Après le vote par les régions de subventions à SNCF Voyageurs, celle-ci a commandé à Alstom les 12 premières rames Régiolis H2 bimodes munies d’une pile à combustible fonctionnant à l’hydrogène pour les premiers trains TER à hydrogène.
Trois rames ont été commandées par la région Auvergne – Rhône-Alpes pour les axes Moulins – Clermont et Lyon – Clermont. Leur utilisation sur une ligne avec des vitesses plutôt élevées (140 km/h maximum) qui comporte de très fortes pentes, notamment sur la section l’Arbresle – Tarare (12 à 17/1000) et la rampe des Sauvages (26/1000), pose néanmoins toujours question.
Trois autres rames ont été commandées par la région Bourgogne – Franche Comté pour la liaison Dijon – e puis Avallon/Corbigny. Petite économie – la station de production d’hydrogène sera mutualisée avec le réseau de transport urbain de la ville d’Auxerre, qui prévoit d’acquérir cinq bus à hydrogène.
Trois rames ont été commandées par l’Occitanie sur la liaison Montréjeau – Luchon ; elles iraient de pair avec la réouverture de la ligne et la reprise de sa gestion par la région. Fermée en 2014, cette ligne longue de 36 km sera entièrement nettoyée au deuxième semestre 2021 pour être rouverte à l’automne 2023 avec des premières circulations commerciales en décembre 2023.
Enfin la région Grand Est a commandé trois rames pour la liaison Mulhouse – Kruth ; cette ligne de 40 km, électrifiée sur la moitié du parcours, est beaucoup plus connue dans sa partie orientale, entre Mulhouse et Thann Saint-Jacques, par le tram-train qui y circule depuis 2010, le premier du genre en France.
Néanmoins il y a des bémols : « Alstom annonce une autonomie maximale de 600 km, ce qui est tout de même […] 25 à 30% de moins qu’une motorisation thermique sur les mêmes rames Régiolis », relève le blog spécialisé Transportrail, qui tique aussi sur le coût : 190 millions d’euros pour 12 rames, soir 15.83 millions d’euros la rame, « près de deux fois le coût d’une rame bimode classique [7 à 8 millions d’euros]. L’Etat concourt à cette expérimentation à hauteur de 47 millions d’euros versés via l’Ademe aux régions ».
Pour Laurent Wauquiez, mieux vaut acheter trois rames hydrogène que relier Clermont à Saint-Etienne
Effectivement, avant subventions d’État, la région Auvergne-Rhône-Alpes avait avalisé l’acquisition de… trois rames Régiolis H2 pour « un coût de 52 millions d’euros, soit 17.3 millions d’euros l’élément de 220 places, ou encore 78.787 € la place assise », relevait encore Transportrail le 24 février dernier, enfonçant le clou : « c’est tout simplement trois fois le prix d’une rame bimode classique ». La nouvelle génération de TGV coûte, elle, 40.000 € la place assise.
Pour comparer, la remise en service de la section Boën sur Lignon – Montbrison, 17 km, fermée depuis 2018, et donc de toute la ligne Clermont-Ferrand – Saint-Etienne – coûte 53 millions d’euros. Le combat pour la réouverture fait l’objet de nombreuses manifestations et devient un sujet politique de premier plan pour les régionales de juin prochain.
En Bourgogne : trois rames à hydrogène mal calibrées plutôt que 21 km d’électrification
La région Bourgogne – Franche-Comté a voulu « en être » et s’offrir une vitrine progressiste à la veille des régionales. Comment expliquer autrement le choix d’acheter trois rames à hydrogène pour 52 millions d’euros avant aides d’État alors qu’elles sont inadaptées à la desserte : Dijon – Laroche est déjà électrifié, Laroche-Migennes – Auxerre nécessite des TER plus capacitaires que les AGC bimodes actuellement utilisés mais cette section n’est longue que de 21 km et au sud d’Auxerre, vers Avallon (54 km) et Corbigny (85 km), la fréquentation est bien insuffisante pour un train de 218 places assises.
Cependant, relève le blog spécialisé Transportrail (6.03.2021), « l’acquisition de ces trois rames et d’un coût assez voisin de celui qui était présenté pour électrifier par caténaire les 21 km de Laroche-Migennes à Auxerre », Laroche-Migennes étant le point de bifurcation de la ligne vers Auxerre et de l’axe Paris – Dijon […] opération qui aurait permis l’utilisation de rames plus capacitaires sur les trains Paris-Auxerre », et surtout le maintien d’une liaison directe Paris-Auxerre sans « correspondances généralisées à Laroche-Migennes ».
Au moins les Auxerrois qui auront perdu leur train direct – et un bon quart d’heure de correspondance, quand tout va bien – et il peut faire froid sur les quais bourguignons – auront-ils la satisfaction de rouler dans un train à la pointe du progrès sur les 21 petits kilomètres toujours pas électrifiés vers Laroche-Migennes. Cependant l’électrification de ce tronçon a toujours inquiété les élus du Morvan qui craignaient alors la fermeture des lignes vers Avallon et Clamecy, peu desservies… mais vitales et maintenues contre vents et marées.
Des trains à hydrogène Alstom en Allemagne aussi… mais pas les mêmes
Il faut en outre préciser que la livraison n’aura pas lieu avant fin 2023 pour une exploitation courant 2025 – d’ici là, la technologie aura évolué et les performances seront probablement revues à la hausse, tandis que le coût unitaire devrait baisser avec la production en série. En Allemagne, le constructeur français Alstom a déjà reçu des commandes pour 41 trains régionaux à hydrogène Coradia Ilint dans deux Land, en Basse-Saxe et Hesse, pour une mise en service commercial courant 2022.
Comme en France, il s’agit de la même gamme de trains régionaux polyvalents Coradia, dont le modèle de base s’appelle Regiolis en France et Lint en Allemagne – ce modèle développé dans les années 1990 est actuellement composé de deux caisses et monomode diesel. Il y a des versions 100% électrique, bi-mode electrique-diesel, 100% diesel et donc électrique-hydrogène.
Cependant, d’après Industries et Technologies qui avait décortiqué les différences entre les modèles qui circuleront en France et en Allemagne, les modèles allemands ne seront propulsés que par des piles à hydrogène, tandis que les français seront bi-modes – en plus des piles à hydrogène et de leurs batteries, ils seront munis d’un pantographe pour profiter des caténaires des lignes électrifiées.
Un choix étonnant qui tient à l’électricité utilisée : le mix énergétique français est très décarboné (grâce au nucléaire et en partie l’hydroélectricité), tandis qu’en Allemagne, pays phare de l’éolien, ce sont les énergies fossiles qui sont les principaux producteurs de l’électricité (18.6% pour le lignite, 9.3% pour le charbon, 14.9% pour le gaz naturel en 2019).
Par ailleurs des trains bi-modes électriques-diesel circulent déjà sur de nombreuses lignes en France et les mécanos [conducteurs de trains] en ont l’habitude. De même, en Allemagne, les actuels trains Lint sont monomodes diesel – rien d’étonnant à les remplacer par des trains monomodes hydrogène.
« Parce qu’ils sont bi-modes et utiliseront les lignes électrifiées chaque fois que ce sera possible, les trains français emporteront moins d’hydrogène que leurs homologues allemands : 160 à 180 kilos en France contre 260 kilos en Allemagne », relève encore Industries et Technologies. Les trains français seront aussi plus longs – 72 contre 54 mètres pour les trains allemands, plus rapides (20 km/h de plus), stockeront plus d’énergies dans leurs batteries lithium-ion qui apportent de la puissance à l’accélération et en récupèrent au freinage (143 Kwh contre 111) et auront des piles à hydrogène plus puissantes (300 Kwh contre 200). L’hydrogène sera stocké à 350 bars sur les toits des trains.
Une bonne opération pour les usines françaises
Bonne nouvelle pour la réindustrialisation, ces trains seront réalisés en France. L’usine Alstom de Tarbes (65) s’occupera de la gestion des paramètres liés à la puissance, l’énergie et la tension, tandis que la construction à proprement dit se fera à Reichshoffen en Alsace – cette usine est en train d’être cédée à Skoda Transportation – une entreprise tchèque qui n’a plus rien à voir avec la marque automobile – mais conservera ses marchés ; elle compte 780 salariés et 200 intérimaires début 2021.
Les moteurs seront construits à Ornans, dans le Doubs – c’est aussi là que sont conçus les moteurs des trains Coradia Ilint qui circuleront en Allemagne, les trains allemands eux-mêmes étant construits sur le site allemand d’Alstom à Salzgitter.
Par ailleurs les conseils régionaux ont demandé à Alstom d’intégrer une logique de mise à jour, pour permettre l’évolution des 200 rames bi-modes vendues depuis 2014 en bi-modes électrique-hydrogène, ce qui ouvre un chantier industriel et technologique de grande ampleur.
Des essais en France sur d’autres lignes ?
En région Centre Val de Loire, l’élu Philippe Fournié a annoncé dans La Nouvelle République (24.2.2021) des essais, sans passagers, entre septembre et octobre 2021 de deux rames Coradia Ilint – le modèle allemand donc, monomode hydrogène – sur la ligne Tours – Loches.
Cette expérimentation a été adoptée par le Conseil régional le 18 février précédent et sera cofinancée par la région pour 500.000 € et Alstom ; elle est très ambitieuse puisque la région affiche l’objectif de produire l’hydrogène avec des panneaux solaires, alors que le nucléaire local ne manque pas. Si l’expérience s’avérait concluante, la région Centre envisage de convertir les deux antennes Tours – Chinon et Tours – Loches à la traction monomode hydrogène à l’horizon 2025.
Plus à l’ouest sur la liaison transversale Caen – Le Mans – Tours, la région Pays de Loire a proposé que le matériel appelé à remplacer les dix rames diesel (X) 72500, qui arrivent en fin de vie, soient des trains à hydrogène. Si c’est la Normandie qui gère la liaison Intercités, les Pays de Loire ont dix X72500 et la région Centre seize unités. Cependant le coût unitaire des rames, même avec une aide d’Etat, reste rédhibitoire.
Louis-Benoît Greffe
Crédit photo : ubahnverleih/Wikimedia (cc)
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3 réponses à “Trains TER à hydrogène : une vitrine industrielle, écologique et politique chèrement payée ?”
Ce n’est pas l’électricité mais l’H2 qui est la véritable énergie de l’avenir, notamment par le biais des piles à combustible qui fournissent déjà l’électricité quotidienne et depuis plus de 20 ans à des milliers de campings cars.
Parler d’autonomie pour ce type de motorisation n’a pas du tout le même sens que pour les véhicules électriques (voitures sur batteries) puisqu’à l’instar des moteurs thermiques, il suffit de s’arrêter 10 mn à la pompe.
La production d’H2 peut être assurée par des moyens écologiques comme les éoliennes en mer (pas de nécessité de raccordement au continent, on stocke l’H2 au contraire de l’électricité), utilisation des surplus de production du réseau EDF, notamment la nuit etc. Le carburant de l’avenir, quasiment inépuisable, c’est l’hyhdrogène.
enfin !
charbon, pétrole, électricité maintenant une énergie non polluante et disponible
@ patphil
Faux! l’hydrogène n’est pas une source d’énergie primaire à l’instar du Charbon ou du Pétrole . Il s’agit d’un vecteur d’énergie car l’hydrogène n’est pas disponible sur terre à l’état pur et nécessite pour sa production plus d’énergie qu’il n’est capable d’en restituer. Ce qui rend finalement l’hydrogène moins attractif qu’il n’y parait et le sort de l’hydrogène est lié à celui de l’énergie primaire qu’il faut être capable de produire en grande quantité ( comme par exemple le nucléaire pour produire l’électricité nécessaire à la production d’hydrogène)