Il n’est pas de vie qui ne soit inextricablement mêlée à notre histoire collective. Le livre De la belle aube au triste soir, retrace l’histoire d’une famille française en Algérie sur cinq générations, de la conquête du pays par la France en 1830 au retour en métropole après l’indépendance de 1962.
Au cœur de ce récit, Léa et Georges Mauriès, institutrice et agriculteur partisans du dialogue entre les communautés, verront leur vie basculer en 1957 lorsque Georges est victime d’un assassinat politique.
Commence alors pour Léa, femme à la personnalité si particulière, une autre histoire.
À travers cette enquête, Isabelle Cousteaux nous invite à plonger dans les souvenirs de ces destins fracassés par l’histoire : entretiens, extraits de correspondances, procès verbaux, poésies et photographies. Grande histoire et vies intimes se mêlent pour nous donner à découvrir le roman vrai d’un drame français.
Nous avons interrogé Isabelle Cousteaux pour parler de son ouvrage, superbement édité chez la Manufacture de Livres (à commander ici)
Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ? D’où vient cette envie d’écrire cette histoire familiale ?
Isabelle Cousteaux : Je suis journaliste depuis plus de trente ans et les quinze dernières années de ma vie professionnelle j’ai plutôt occupé des fonctions de direction. Ce n’est pas très original, mais je m’étais toujours dit que lorsque j’aurais un peu de temps devant moi, j’écrirais quelque chose en longueur. J’avais envie d’abord de retrouver l’écriture et ensuite de me confronter à ce format long qui n’est pas très habituel pour les journalistes. Il y a cinq ans, j’ai eu cette opportunité.
Léa, dont je raconte l’histoire, est la mère de l’une de mes proches amies. Et je l’ai connue. Mon amie avait avec sa mère une relation d’une très grande profondeur. Elle me parlait souvent de leur lien et de Léa comme si elle vivait toujours. Voilà le déclic. Les quatre frères de mon amie Madeleine ont aussi accepté, par affection pour leur sœur, je crois, de me parler de leur mère, de leurs souvenirs, de leur vie aux Aoufs, le nom de la propriété familiale en Algérie.
Je ne connaissais à peu près rien de la présence française en Algérie. Juste ce que chacun croit connaître. Je ne suis jamais allée en Algérie. Je n’y ai aucune attache familiale. Je me suis plongée avec très grande curiosité dans cette partie de notre histoire, orientant mes lectures en fonction des échanges que j’avais afin de contextualiser, questionner, vérifier, comprendre ce qui m’était dit.
Breizh-info.com : Pourquoi avoir choisi le titre d’un poème d’Apollinaire pour votre ouvrage ?
Isabelle Cousteaux : J’aime beaucoup lire de la poésie. C’est une respiration ou un abîme, surtout quand je suis dans une phase de réflexion intellectuelle. Je n’ai pas de rapport sentimental ou psychologique à la poésie. J’ai relu par hasard Apollinaire. Jusqu’à cette lecture le « nom de code » de mon récit c’était tout banalement « Léa et Georges ». Mais lorsque je me suis lu silencieusement ce vers, « De la belle aube au triste soir », qui clôt une strophe, j’ai su que j’avais trouvé mon titre. L’histoire de Léa et Georges c’était exactement ça.
Breizh-info.com : Peut-on dire que l’histoire des Garbès et des Mauriès, comme vous la racontez, est une histoire qu’ont vécu des milliers de familles françaises d’Algérie ?
Isabelle Cousteaux : Je ne sais pas. Je ne suis pas une historienne de cette période. Il y a sans doute autant d’histoires particulières qu’il y a de familles européennes dont la terre natale est l’Algérie.
L’histoire de Léa et Georges est une histoire particulière que l’histoire collective éclaire d’une façon qui m’a semblé singulière.
Breizh-info.com : Vous vous êtes énormément appuyé sur les travaux de Benjamin Stora pour écrire votre livre, pour mener votre enquête. Pour quelles raisons ?
Isabelle Cousteaux : J’ai beaucoup lu. Benjamin Stora évidemment, Gilbert Meynier aussi. Et puis les ouvrages d’une plus jeune génération d’historiens comme Sylvie Thénault ou Raphaëlle Branche. J’ai lu aussi d’autres livres, qu’on m’a souvent prêtés, que je n’ai pas mentionnés dans ma bibliographie. Des auteurs dont le métier n’est pas d’abord d’être des historiens, mais qui pour diverses raisons, ont voulu raconter leur vision de la présence européenne en Algérie.
Breizh-info.com : Votre livre évoque une Algérie que la jeunesse actuelle du 21ème siècle ne peut pas reconnaitre. Une Algérie dans laquelle beaucoup de familles françaises, dont celles que vous décrivez, ne se sentaient nullement colons, ni exploiteuses. Comment expliquez-vous ce changement radical, en quelques décennies cette transformation majeure d’un pays que beaucoup de pieds noirs ne reconnaitraient plus aujourd’hui ?
Isabelle Cousteaux : Honnêtement je ne peux pas répondre à votre question. Je n’ai pas de point de vue éclairé sur l’Algérie d’aujourd’hui. Léa voulait transmettre son histoire, celle de sa famille, à ses enfants et à ses petits-enfants. Elle voulait continuer à faire vivre ses parents, ses beaux-parents, son enfance. Elle voulait qu’ils puissent connaître leurs racines. Elle avait conscience, je crois, d’avoir été à la charnière d’un monde en grande mutation au tournant des années 1960. Elle témoigne de cela. Et ce témoignage personnel me semble porteur d’une vision plus large, intéressante à partager.
Breizh-info.com : Votre livre traite aussi de la profonde déchirure lors du retour en Métropole, et de la difficulté à trouver sa place dans une France qui cherche à effacer une partie de son passé. Il y a un côté extrêmement tragique dans votre ouvrage, non ?
Isabelle Cousteaux : Léa n’avait pas comme on l’a écrit parfois pour certains « un pied sur chacune des rives de la Méditerranée ». Léa est la onzième enfant d’une famille originaire d’Alméria, en Espagne, installée vers 1850 en Algérie, elle n’est jamais allée ni en Espagne, ni en France. Léa est française mais sa terre natale c’est l’Algérie. Avec son mari, Georges, dont la famille est installée en Algérie depuis 1842, ils avaient le projet de s’installer dès 1954 en France avec leurs enfants. Ce qu’a fait Léa, lorsque son mari est assassiné en 1957. Mais Léa et ses cinq enfants ne rentrent pas en France, ils y viennent pour la première fois. Le choc de cette installation est très profond pour toute la famille, pas seulement à cause de la mort de leur mari et père. C’est un monde entièrement nouveau, très différent du leur. Sans doute est-ce pour cette raison qu’après trois ans en France, la famille a saisi l’occasion de s’installer à Oran. Avant de quitter définitivement l’Algérie en 1964. Aucun d’entre eux n’y est jamais retourné.
Alors oui, c’est une histoire tragique.
Breizh-info.com : Finalement, que retenez vous, principalement, de vos années de travaux autour de cette tragédie familiale ?
Isabelle Cousteaux : J’ai beaucoup appris sur cette période de notre histoire et c’était passionnant. J’ai aussi mesuré la complexité de cette histoire. Je sais la radicalité de certains, dans un sens comme dans un autre, mais moi j’en retiens la nécessité de la nuance.
Propos recueillis par YV
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