En Irlande du Nord, Allison Morris, journaliste au Belfast Telegraph, a discuté avec des personnes vivant de part et d’autre du mur de la paix à la suite des violences de ces derniers jours. Beaucoup affirment vivre dans la peur, comme en témoignent les propos rapportés ci-dessous.
Après un week-end tendu, hier après-midi, alors que les barrières de sécurité étaient ouvertes et que la circulation était fluide, les marques de brûlure sur la route étaient le seul rappel physique des violences de la semaine dernière à l’interface de Lanark Way, à Belfast Ouest. L’énorme mur de paix qui sépare la Springfield Road (quartier catholique) de Shankill (bastion unioniste) est le plus long et le plus haut d’Irlande du Nord.
Beaucoup auraient espéré que 23 ans après l’accord du Vendredi Saint, une telle ségrégation ne serait plus nécessaire, mais pour ceux qui vivent des deux côtés de la ligne de démarcation, les troubles de la semaine dernière ont apporté le soulagement que les murs et les portes soient toujours en place.
Sarah Taggart vit face à la barrière de sécurité de Lanark Way depuis que sa maison a été construite il y a environ 15 ans. Cette mère de trois enfants est originaire du quartier voisin de Kashmir Road, tandis que deux de ses enfants ont maintenant leur propre famille. Son fils de 36 ans, qui a des difficultés d’apprentissage, partage toujours la maison.
Lors de la pire nuit de violence mercredi dernier, avec des rumeurs sur les réseaux sociaux avertissant de plans d’attaque de maisons du côté nationaliste de l’interface, Sarah est allée rester avec sa fille. « Ma fille suppliait son père et son frère de venir chez elle, mais il voulait rester pour s’occuper de la maison. C’était tendu – la police se tenait juste en face de mes fenêtres, le canon à eau était juste à l’extérieur et ça a duré jusqu’à 2 heures du matin. Le jeudi soir, des voitures sont venues de partout pour essayer d’éloigner les jeunes et ça s’est calmé. Même si j’avais peur qu’il se passe quelque chose, j’étais content de voir les portes se fermer, pour être honnête. Nous avons été élevés dans le contexte des Troubles, mais c’était quand même difficile à vivre. Si les troubles reprennent, je devrai déménager ailleurs, je ne pourrai jamais vivre ici et revivre ça »
Plus loin sur Springfield Road, le couple Roisin et Terry Cunningham s’occupe des bacs à fleurs de son jardin. Terry, un ancien ingénieur de BT, a officiellement pris sa retraite la veille. Vivant ici depuis 39 ans, ils ont connu le pire des Troubles et le meilleur de la paix.
Au sujet des récentes violences, Terry a déclaré : « C’était principalement des enfants qui jetaient des pierres. Beaucoup de gens de la communauté sont arrivés pour aider, ils se sont mis en danger, c’est normal. Depuis, ils sont là tous les soirs, même s’il ne se passe rien (…) Il y avait un jeune garçon qui est passé avec le sang qui coulait de sa tête et il a refusé d’aller à l’hôpital. Les pires années, c’était avant les murs de la paix : les fusillades étaient régulières à cette époque. Une nuit, j’ai regardé par la fenêtre et deux hommes cagoulés ont traversé la rue en courant et ont abattu un type en haut de la route. Nous avions de grandes barres derrière la porte d’entrée à l’époque. Je les ai utilisées la semaine dernière pour la première fois depuis des années.»
De l’autre côté de l’interface, dans le quartier loyaliste de Shankill, des enfants en uniforme scolaire jouent dans les rues et la vie semble être revenue à la normale. À Cupar Way se trouve une rangée de maisons familiales avec des jardins remplis de jouets et une vue sur le mur de la paix de sept mètres de haut. Les résidents sont amicaux et bavards, mais aucun ne souhaite être nommés ou cités. « C’est calme maintenant, espérons que ça reste comme ça » dit un résident tandis qu’un autre ne souhaite pas parler, de peur d’avoir des problèmes.
De l’autre côté de la rue, les habitants, les habitants sont nerveux à l’idée d’apparaître dans les journaux pour parler des violences de la semaine dernière. Ici, les traces de la guerre civile sont toujours bien présentes. L’un déclare à la journaliste qu’un proche parent a été abattu par des républicains sur la ligne de démarcation pendant les troubles. Beaucoup ont de jeunes familles. Un père de famille dit qu’il attend que l’exécutif ouvre des aires de stationnement pour caravanes afin de pouvoir emmener ses enfants à l’abri du danger pour l’été. Tous sont d’accord pour dire qu’ils ne voient pas le moment où les murs et les barrières de sécurité pourront être retirés en toute sécurité.
« Je m’inquiète de ce qui va se passer, c’est un moment très angoissant.» indique une autre femme, retraitée, habitant là aussi depuis des décennies.
La modification du protocole en Irlande du nord, dernier espoir pour préserver la paix ?
Malgré les espoirs, des obstacles majeurs subsistent dans les négociations entre le Royaume-Uni et l’UE au sujet du protocole en Irlande du Nord, qui a mis le feu aux poudres ces derniers jours.
Les discussions se sont poursuivies entre les deux parties, le vice-président de la Commission européenne, Maros Sefcovic, et le ministre du Brexit, Lord Frost. Dimanche soir, des rapports émanant des deux camps, européen et britannique, ont fait naître l’espoir d’un accord entre le Royaume-Uni et l’UE qui pourrait contribuer à apaiser les tensions.
Hier, des diplomates ont déclaré à RTÉ News que les discussions techniques avaient évolué dans une direction positive, bien que lentement. Lord Frost et M. Sefcovic pourraient se rencontrer dans le courant de la semaine ou la semaine prochaine, ce qui pourrait donner un élan au processus.
Mais Downing Street a déclaré qu’il y avait encore des obstacles majeurs à franchir pour résoudre les problèmes liés à la mise en œuvre du protocole sur l’Irlande du Nord.
La colère contre les accords commerciaux post-Brexit, qui ont effectivement créé des barrières économiques avec le reste du Royaume-Uni, a été citée comme l’un des facteurs à l’origine des violences qui ont éclaté dans les zones loyalistes d’Irlande du Nord ces derniers jours. Le porte-parole officiel du Premier ministre Boris Johnson a déclaré que des discussions « constructives » avaient eu lieu avec l’UE au sujet de ces accords.
Le gouvernement a déclaré qu’il s’engageait à résoudre les problèmes afin de « rétablir la confiance sur le terrain » en Irlande du Nord, en respectant les opinions des communautés et l’accord du Vendredi Saint.
Le protocole d’Irlande du Nord, conçu pour empêcher la création d’une frontière dure sur l’île d’Irlande, a entraîné des contrôles supplémentaires sur les marchandises en provenance de Grande-Bretagne afin de s’assurer qu’elles sont conformes aux règles européennes. RTE a indiqué qu’il semble que la Commission européenne ait évoqué de manière informelle la possibilité d’un accord « troisième voie » entre l’UE et le Royaume-Uni, ce qui pourrait signifier la fin de la grande majorité des contrôles effectués à Larne et dans d’autres ports d’Irlande du Nord.
Toutefois, le radiodiffuseur a également déclaré que les deux parties restent éloignées quant au type d’alignement sur les règles de sécurité alimentaire de l’UE que le Royaume-Uni devrait accepter.
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