André Bourachot et Henri Ortholan sont deux officiers de l’armée de terre, un général en 2ème section et un colonel, docteur en histoire en retraite. L’un d’entre eux a connu la guerre d’Algérie dans son tout début de carrière. Ils se sont associés pour écrire un ouvrage intitulé Les épurations de l’armée française 1940 – 1966 (l’Artilleur), car il n y avait jusqu’ici pas d’études antérieures sur un sujet si important.
De 1940 à 1966, l’armée française a connu trois épurations successives, la première sous le gouvernement de Vichy du maréchal Pétain, la deuxième de 1943 jusqu’aux années qui ont suivi la Libération, la dernière de la fin de la guerre d’Algérie jusqu’à la veille des événements de mai 68.
On connaît surtout de l’épuration celle qui a concerné le monde civil à la Libération ; en revanche, l’épuration militaire est beaucoup moins connue. Elle a pourtant présenté un caractère presque continu pendant plus d’un quart de siècle, durant lequel elle
s’est exercée le plus souvent à travers l’action du général de Gaulle. Ces épurations n’ont pratiquement touché que le monde des officiers, ceux-ci confrontés chaque fois à un choix qui ne pouvait, à un moment ou à un autre, que les faire entrer en conflit avec leur devoir d’obéissance.
C’est la première fois qu’un ouvrage aborde ainsi un sujet aussi sensible que méconnu. En l’étudiant sur une longue période, et en le replaçant dans une approche historique, il apparaît que prédomine une démarche d’ordre idéologique bien française qui explique
largement ces épurations successives.
Pour en discuter, nous avons interrogé les deux auteurs :
Breizh-info.com : Quelles ont été les trois épurations au sein de l’armée française entre 1940 et 1966 ?
André Bourachot – Henri Ortholan : La première épuration militaire a été celle de Vichy entre 1940 et 1942 qui a frappé les officiers, sous-officiers, hommes du rang juifs et francs-maçons. La seconde débute à Alger en 1943 après le débarquement allié et lors de la création du Comité de la Défense Nationale. Elle vise à punir les collaborateurs et plus largement ceux qui n’ont pas su ou voulu rallier le général de Gaulle. Elle se poursuit après la guerre jusqu’en 1947 et vise tous les officiers, et un peu les sous-officiers, qui n’ont pu se prévaloir de faits de résistance.
La dernière fait suite au conflit algérien et frappe tous ceux que l’on appelé les « soldats perdus ».
Ajoutons que pour les deux premières épurations, l’idéologie a incontestablement joué le rôle principal. Pour la dernière, il s’agit davantage de punir ceux qui n’ont pas accepté les conséquences de la politique suivie par le pouvoir.
Breizh-info.com : Votre livre aborde le devoir de réserve, mais aussi d’obéissance, propre notamment à l’engagement dans l’armée. Un soldat, est encore plus un officier, perd-il sa liberté de penser et d’agir en intégrant l’armée française ?
André Bourachot – Henri Ortholan : Heureusement que non ! La liberté de penser reste intacte, mais celle d’agir est limitée par le devoir de réserve qui ne nous paraît pas une institution désuète ; d’ailleurs toutes les armées du monde voient les droits d’expression de leurs militaires encadrés. Avant 1945, l’officier n’avait pas le droit de vote, depuis, il l’a et en fait largement usage. Mieux, quand ils sont en retraite, les officiers peuvent devenir, maires, députés, etc. et ils n’ont pas moins de liberté que leurs homologues civils.
Breizh-info.com : La période 1940-1966 n’est-elle pas finalement celle de l’opposition idéologique et humaine entre de nombreux officiers de l’armée française, et les politiques de l’époque ?
André Bourachot – Henri Ortholan : Non, il n’y a pas d’opposition idéologique de principe entre les militaires et les politiques. En revanche, Il y a un ordre militaire fait d’attitudes, de comportements et de contraintes qui ne sont pas toujours en phase avec l’ordre politique, tout au moins avec ce qu’est devenu l’ordre politique depuis la Révolution française. La fidélité au souverain n’existe pas en démocratie républicaine, mais l’officier ne peut s’en abstraire. Elle s’appelle aujourd’hui obéissance au chef qui décide et respect de la hiérarchie qui commande ; elle n’a pas changé de nature, simplement d’apparence. Ce sont aussi toujours les conditions de la réussite à la guerre.
L’opposition humaine de principe n’existe pas dans les armées, elle ne peut être le fait que d’individus dans des occasions particulières.
Breizh-info.com : Vous expliquez dans votre conclusion, plus actuelle, que les séquelles au sein de l’armée française, bien que peu à peu effacées, ne sont pas totalement oubliées. Pouvez-vous préciser ?
André Bourachot – Henri Ortholan : Il y a une mémoire militaire spécifique et le souvenir des faits passés reste présent chez l’officier mais la mémoire pour être efficiente a besoin d’être en situation, or cette mémoire est aujourd’hui dormante et nous ne pensons pas que la situation d’aujourd’hui soit de nature à la réveiller. Mais si vous lisez bien notre ouvrage, vous y verrez rappeler toutes les conséquences sur les militaires des différentes « intermittences », comme les appelait Talleyrand, qui ont gouverné la France et, peut-être, ne faut-il dormir que d’un œil ?
Propos recueillis par YV
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