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Le plus beau garçon de Brasparts. Michel Crenn évoque le matriarcat breton [Interview]

Michel Crenn est médecin généraliste à Brest, en retraite depuis le 1er janvier 2021. Avec, Le plus beau garçon de Brasparts, essai sur le matriarcat breton, il signe son premier ouvrage aux éditions Amalthée (à commander ici)

« L’homme a naturellement peur de la femme… Cette phrase entendue sans y prêter plus d’attention à l’autoradio de mon véhicule, m’avait un jour surpris, interpellé, et déclencha en moi une réflexion. […] Se pourrait-il que cette affirmation, à l’apparence ingénue, ne puisse trouver une justification au travers de ce qu’il est convenu d’appeler le matriarcat breton ? »

Qu’est-ce que le matriarcat breton ? Par commodité, on le rangera parmi les clichés folkloriques de la Bretagne, aux côtés de la coiffe et du biniou. Depuis quelques années même, on aura tendance à prétexter qu’il n’a jamais existé. Et pourtant ! Pour l’avoir connu dans sa propre famille, Michel Crenn partage ici son expérience personnelle avec justesse. D’une réflexion familiale, il nous amène à découvrir que derrière ce matriarcat, se cache une question bien plus fondamentale que folklorique : l’identité sexuelle ou la question du processus œdipien.

Construit en trois parties, le récit aborde alors les souvenirs d’enfance de l’auteur et mène une réflexion pertinente sur la notion de matriarcat breton avant de faire le point sur la situation aujourd’hui : que deviennent les rapports entre les hommes et les femmes dans la famille et dans la société ? Un témoignage brillant de sincérité qui remet le matriarcat breton à sa juste place.

Le livre est vraiment intéressant, il sort des sentiers battus, et tombe à point nommé à l’heure où un certain féminisme idéologique s’en prendre clairement aux hommes sous le prétexte de défense et de promotion des femmes. Il montre par ailleurs que le cas breton, le cas celte, ne peut absolument pas être comparé à d’autres sociétés européennes chez qui la femme n’a pas eu le même rôle au cours des siècles derniers. Nous vous le conseillons, car il s’agit à la fois d’un témoignage, mais aussi d’une analyse psychologique, et même médicale (c’est un médecin qui parle) de la société bretonne moderne.

Breizh-info.com : Est-ce l’air sociétal ambiant qui vous a poussé à écrire cet ouvrage sur le matriarcat breton, totalement à rebours de la pensée médiatique et politique dominante actuellement ?

Michel Crenn : Ce n’est pas le cas. C’est au contraire l’étude du phénomène matriarcal qui m’a conduit à prendre conscience que la défaillance de la fonction masculine qui l’a caractérisé, pouvait être constatée de nos jours dans une certaine mesure et qu’il était donc licite de faire ce parallèle, car le processus engagé semble être le même. Ce qui m’a par ailleurs incité à écrire ce livre, c’est le fait que dans un passé récent, on ait pu contester l’existence du matriarcat, alors même que toutes les personnes à qui j’en ai parlé (mes patients) m’ont affirmé l’avoir connu dans leur famille ou dans leur entourage, et alors même que moi et ma fratrie en avons beaucoup souffert. A ce sujet je ne citerai personne, car je n’aime pas stigmatiser les gens.

Breizh-info.com : Vous êtes parti de votre vécu familial pour bâtir votre livre. N’est-ce pas une forme de biais ?

Michel Crenn : Il m’a été déconseillé de m’y livrer, afin de ne pas m’exposer aux critiques, mais je reste persuadé que ma démarche est justifiée, compte tenu du caractère démonstratif de cette histoire, lié à la personnalité de mon père et de ma mère. En outre, l’existence même du matriarcat étant contestée par certains, seule la relation d’une histoire vraie, non romancée, pouvait être plausible. Donc, le biais que vous évoquez n’en est pas un, bien au contraire.

En observant de près la famille de mon père et la personnalité de celui-ci, je me suis rendu compte que ces éléments que j’avais à ma disposition étaient très démonstratifs, et même caricaturaux. Il devenait donc justifié de faire de mon père le « héros » du livre, sans oublier bien sûr les guillemets car c’est moi qui l’élève à ce rang.

 

Breizh-info.com : D’où vient la société matriarcale bretonne dans les âges ? Quelles ont été ses conséquences, notamment aux 19ème et 20ème siècle, sur la population bretonne ?

Michel Crenn : Pour ce qui est des origines du matriarcat breton, elles sont largement détaillées dans mon ouvrage, mais pour faire court, je dirai que c’est la conjonction de deux phénomènes: l’existence d’une égalité de droit entre les hommes et les femmes dans les sociétés d’origine celte, d’une part, et d’autre part la perte de la fonction symbolique du père dans la famille, liée elle-même au phénomène d’acculturation. Les conséquences sur la population bretonne sont à mon sens une vulnérabilité particulière qui se manifeste par l’alcoolisme, la toxicomanie, l’usage de psychotropes, et le suicide. Le père n’est plus le protecteur de sa famille…

Breizh-info.com : Vous expliquez que le matriarcat breton a conduit, ces derniers siècles, à un affaissement total de la place de l’homme breton. Pour quelles raisons ?

Michel Crenn : En ce qui concerne l’affaiblissement de la fonction du père dans les familles bretonnes, seule la psychologie permet de le comprendre: la fonction symbolique passant obligatoirement par le langage, la perte de la langue va entraîner de facto, la perte de cette fonction symbolique au sein de la famille et, de facto également, l’intervention compensatrice de la mère, du fait de la parité dans le couple, liée au caractère celte.

Breizh-info.com : Alcoolisme, Suicide…vous abordez, sous l’angle médical mais aussi psychologique, des maux qui rongent et ont rongé la Bretagne. Il est même question dans votre livre de sexualité sous influence du matriarcat breton. Pouvez vous préciser ?

Michel Crenn : En ce qui concerne la question de la sexualité, sujet sensible bien sûr, elle m’amène à prendre encore un risque, lorsque je tente d’impliquer le père dans le déroulement de l’identification sexuelle. Le processus oedipien est-il, effectivement, celui qui autorise l’identité sexuelle ? Celle-ci ne relève-t-elle pas au contraire du libre arbitre de chacun ? Je n’ai pas prétendu résoudre la question, mais seulement y contribuer car, après tout, un livre est fait pour cela.

Breizh-info.com : « L’homme n’est plus le protecteur de la famille et doit reprendre ses devoirs ». Quels sont-ils ? 

Michel Crenn : Quels sont les devoirs de l’homme, me demandez-vous. J’ai voulu montrer dans cet ouvrage que, à l’heure de l’égalité entre les sexes, leur psychologie est différente et donc leur place dans la famille et dans la société est différente, et complémentaire.

Pour conclure je dirai que l’étude du matriarcat breton, pour autant qu’il est suranné, nous aide à mieux comprendre la psychologie de l’homme et de la femme, à notre époque où l’un et l’autre ont du mal à trouver leurs marques.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : wikipedia (cc)
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