Trop souvent, les citoyens méconnaissent leurs droits et peuvent parfois se laisser intimider par des autorités et même des agents qui eux aussi, parfois, maîtrisent mal la loi. A cet effet, la ligue des droits de l’homme a publié une fiche intitulée « nos droits, manifester sous couvre feu » qui pourra vous servir. La voici décryptée ci-dessous.
Etat d’urgence & manifestation : cadre légal
Décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire: « afin de ralentir la propagation du virus, les mesures d’hygiène (…) et de distanciation sociale, incluant la distanciation physique d’au moins un mètre entre deux personnes, dites barrières, définies au niveau national, doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance. » L’article 3 prévoit néanmoins la possibilité de participer à une manifestation.
« Tout rassemblement, réunion ou activité sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public, qui n’est pas interdit par le présent décret, est organisé dans des conditions de nature à permettre le respect des dispositions de l’article 1er. »
« Les organisateurs des manifestations sur la voie publique mentionnées à l’article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure adressent au préfet de département sur le territoire duquel la manifestation doit avoir lieu, (…) une déclaration contenant les mentions prévues à l’article L. 211-2 du même code, en y précisant, en outre, les mesures qu’ils mettent en œuvre afin de garantir le respect des dispositions de l’article 1er du présent décret. » Le préfet peut en prononcer l’interdiction si ces mesures ne sont pas de nature à permettre le respect des dispositions de l’article 1er.
L’article 4 du décret (depuis le décret n°2020-1582 du 14/12/2020) énumère les cas autorisés de déplacement après 20h (jusqu’à 6h). Il ne prévoit cependant pas le cas d’une participation à une manifestation se terminant à 20h, de sorte que le retour à son domicile a nécessairement lieu après. L’absence d’interdiction d’une manifestation déclarée comme devant se dérouler jusqu’à 20h, s’interprète comme une autorisation du préfet compétent de déroger à l’interdiction de se déplacer au-delà de 20h, pour rentrer de la manifestation à son domicile.
L’article 3 ne prévoit un rassemblement autorisé que pour une manifestation déclarée. Autrement dit, si la manifestation n’a pas été déclarée, vous ne pouvez pas y rester ou en revenir après 20h sans commettre l’infraction de déplacement non autorisé.
Participer à une manifestation interdite: vous risquez 2 contraventions, celle pour participation à une manifestation interdite (art. R.644-4CP, 4e classe, 135€ en amende forfaitaire, ou sinon 750€) et éventuellement celle applicable pendant l’état d’urgence sanitaire si vous êtes hors de votre domicile après 20h (L.3136-1 CSP). Total = 270€ en amende forfaitaire
Comment préparer votre sortie ?
Le modèle d’attestation dérogatoire sur le site du ministère de l’Intérieur ne prévoit pas un déplacement dérogatoire au-delà de 20h pour rentrer d’une manifestation déclarée, il vous faudra donc :
- vous munir d’une copie de l’article 3 du décret pour prouver votre droit en cas de contrôle ;
- vous munir de l’attestation dérogatoire faite par la LDH pour manifester ;
- OU ajouter à la main sur l’attestation officielle : « Déplacement dérogatoire sur le fondement de l’article 3 du décret du 29 octobre 2020, dans le cadre de la manifestation du [date et heure] à [tel lieu] » (cf décision du juge des référés du Conseil d’Etat, ord. 21 novembre 2020 n°446629)
Si lors du contrôle, le policier conteste la validité de votre attestation, vous pouvez lui répondre que le Conseil d’Etat (CE 20 octobre 2020, n°440263) a jugé que l’attestation sur le site du ministère de l’Intérieur était facultative et que le préfet n’a pas interdit la manifestation déclarée jusqu’à 20h – ce qui vaut autorisation implicite de déplacement dérogatoire audelà de 20h pour rentrer à son domicile. Si possible munissez-vous également d’une copie de la déclaration de manifestation ou d’une annonce publique de la manifestation (communiqué appelant à la manifestation, dans le respect des gestes barrières).
Précautions à prendre en vue de contester une verbalisation
Policiers, gendarmes, agents de sécurité de la ville de Paris (policiers municipaux ou garde-champêtres ailleurs) ont le droit de contrôler votre attestation. Si vous avez le sentiment que vous pourriez faire l’objet d’une verbalisation abusive, vous pouvez prendre quelques précautions, pour renforcer ensuite sa contestation:
- photographier votre attestation papier (ou mieux la scanner) et l’envoyer par mail à un tiers juste avant de sortir (horodatage);
- attestation numérique : faire une capture d’écran au moment du contrôle ;
- démarrer discrètement l’enregistrement sonore via votre smartphone à l’approche des forces de l’ordre ;
- filmer votre contrôle, c’est toujours un droit (attention, ce peut être source de conflit avec les forces de l’ordre) ;
- téléphoner à un tiers et laisser l’appel se dérouler (ce tiers doit être disposé à venir à l’audience témoigner).
Après le contrôle, envoyez le fichier par mail à un tiers (car il peut arriver que le motif indiqué par oral ne soit pas précisé sur le procès-verbal, qui peut être plus elliptique). Attention: ne gardez cet enregistrement que le temps nécessaire à servir de preuve pour vous défendre, en notant que vous pouvez recevoir la verbalisation à votre domicile, après le contrôle et sans en avoir été averti par l’agent. Ensuite, nous vous conseillons de le détruire, car vous pourriez éventuellement être poursuivi pour atteinte à la vie privée.
« Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (…) Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.» Convention européenne des droits de l’Homme, articles 10 et 11
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