qui s’intéresse essentiellement aux relations économiques depuis plus d’un siècle entre la diaspora irlandaise et les deux Irlandes. A partir des années 1960, les deux Irlandes, désireuses d’attirer des investissements étrangers, décident, chacune de leur côté, de faire appel à l’élite entrepreneuriale de la diaspora aux États-Unis. Les autorités irlandaises parviennent ainsi à tisser de puissants réseaux. Au fil des décennies, elles se sont efforcées de pérenniser cette collaboration.
Cet ouvrage de civilisation irlandaise met en lumière le rôle discret, mais néanmoins essentiel, que ces hommes d’affaires de premier plan ont joué dans le développement économique des deux Irlandes à des moments charnières de leur histoire récente. Cette étude dévoile l’influence grandissante de magnats irlando-américains sur la politique économique irlandaise et la nature complexe de leurs relations avec les dirigeants irlandais où se mêlent bons sentiments, intérêt mutuel et rapports de force plus ou moins tangibles.
Le livre peut être acheté ici . Il est édité aux Presses Universitaires de Caen, qui font un travail considérable sur l’Irlande, en matière universitaire (on signalera pour les curieux la revue Etudes Irlandaises).
Pour l’évoquer, nous avons interrogé Anne Groutel.
Nous nous devons de préciser – et cela a son importance – qu’Anne Groutel ne cautionne aucunement la ligne éditoriale de Breizh-info et ses idées
Breizh-info.com : La diaspora Irlandaise, ce sont 70 millions d’individus, pour un pays de 5 millions d’habitants (République) et 1,8 millions (Irlande du nord). Comment expliquer ce nombre, exponentiel au regard du foyer de départ ?
Anne Groutel : Évidemment une diaspora de 70 millions d’individus au regard de la population irlandaise/nord-irlandaise actuelle paraît être un nombre disproportionné. Il faut cependant le mettre en perspective. En premier lieu, il s’agit d’une diaspora, c’est-à-dire un phénomène multigénérationnel. On compte donc parmi ces millions, des personnes qui ont émigré récemment mais également et surtout des individus dont l’ascendance irlandaise peut remonter à très loin mais qui restent fiers de leurs racines, même lointaines.
En second lieu, le terme exponentiel n’est pas approprié dans le contexte actuel. En effet, l’émigration irlandaise a effectivement connu une augmentation exponentielle au moment de la Grande Famine (1845 – 1852) quand un million et demi de personnes (pour une île qui comptait 8,5 millions d’habitants en 1841) quittèrent l’Irlande pour la Grande-Bretagne, l’Amérique du Nord, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Par la suite, le nombre des candidats à l’émigration a considérablement baissé. Au XXe siècle, on note des augmentations ponctuelles au moment des crises économiques successives que le pays a connues mais rien de comparable à l’exode du XIXe siècle.
Breizh-info.com : Quel a été le rôle, et l’influence, de cette diaspora, diverse, durant le 20ème siècle ? Et aujourd’hui ? Est-ce que cela ne s’estompe pas progressivement ? Le bond économique, favorisé notamment par des membres de la diaspora aux USA, n’est-il pas achevé aujourd’hui ?
Anne Groutel : Le rôle et l’influence de la diaspora au XXe siècle ont revêtu plusieurs facettes. Dans le domaine économique, ils sont cependant peu connus. En effet, dans les années 1950, l’Irlande, un pays jusqu’alors protectionniste, a opté pour l’économie de marché et ouvert ses portes aux investisseurs étrangers. Les avantages que leur offrait l’Irlande étaient, déjà à l’époque, très généreux. Mais, sa situation géographique périphérique ne jouait pas en sa faveur. En outre, sa main-d’œuvre n’avait pas bonne réputation. Des hommes d’affaires irlando-américains très influents, à la demande des gouvernants irlandais de l’époque, se sont alors non seulement risqués à investir en Irlande et mais leur ont également ouvert les portes de cercles d’affaires très fermés aux États-Unis. Une fois la voie tracée par quelques entreprises pionnières, d’autres suivirent. Quand l’Irlande devint membre de la Communauté européenne en 1973, elle s’était forgée l’image d’un pays où il était sûr et rentable d’implanter des unités de production. Dans les années 1990, ce sont également des membres de la diaspora irlandaise qui ont soit investi soit contribué à faire venir des multinationales de haut calibre à qui l’Irlande doit son « miracle » économique. Leur forte présence dans ce pays a contribué à lui donner une visibilité et un certain poids au sein de l’Union européenne. Il est, en effet, arrivé que les représentants irlandais se fassent les défenseurs des intérêts de ces multinationales auprès des instances de Bruxelles.
Par ailleurs, au lendemain de l’accord du Vendredi saint (1998) et grâce à l’instauration d’un gouvernement multipartite, les hommes d’affaires irlando-américains se sont intéressés de plus près à l’Irlande du Nord. La province leur doit la venue d’activités de recherche et développement dans des domaines de pointe, des investissements dans des startups indigènes et même le tournage de la série culte Game of Thrones. Le Brexit a changé la donne, mais il est aujourd’hui encore trop tôt pour se prononcer sur ses effets économiques en Irlande du Nord.
L’influence de l’élite entrepreneuriale irlando-américaine sur les affaires économiques et la politique en Irlande n’a, en réalité, cessé de croître au fil du temps. Les dirigeants irlandais rendent d’ailleurs souvent hommage aux grands noms de la diaspora en les faisant citoyens d’honneur. Au-delà de leurs investissements, certains d’entre eux ont eu et ont toujours un rôle de conseil auprès des autorités irlandaises qui leur prêtent une oreille attentive. Mais, la présence de certaines personnalités de la diaspora devient de plus en plus visible, un peu trop au goût de certains. L’accueil, plus que frileux, réservé à la candidature à l’élection présidentielle de la République d’Irlande de 2011, de Niall O’Dowd, journaliste très connu, irlandais de naissance mais résidant aux États-Unis, proche des milieux d’affaires irlando-américains, montre qu’il existe une certaine résistance en Irlande vis-à-vis de l’omniprésence de certaines personnalités de la diaspora. O’Dowd a d’ailleurs retiré sa candidature avant l’élection.
Cependant, il est vrai qu’à moyen terme, les appuis dont l’Irlande bénéficie dans les milieux politiques et économiques aux États-Unis pourraient de devenir moins nombreux. D’une part, la plupart de jeunes Irlandais qui émigrent aujourd’hui vers cette destination et d’autres, comme l’Australie par exemple, ne comptent pas s’y installer de façon permanente. Ils y restent quelques années pour enrichir leur expérience professionnelle puis reviennent en Irlande. Ceux qui s’installent à l’étranger restent en contact permanent avec leur famille grâce aux nouvelles technologies de la communication et sont moins enclins à rejoindre les réseaux ethniques, vecteurs d’influence. Même si cela peut certes entraîner une baisse de l’influence dont l’Irlande a pu jouir grâce à sa diaspora dans les milieux économiques et politiques aux États-Unis, le fait que ces irlandais reviennent après quelques années ne devrait pas être considéré comme une menace. Riches de leur expérience à l’étranger, ils se lancent très fréquemment dans l’entrepreneuriat une fois de retour, une tendance qui ne peut que bénéficier à l’économie irlandaise.
D’autre part, les changements démographiques qui sont en train de s’opérer aux États-Unis se traduisent, entre autres, par l’arrivée de leaders politiques issus de communautés latinos et afro-américaines. L’influence de la diaspora irlandaise dans les hautes sphères du pouvoir pourrait ainsi disparaître petit à petit. Les gouvernants irlandais se préparent cependant à l’étape d’après.
La politique irlandaise est désormais beaucoup plus inclusive qu’elle ne l’était auparavant et cherche ainsi à conserver ses entrées dans les lieux de pouvoirs aux États-Unis. Aussi, cible-t-elle la partie métissée de la diaspora irlandaise aux États-Unis, la communauté LGBT d’origine irlandaise et les communautés d’affinité (affinity diaspora), c’est-à-dire les personnes qui ne sont pas d’origine irlandaise mais qui ont, par exemple, séjourné en Irlande pendant un temps et y sont restées attachées.
Les autorités irlandaises sont aussi conscientes que le leadership économique et politique américain est en train de décliner lentement au profit de la Chine et des pays émergents. Depuis la crise de 2008, Dublin cherche à mobiliser l’influence de la diaspora dans tous les pays du globe, particulièrement ceux qui offrent un potentiel économique en matière d’investissement et des débouchés à l’export. Le Brexit est depuis venu s’ajouter aux raisons de trouver de nouveaux partenaires économiques.
L’économie irlandaise a commencé sa transition vers un modèle économique qui, à mon avis, sera à terme plus équilibré. Les dirigeants essaient d’encourager les entreprises indigènes à investir à l’étranger, à se développer et à exporter, en particulier vers les pays émergents. L’objectif est de promouvoir une économie entrepreneuriale moins dépendante des investissements étrangers. Un certain nombre de capitaux-risqueurs irlando-américains investissent dans les jeunes pousses irlandaises et leur apportent le capital de départ que les banques irlandaises leur refusent souvent.
Il est intéressant de constater que même au plus fort de la crise financière qui frappa l’Irlande en 2008, les multinationales n’ont pas fui le pays, bien au contraire. Aujourd’hui, elles y mènent aussi des activités de recherche et développement. L’Irlande semble donc s’être relevée « miraculeusement », mais là encore, la diaspora n’y est pas totalement étrangère. Les multinationales américaines sont aujourd’hui encore le pilier principal de l’économie, mais cela pourrait être amené à changer si la taxe sur les GAFAM que Jo Biden envisage de mettre en place voit effectivement le jour. Le projet prévoit une imposition minimale des multinationales américaines de 21 %, quel que soit le pays dans lequel elles opèrent. Autrement dit, si un pays taxe, comme l’Irlande, les profits de Google à 12,5 %, les États-Unis prélèveront un complément sur l’activité irlandaise de 8,5 %. L’Irlande pourrait alors perdre beaucoup de son attrait. Paradoxalement, l’Irlande, délaissée par Donald Trump, avait repris espoir avec l’élection de Joe Biden qui revendique avec fierté ses origines irlandaises et dont les discours durant la campagne présidentielle étaient émaillés de citations de grands auteurs irlandais comme William Butler Yeats, Seamus Heaney et James Joyce.
Breizh-info.com : Le conflit nord irlandais a bien évidemment profondément marqué, y compris cette diaspora. Etait-elle unanime en faveur du camp Républicain ? Ou bien est-ce un peu plus compliqué que cela, tout comme l’est l’histoire de la fin du 20ème siècle en Irlande du Nord
Anne Groutel : Vous avez raison de soulever la complexité de la question nord-irlandaise. La fin des années 1960 a vu l’irruption de la violence en Irlande du Nord. Les images diffusées dans les médias du monde entier ont eu, entre autres, pour effet de réveiller la fibre identitaire des irlando-américains. Mais, ce sentiment ne s’est pas traduit de la même façon pour tous. Certains soutinrent financièrement l’Irish Northern Aid Committee (NORAID), une organisation américaine qui soutenait le parti républicain du Sinn Féin, soupçonnée d’achat d’armes pour la Provisional Irish Republican Army (PIRA). Atterrés de voir que des sommes considérables en provenance des États-Unis étaient destinées à alimenter l’engrenage de la violence, deux hommes d’affaires très en vue de la diaspora, Anthony O’Reilly et Dan Rooney, fondèrent The Ireland Fund en 1976. Cette organisation caritative chercha à récolter des fonds pour promouvoir la paix et la réconciliation sur l’île d’Irlande par des moyens pacifiques. Apolitique, elle représenta une alternative pour de nombreux irlando-américains, désireux de contribuer à la résolution du conflit. Elle est aujourd’hui présente dans douze pays à travers le monde. J’ai vécu en Irlande du Nord de 1986 à 1994 où j’ai, pendant un temps, travaillé pour Cooperation North (aujourd’hui Cooperation Ireland).
Cette organisation caritative, également apolitique, qui œuvre pour la paix et la réconciliation, reçoit une grande partie de ses subsides de la diaspora. Il est difficile d’évaluer quelle était la popularité de la cause républicaine, en tant que telle, au sein de la diaspora aux États-Unis dans les années qui ont précédé les cessez-le-feu des organisations paramilitaires en 1994. En revanche, il est tout à fait clair que l’usage de la violence ne faisait pas l’unanimité, en particulier parmi la classe aisée irlando-américaine.
Enfin, il ne faut pas oublier, ce que l’on a souvent tendance à faire, que la diaspora irlandaise n’est pas homogène et compte de nombreux individus originaires du nord-ouest de l’île et de confession protestante, en règle générale, peu enclins à soutenir les actions des groupes paramilitaires républicains.
Breizh-info.com : Quelles ont été les grandes figures, les figures influentes, de la diaspora irlandaise ? Et aujourd’hui ? Pourquoi évoquez-vous un attachement intéressé ?
Anne Groutel : Sur 70 millions de personnes que compte la diaspora actuellement, il y a eu et il y a toujours des dizaines de figures influentes et/ou de personnages connus, ce dans tous les milieux. En politique, John Fitzgerald Kennedy, Ronald Reagan, Bill Clinton, Barak Obama et Joe Biden ont, ou avaient, des ancêtres irlandais, et plus d’un tiers des présidents américains étaient originaires la province d’Ulster (dont six comtés font aujourd’hui partie de l’Irlande du Nord). Saviez-vous que même le Général de Gaulle avait des origines irlandaises ? Mais la plupart des noms de ceux qui ont œuvré pour l’économie irlandaise sont inconnus du public français. Je pense, par exemple, à W. R. Grace qui investit en Irlande dans les années 1960 et qui présenta Seán Lemass, le premier ministre d’alors, aux patrons des grandes banques et multinationales américaines qui vinrent ensuite s’implanter en Irlande. Je pense également à Donald Keough (ancien PDG de Coca-Cola) qui, dans les années 1990, non seulement y investit mais convia également ses amis les milliardaires Warren Buffett et Bill Gates à venir en mission d’exploration en Irlande. Les deux hommes y investirent par la suite. Mais, le milliardaire philanthrope, Chuck Feeney, est probablement celui qui a laissé la trace la plus profonde et la plus durable. Des 1,2 milliard d’euros dont sa fondation, Atlantic Philanthropies, a fait don à l’île d’Irlande entre 1987 et 2014, 553 millions ont été consacrés à la modernisation de l’enseignement supérieur, en particulier aux infrastructures de la recherche, contribuant ainsi aux efforts des autorités irlandaises visant à faire de l’Irlande une « économie de la connaissance ».
Je ne doute nullement de la sincérité des sentiments que ressent la grande majorité des personnes de souche irlandaise pour leur terre d’origine. Quand j’évoque un attachement intéressé, je fais référence à la fois au décalage entre la nature des motivations et le discours des gouvernants irlandais et aux sentiments ambigus de ces hommes d’affaires cultivent quand ils investissent en Irlande. En effet, depuis l’indépendance du pays, les dirigeants irlandais ont souvent eu recours à la diaspora en temps de crise car elle représente une source potentielle de revenus.
Au lendemain de la guerre civile irlandaise (1922 – 1923) qui vit s’affronter les indépendantistes et les partisans du traité Londres qui n’accordait à l’Irlande qu’un statut de dominion, le jeune État irlandais se devait de réconcilier les deux camps et de renflouer ses caisses. La diaspora irlandaise fut donc invitée à participer aux Tailteann games, version gaélique des jeux olympiques. De nouveau, en 1953, les Irlandais de l’étranger furent conviés à assister aux événements culturels organisés dans le cadre du festival An Tóstal, alors que le déficit de la balance commerciale irlandaise était très préoccupant. En 2013, au moment où les finances irlandaises étaient au plus bas, les Irlandais fut pressés d’inviter leurs familles dispersées à travers le monde à venir assister aux manifestations culturelles organisées dans le cadre du festival The Gathering. Il n’est, bien sûr, jamais question de déficit de la balance commerciale ou de niveau d’endettement. La publicité officielle qui entoure ces événements cherche au contraire à faire vibrer la corde sensible de la diaspora, à inspirer de la nostalgie et faire naître l’envie d’un retour aux sources. Les ressorts utilisés par les dirigeants irlandais pour convaincre les hommes d’affaires de la diaspora ne sont pas très éloignés. Le sort tragique de nombreux Irlandais qui traversèrent l’Atlantique pour le nouveau monde, mais également la contribution remarquable, de ceux qui survécurent, à la construction et la réussite de l’« Amérique » sont des thèmes qui reviennent souvent dans le discours officiel. Si ces magnats irlando-américains se sentent redevables envers l’Irlande, ils auront envie de faire une bonne action pour la terre de leurs ancêtres. Entretenir leur sentiment d’appartenance fait donc partie de la stratégie. Je pense cependant que le célèbre discours de l’ancienne présidente irlandaise, Mary Robinson, dans lequel elle invita les Irlandais à chérir la diaspora était tout à fait sincère et dénué de ce genre d’arrière-pensées.
Ce discours fut d’ailleurs raillé en son temps. Quoi qu’il en soit, il est évident que les hommes d’affaires de la diaspora sont sensibles à ce discours, mais ils restent des hommes d’affaires et s’ils investissent en Irlande, ils y trouvent un intérêt financier certain. Si les conditions avantageuses que l’Irlande offre aujourd’hui aux investisseurs étrangers devaient changer, il n’est pas certain que les liens ancestraux pèseraient bien lourd dans la balance. D’ailleurs, dans les années 1970, quand WR Grace trouva des conditions plus favorables ailleurs, son entreprise quitta l’Irlande du jour au lendemain.
Breizh-info.com : Vous évoquez essentiellement l’aspect économique, cet « attachement intéressé » comme sous-titre de votre ouvrage. Mais en ouverture, peut-on évoquer également l’aspect culturel porté par cette diaspora irlandaise à travers le monde, et son influence, y compris sur le regard porté par une partie monde sur l’Irlande aujourd’hui ?
Anne Groutel : L’aspect culturel est très important car il fait partie des éléments qui cimentent la diaspora et contribue à la transmission de génération en génération de ce qui compose l’identité irlandaise à l’étranger. Sans cette transmission, les individus finissent par s’assimiler dans la société d’accueil. Dans le cas de la diaspora irlandaise, la musique irlandaise a joué et joue toujours un grand rôle à plusieurs égards. Dans les années qui suivirent la Grande Famine, les chansons des auteurs compositeurs irlando-américains ont perpétué le souvenir des souffrances endurées par les Irlandais, la douleur de l’exil, la nostalgie pour une île idéalisée où tout était beau et sain. Dans les années 1960, il y a eu un regain d’intérêt pour la culture ethnique, en général, aux États-Unis et pour la musique irlandaise traditionnelle dans les deux décennies qui suivirent. Même si la musique irlandaise a parfois été réinventée et/ou hybridée, elle reste aujourd’hui encore un marqueur fort de l’identité des immigrés irlandais en Amérique du Nord. Par ailleurs, la diaspora contribue, vous avez raison de le souligner, à la diffusion et au rayonnement à l’étranger de la culture irlandaise/gaélique dont le folklore séduit, entre autres, par son côté mystique.
Breiz-info.com : Les récentes tensions apparues en Irlande du Nord suite au protocole et au brexit vont-elles amener la diaspora, là encore, à jouer un rôle quelconque dans ce qu’il se passe ou pourrait se passer, si la violence repartait de plus belle, cette fois-ci à l’initiative sans doute du camp loyaliste/unioniste ?
Les violences larvées dont nous sommes témoins à l’heure actuelle dans certains quartiers populaires d’Irlande du Nord sont préoccupantes. Les termes du protocole posent problème au camp unioniste/loyaliste mais les conséquences économiques de la pandémie s’ajoutent à la dégradation du climat social … et les conséquences économiques du Brexit sont encore à venir. Il ne s’agit pas (encore) d’un mouvement organisé et beaucoup de ce qui sont responsables des récentes émeutes sont jeunes voire très jeunes. Ils ne comprennent pas forcement les subtilités du protocole, mais ils se sentent trahis par Londres et assistent impuissants à la montée démographique de la communauté catholique. Sans leaders avec lesquels négocier, Londres en est réduit à essayer de maintenir l’ordre.
Il est difficile de visualiser quel rôle la diaspora pourrait alors jouer. On sait cependant que le candidat Biden a fait pression en coulisse contre le rétablissement d’une frontière terrestre dans l’île et prévenu Boris Johnson qu’il refusait que la paix en Irlande du Nord soit remise en cause par le Brexit. Si cela devait être le cas, le possible accord commercial entre les États-Unis et le Royaume-Uni, dont Londres attend beaucoup, pourrait rester lettre morte. Le rétablissement de la frontière terrestre entre les deux parties de l’île pourrait effectivement provoquer une résurgence de la violence républicaine et mettre en danger le statu quo, mais il ne faut pas sous-estimer ce à quoi nous assistons actuellement dans les quartiers loyalistes qui pourraient se transformer en poudrière.
Propos recueillis par YV
Crédit photo : https://www.flickr.com/photos/altuwa/4432569686
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