Le hasard fait bien les choses. La toute récente biographie de Jenny Marx (par Jérôme Fehrenbach, une étude remarquable, aussi érudite qu’agréable à lire) m’a conduit jusqu’à un personnage dont j’ignorais tout, Gustave Flourens. Un ami très proche de Jenny et Karl Marx qui eurent la douleur de le perdre en 1871. Officier communard, Flourens avait conduit une sortie contre les Versaillais qui avait tourné court. Un officier de gendarmerie l’avait abattu sans forme de procès, le 3 avril 1871.
Jenny Marx s’en remis au journal socialiste Volksstaat pour clamer sa douleur :
« … nous avons été profondément bouleversés par la mort de Gustave Flourens. Nous avions noué avec lui des relations d’amitié (…) il était à fond, et pleinement une âme noble. Ferme jusqu’à l’abnégation, chevaleresque, humain (…) il avait un esprit riche, il était même lettré… son âme le tournait vers les pauvres, les opprimés (…) son grand cœur intégrait toute nation, toute race… »
Il semble que Madame Marx n’ait connu qu’un volet de la personnalité et des idées de Flourens. Car son amour des races, il le donnait exclusivement à la race « aryenne ». Ou alors, Madame Marx passait outre. Fehrenbach montre que l’antisémitisme était courant dans les milieux révolutionnaires, autour de Marx. Jenny n’hésitait pas à qualifier le grand rival de son mari, Ferdinand Lassalle de… « Nègre juif ».
J’ai voulu en savoir plus sur ce Flourens. Il était le fils d’un médecin et physiologiste de renom, professeur au Museum et au Collège de France, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences. Gustave fit les meilleures études et, à 25 ans, en 1868, on lui confia un enseignement au Collège de France, l’histoire des races humaines. Dès sa leçon inaugurale, Flourens se distingua par ses convictions matérialistes. Il ne cacha pas non plus son hostilité au pouvoir impérial. Au bout d’un an, le ministre Victor Duruy le révoqua.
Flourens décida alors de porter secours aux Crétois, en lutte contre les Ottomans. Mais Athènes préféra l’expulser. Rentré à Paris, il collabora à tout ce qui comptait de presse d’extrême gauche. Avec véhémence, jusqu’au duel avec un adversaire politique, Cassagnac, qui le blessa. Poursuivi par la justice, Flourens se réfugia à Londres où les Marx l’accueillirent.
Survint la guerre contre la Prusse. Il revint en France et fit grand bruit à Paris. Dès les débuts du siège, il prit la tête des cinq bataillons de Belleville avec le titre ronflant de « major des remparts ». La Commune insurrectionnelle en place, Flourens se fit élire et reçut tout de suite le grade de général. Bravache mais incompétent, il mena ses hommes au désastre.
Pourtant, la Commune voulut glorifier son nom. Elle constitua en « Vengeurs de Flourens » un bataillon de gamins (15-17 ans) qui subit la répression versaillaise.
Sanctifié par le couple Marx, Flourens a profité jusqu’à maintenant d’une réputation flatteuse. Le « Maitron », bible du mouvement ouvrier, lui consacre une notice élogieuse. Plusieurs villes ont donné son nom à des rues, Suresnes, Le Mans, Saint-Brieuc, La Rochelle, Marly, Thézan-les-Beziers… A Vierzon, une cité HLM porte son nom.
Le 150ème anniversaire de la Commune a avivé la flamme. Le blog Médiapart l’exalte en passant pudiquement sur les idées de Flourens. Les 27 et 28 avril, l’association « Faisons vivre la Commune » propose une « ballade Gustave Flourens » à Belleville…
Dommage que ce bel hommage aille à un théoricien exalté du « racisme scientifique ».
Florilège :
-Ils s’appelaient les Aryas, les hommes purs et ils méritaient ce nom. C’est d’eux que nous viennent nos idées les plus élevées, nos sentiments les plus nobles (…) ces Grecs, spirituels et intelligents, braves soldats, poètes, orateurs, artistes passionnés ; ces Germains, ces Gaulois (…) étaient les fils des Aryas (…) Et nous aussi, Français, nous sommes Aryas…
– Les Gaulois présentaient le type arya dans toute sa pureté : teint, cheveux blonds, yeux bleus…
– Parmi les Aryas de l’Europe orientale, parmi les Slaves, les Polonais, ils sont restés purs de tout mélange avec les Jaunes, les Mongols. La Russie (…) s’est fortement mongolisée, de là son infériorité en civilisation.
– Jamais les Sémites n’ont connu d’autres mobiles que l’intérêt et le fanatisme.
– Autant le mélange entre peuples de même race est bienfaisant, autant il est funeste entre peuples de races différentes.
N’en jetez plus. En ces temps qui pourchassent le suprémacisme blanc, pourquoi ne pas exiger la disparition dans l’espace public – comme pour Alexis Carrel, eugéniste radical (prix Nobel de médecine en 1912) – du nom de Gustave Flourens ? En la matière, il ne peut y avoir deux poids, deux mesures.
Jean HEURTIN
* Jérôme Fehrenbach, Jenny Marx, Passés/composés, 2021.
* Gustave Flourens, Histoire de l’homme, chez Garnier frères, Paris, 1863.
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Une réponse à “Quand Karl Marx pleurait la mort d’un chantre de la « race aryenne »…”
Dans le Manifeste, Marx et Engels parlent de nations et de pays « barbares ». Aujourd’hui on crie au racisme et au fascisme pour moins que ça.