À en croire le New York Times (15 mars 2021) Napoléon serait l’incarnation du « suprémacisme blanc », ce qu’on fait de pire en la matière. Ce quotidien est aux « States » ce que Le Monde » est en France, l’organe de référence. C’est dire. Procédant de la « cancel culture », en bon français culture de l’annulation, cette dénonciation condamne l’empereur des Français à un tout petit bicentenaire de sa mort, le 5 mai 1821.
Pour aller à rebours de cet air du temps, poisseux, méphitique que faut-il lire ?
En premier éviter, sauf pour s’en gausser, toute littérature procédant de l’idéologie susdite. Ne pas perdre son temps à débattre avec des cancres, des ignares qui échoueraient au premier quiz venu sur le personnage.
Pour renouer avec Napoléon Bonaparte, je propose ici quelques historiens notables qui l’ont bien décortiqué. Puis, des littéraires qui nous ont laissé des aperçus, des réflexions qui valent le coup :
1 – Les historiens
On peut se passer de ceux qui à force d’exalter leur héros l’ont déformé. Des historiens « napoléonâtres » tels Louis Madelin ou André Castelot. A l’opposé, il est bon de connaître des auteurs étrangers qui, sans tendresse, l’ont étudié avec pertinence.
– Albert Manfred (1906-1976), historien russe de l’époque stalinienne, orthodoxe, mais dont le « Napoléon » vaut le détour. (trad. française en 1980 aux Editions du Progrès, Moscou).
– Eugène Tarlé (1874-1955) lui aussi soviétique mais plus novateur. Son Napoléon date de 1936, trad. française en 1980, chez le même éditeur.
Dans les deux cas, comment et pourquoi un acteur de l’histoire de tout premier plan échappe à la grille de lecture propre au matérialisme historique.
– Luigi Migliorini, Napoleone, 2001, trad. française en 2004.
– Steven Englund, Napoléon, A political life, New York 2004, trad. française, 2004.
Deux auteurs de premier plan, avec pour chacun un angle d’attaque original.
Pour les Français qui sont pléthore, il faut se limiter :
– Georges Lefebvre, Napoléon, 1936, réédité en 2012 chez Nouveau Monde. Historien marqué à gauche, très proche de Jean Jaurès.
– Jean Tulard, Napoléon ou le mythe du sauveur, Fayard, 1987.
– Idem, L’Anti-Napoléon. La légende noire… Julliard, 1965.
Tulard est l’initiateur du renouveau des études napoléoniennes. Le lire est capital.
– Thierry Lentz, Napoléon. Dictionnaire historique, Perrin, 2020.
Dans le sillage de Tulard, une œuvre énorme, un modèle d’érudition et de réflexion.
– Patrice Guéniffey, Bonaparte, Gallimard, 2013. Premier tome d’une biographie hors pair. On attend la suite avec impatience.
On terminera avec la nouvelle édition, vérifiée, complétée du Mémorial de Sainte Hélène de Las Cases, paru en 1823 (Perrin, 2020). Le témoignage le plus important puisque Napoléon, proscrit, se libère, met en avant ses certitudes, ses erreurs, ses contradictions.
2 – Les littéraires
Napoléon a inspiré des milliers d’auteurs, romanciers, poètes, essayistes, dramaturges, cinéastes. En 2022 sortira la version numérisée du Napoléon d’Abel Gance (1927) sept heures… Aussi important que, sur un autre plan, Naissance d’une nation de D.W. Griffith ( 1915).
J’ai retenu ici les auteurs qui m’ont inspiré dans mon travail d’historien.
– Stendhal, Vie de Napoléon. Ecrit en 1818, 86 courts chapitres, tout simplement génial. Réed. Payot, 2006.
– Walter Scott, The life of Napoléon Buonaparte, 1827. Traductions françaises vieillottes, hélas…
– Alexandre Dumas, Napoléon, 1840. Réed. L’Harmattan 2005. Son père, le sabreur, maltraité par Napoléon, mais le fils l’admire.
– Elie Faure, Napoléon, 1921. Par l’immense historien de l’art, non réédité…
– André Suarès, Vues sur Napoléon, Grasset, 1938. Décapant.
– Antony Burgess, Napoléon Simphony, 1974. Trad. Française, 1977. L’auteur d’Orange mécanique s’en donne à cœur joie !
– Jean-Paul Kauffmann, La Chambre noire de Longwood, la Table ronde, 1997. Une approche hors du temps historique, mémorielle.
Pour finir en s’amusant :
– Richard Whately, Peut-on prouver l’existence de Napoléon ? Vendémiaire, 2012.
Ce théologien anglican publie ce court essai en 1835. Un chef d’œuvre du « non sense » qui met à mal tous les dogmatismes. La conclusion est rassurante, Bonaparte a bien existé. Mieux :
« Nous sommes amenés à penser, en bref, que ce Buonaparte non seulement viola les lois de la probabilité, dans sa propre conduite et sa vie aventureuse, mais aussi entraîna avec lui tous ceux qui entrèrent en contact avec lui, dans des entreprises qu’aucun mortel n’avait jamais accompli avant – nous est-il permis d’ajouter qu’aucun mortel ne fit jamais ? »
Bonne lecture !
Jean-Joël Brégeon
Crédit Photo : Napoléon, sculpture en marbre, atelier d’Antonio Canova (1757-1822), vers 1805-1815 (DR)
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