Sciences économiques ou économie politique ? Politique d’abord !

Ci-dessous le texte d’introduction du colloque de l’Institut Iliade qui s’est tenu la semaine dernière à Paris, introduction signée Jean-Yves Le Gallou.

Le terme économie politique apparaît au XVIIe siècle. Pour Antoine de Montchrestien il s’agit d’étudier les relations entre la production et le commerce d’un côté, les lois et coutumes de l’autre.

Au XIXe siècle, les auteurs marginalistes anglais (Jevons, Marshall) préféreront le terme d’économie tout court dans le double but d’émanciper leur discipline de la politique et de la faire accéder au statut de science.

C’est dans cette perspective que le terme sciences économiques, plus déterministe, a été placé sur le devant de la scène au XXe siècle.

Observons toutefois que le terme économie politique a fait de la résistance puisqu’il a continué, quasiment jusqu’à aujourd’hui, d’être la référence des programmes dans les facultés de droit et de sciences économiques et les instituts de sciences politiques.

L’économétrie nous parle des moyens, l’économie politique pense aux fins

Bien sûr la science économique, notamment sous la forme d’économétrie, de mathématiques appliquées à l’économie, est riche d’enseignements. Et même si une corrélation ne s’explique pas toujours par une causalité, les mathématiques appliquées à l’économie peuvent aider à comprendre le réel. Mais elles ne disent pas ce qu’il convient de décider.

En voici deux exemples.

Le démographe Bourcier de Carbon a établi un lien de causalité entre l’évolution du taux de fécondité dans une société et l’évolution des revenus relatifs entre une famille avec enfants et des ménages sans enfants. L’expérience récente des politiques familiales illustre ce lien. La diminution et le plafonnement des aides familiales sous François Hollande ont été accompagnés d’un recul du nombre des naissances en France. A contrario, les politiques familiales hongroises ou russes ne sont pas restées sans effets positifs sur la natalité de ces pays. Les faits sont là. Mais c’est affaire de choix politique !

De même, le Centre de mathématiques appliquées de l’École des mines des Paris a beaucoup contribué à la compréhension de la formation des prix et des stratégies de conquête des marchés dans les domaines de l’énergie et des transports, notamment. Ces connaissances sont nécessaires aux chefs d’entreprise et aux décideurs politiques. Pour autant elles ne suffisent pas pour déterminer quelles politiques choisir en matière d’environnement, d’aménagement du territoire et de protection des paysages.

L’économie peut disserter sur les moyens, pas sur les fins. L’économiste ne peut pas se substituer au décideur politique. Politique d’abord, pourrait-on dire !

Une si belle concurrence ni libre, ni pure, ni parfaite…

De manière plus globale, la société de marché s’est affirmée en faisant de la concurrence l’alpha et l’oméga de la politique économique. Le principe moteur de l’Europe de Bruxelles, ce n’est ni l’identité, ni la puissance européenne, c’est la « libre concurrence ». Sauf que la concurrence n’est ni « libre, ni pure, ni parfaite » comme le voudrait la théorie.

Un petit nombre d’acteurs limitent l’entrée sur le marché en acquérant des positions sinon monopolistiques, du moins oligopolistiques. Ils utilisent leur puissance et leur influence pour imposer une « concurrence égale »… autour des modes qu’ils inspirent et des règles qu’ils font adopter par les autorités politiques. L’information n’est jamais transparente et l’accès de nouveaux venus aux marchés pas toujours possible. Le meilleur exemple en est les codes des marchés publics : d’un côté, ils refusent d’intégrer certains critères (la proximité, la nationalité, par exemple), de l’autre ils limitent le nombre des compétiteurs par une réglementation tatillonne que ne peuvent maîtriser que les entreprises dotées de services spécialisés.

La libre circulation : un jeu perdant-perdant pour les peuples ?

Bien sûr les États opèrent aussi en coulisses. Et les théories économiques ne sont pas neutres : les économistes anglo-saxons, anglais puis américains, ont privilégié les théories économiques centrées sur les individus et les firmes. A contrario, et face aux thalassocraties, les économistes des puissances de la terre ont davantage étudié les rapports de pouvoir et les stratégies de développement territorial : au XIXe siècle l’Allemand Frédéric List s’est intéressé à l’économie nationale ; au XXe siècle les Français François Perroux et Maurice Allais ont souligné l’importance des jeux de puissance dans l’économie. Et la légitimité pour un État de défendre une « préférence de structure ».

De ce point de vue là, le dogme de la libre concurrence pose un double problème s’agissant des facteurs de production que sont le capital et le travail.

La libre circulation du travail a changé de dimension avec le développement des moyens de transport : les containers rendent possibles les délocalisations, la banalisation des transports maritimes et aériens facilite les migrations. Le tout est encouragé et facilité par les dogmes libre-échangistes portés par les organisations internationales : Union européenne, GATT, Organisation mondiale du commerce, Organisation mondiale des migrations. Cette situation a des effets doublement pervers : elle met en concurrence des hommes, des situations, des régimes économiques et sociaux, des pratiques culturelles profondément différents. Elle déstabilise les économies et les sociétés touchées : par le développement du chômage et de la précarité dans les nations concernées par les délocalisations et l’immigration ; par la fuite des forces vives et la destruction des productions traditionnelles dans les pays d’émigration et d’implantation. Là où les mondialistes insistent sur le win-win en matière de commercialisation et de diffusion de richesses (pour les oligarques surtout…), les souverainistes et les identitaires observeront plutôt du « perdant-perdant » du point de vue des relations humaines et de l’équilibre social. Sans parler des chocs culturels. Ni des conflits à venir.

La libre circulation du capital fait bon marché des stratégies de pouvoir des grandes firmes et des États. En Chine il n’y a pas d’autorisation d’investissement pour une entreprise étrangère sans « joint-venture » avec une entreprise locale agréée par le pouvoir. De leur côté, les États-Unis utilisent les moyens de leur puissance publique pour étendre leur influence dans les secteurs stratégiques : la CIA est derrière bien des fonds d’investissement – type Carlyle – qui rachètent des pépites technologiques européennes. Et le DOJ (Department of Justice) se sert de l’extension impériale du droit américain au monde entier pour ravir certains joyaux technologiques européens, comme la filière nucléaire française dans la funeste affaire Thomson.

Il ne peut y avoir de politique dictée par la science économique. L’économie est d’abord et avant tout politique parce qu’elle est aussi et d’abord un lieu de confrontation entre les pouvoirs.

Coronavirus et dictature sanitaire : au bonheur des puissants !

Un exemple grandeur nature nous en est fourni par la gestion de l’épidémie de coronavirus. Il ne s’agit pas ici de traiter la question du point de vue sanitaire mais de constater des faits d’importance majeure.

La grande majorité des pays occidentaux a choisi de dramatiser la situation (modèle grande peste plutôt que grosse grippe) et d’imposer aux peuples des mesures extraordinairement contraignantes, bouleversant les règles de vie économiques, sociales et sociétales, et portant atteinte aux libertés fondamentales d’expression, de circulation, de culte, de commerce, de recherche et de prescription.

Ces mesures ont été imposées par une propagande massive doublée d’une censure vigilante. Or celles-ci n’ont été possibles que parce que les GAFAM, les grands médias audiovisuels, les nouveaux médias (Netflix, Spotify), les grandes plates-formes de jeux vidéo avaient un intérêt majeur au confinement qui maintient les gens derrière leurs écrans. Et en même temps les pouvoirs idéologiques et politiques appréciaient aussi de disposer d’un plus grand temps de cerveau disponible de leurs sujets.

L’épidémie de Covid a été instrumentalisée par la nouvelle économie contre l’ancienne. Par les grandes surfaces commerciales et les plates-formes de vente par correspondance contre les petits commerces. Par les utilisateurs de robots et d’esclaves (Amazon, Uber Eats, Deliveroo) contre l’économie de proximité. Par les centrales de la malbouffe (Subway, McDo, Starbucks) contre les restaurants traditionnels.

De manière générale, dans tous les secteurs économiques, les plus gros acteurs résistent mieux aux contraintes et à l’adversité que les plus petits. Ces plus petits dont ils attendent l’aggravation des difficultés et la mort pour les racheter à bas prix. En particulier lorsque ces petits disposent encore de localisations privilégiées comme les « corners » de centre-ville.

Bien sûr, l’épidémie de Covid n’a été ni créée, ni inventée de toutes pièces à ces fins. C’est juste une opportunité qu’un certain nombre de forces idéologico-économiques ont saisie. Pour renforcer leur puissance. Non, non, le marché n’est pas neutre, il est le jouet de la manipulation des forces économiques les plus puissantes du moment.

Alors voilà quelques-unes des pistes qui seront abordées au cours de ce colloque :

– Comment a-t-on pu passer en deux à trois siècles de théories faisant de la grandeur des nations un objectif (mercantilistes) à une économie qui fait abstraction des nations ? Alors même que l’ouvrage d’Adam Smith, fondateur du libéralisme économique, s’appelle encore La Richesse des nations ?

– Est-il encore possible de reprendre la maîtrise de la territorialisation des économies ? Et de voir à nouveau se développer des formes d’activités économiques donnant du sens ?

– Comment les peuples européens peuvent-ils retrouver des logiques de puissance dans un monde de guerre économique entre États-continents et firmes mondiales ?

Jean-Yves Le Gallou

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Une réponse à “Sciences économiques ou économie politique ? Politique d’abord !”

  1. J’ai été Professeur d’Économie Politique Appliquée auprès de l’iFB de 1989 à 1993.

    Je vous précise donc que celle-ci est mieux dénommée comme :  » Economie monétaire « . La monnaie dans toutes ses composantes et ses totaux, ses consistances diverses est le domaine en chef normalement de tout du Gouverneur de la BCN, en France la BDF. Celui-ci constitue aux côtés du Ministre des Finances et du Chef de l’Etat, Ce que l’on nomme « les autorités monétaires ». La France n’a plus aujourd’hui de politique monétaire puisque remise entre les mains de la succursale de la BDF et des 11 autres BCN : la BCE. Ce qui veut dire que l’économie générale et financière française est conditionnée, contrainte, encadrée, maintenue, par les décisions de l’EUROLAND allemand, la fameuse eurozone. Je rappelle que même les statistiques monétaires ont été changées dans leurs agrégats et leur conception générale même sur le modèle allemand dès le 1er janvier 1999 avec le passage à l’euro scriptural durant les trois ans suivants, et toujours depuis la composante fiduciaire en 2002. Fiort heureusement la BDF a continué à tenir ses statistiques ce qui fait que nous connaissons quand même notre masse monétaire détaillée à la mode allemande cependant. Pour tous renseignements, vous pouvez me contacter.

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