C’est en farfouillant dans les stocks du Musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, que deux chercheurs ont mis la main en 2014 sur une curieuse dalle, déjà connue par des articles scientifiques, mais qui avait été perdue…malgré sa taille de 1.53 sur 2.2 mètres.
L’oeil exercé d’Yvan Paillet (INRAP) et Clément Nicolas (Université de Bournemouth) est aussitôt attiré par les gravures qui couvrent la dalle : des ronds, des lignes, des parties creusées et des bosses créées volontairement par les graveurs du Bronze ancien (2150-1600 av JC).
Ces formes rappellent aux chercheurs d’autres vestiges archéologiques, datant de l’Age du Fer (de 800 à 100 av JC) : les gravures rupestres de Bedolina, dans le nord de l’Italie. Or celles-ci étaient jusqu’à présent considérées comme la première carte au monde, puisqu’elles représenteraient un paysage avec ses champs, ses chemins, ses rivières et ses maisons.
Pour vérifier leur intuition cartographique, les deux chercheurs décident de remettre le mégalithe dans son contexte. Retour donc aux sources de la découverte, à Saint-Bélec, sur la commune de Leuhan, dans le 29.
C’est là qu’en 1900 le Pont-l’Abbiste Paul du Châtellier, président de la Société archéologique du Finistère, fouille un tumulus monumental. Il y trouve un dolmen, c’est-à-dire la tombe d’un grand personnage de l’époque mégalithique, et, formant une des parois du tombeau, la fameuse dalle gravée : vraisemblablement, elle a été réemployée par les constructeurs du dolmen, qui se sont servis sur un monument existant dans les environs. Son enfouissement à l’abri de l’atmosphère explique d’ailleurs le bon état de conservation des gravures.
Une fois sur place, Yvan Paillet et Clément Nicolas sont frappés par la majesté des lieux qui les entourent. Et ils émettent une hypothèse grandiose : la dalle ne serait pas le cadastre d’un petit parcellaire, mais rien moins que la cartographie de toute la région environnante, sur un espace couvrant 30 km de long sur 21 km de large.
Le triangle visible sur la gauche de la pierre ressemble en effet à la vallée de l’Odet, bordée en éventail par les Montagnes Noires et les Collines de Coadri. Dans ce triangle, près de l’embouchure, un petit rectangle dégagé en bas-relief : c’est le massif sedimentaire de Landuda. Plus loin, des traits parallèles s’écartent de la ligne centrale : ce sont des affluents de l’Odet et d’autres cours d’eau descendant le versant nord des Montagnes Noires. Au final, ils calculent un degré de concordance entre la dalle et le paysage réel compris entre 65 à 80 %.
Ce sont des chiffres très significatifs : les ethnologues ont démontré que les peuples aborigènes tels que les Papous et les Touaregs élaboraient des cartes mentales de leurs territoires, plutôt vastes. Elles sont concordantes avec le terrain, jusqu’à un certain point. Or la carte de Saint-Bélec est encore plus concordante que ces exemples mis en évidence par les ethnologues.
Cette découverte majeure s’ajoute aux connaissances croissantes que nous avons du Temps des Mégalithes, époque où la Bretagne était centrale. La carte de Saint-Bélec conforte selon Yvan Paillet « une approche géopolitique sociétale de ces populations de l’âge du Bronze ancien. À force d’affiner notre compréhension de cette culture de l’âge du Bronze ancien bretonne, armoricaine au sens plus large, il apparaît que ces premiers États, ou principautés » qui se partageaient la région » avaient des liens entre eux » et que ces liaisons traversaient la Manche. Chacune de ces sociétés voulaient marquer son territoire, par des tombes et des menhirs et en avaient une représentation réaliste.
L’article scientifique est paru le 6/4/2021, avec une référence bien venue à Houellebecq : » La carte et le territoire, la dalle gravée de saint-Bélec, Leuhan , Finistère. »
E.P.
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