Fermeture des écoles, obligation du télétravail, liberté de déplacement pendant le week-end de Pâques : si le gouvernement avait voulu pousser les Parisiens à partir se confiner en Bretagne ou ailleurs, et vite, il n’aurait pas fait autrement. À quoi bon organiser des transferts de malades par hélicoptère ou par TGV vers des hôpitaux de province quand on peut pousser les futurs malades à se transférer eux-mêmes ?
Lors du premier confinement, en mars 2020, environ 17 % des habitants, soit plus d’un million de personnes ont quitté le Grand Paris pour la province. Ce chiffre énorme n’a pas été calculé au doigt mouillé mais d’après des données solides, en particulier celles des opérateurs téléphoniques. Le confinement avait commencé à la mi-mars, dans la précipitation. Météo et expérience aidant, Beg-Meil, Saint-Lunaire ou La Baule n’en sont que plus tentantes en cet avril 2021.
L’objectif premier des mesures de reconfinement n’est pas de sauver des vies. D’ailleurs, les décès dus au covid-19 sont plutôt en baisse, tandis que le nombre de cas positifs est en hausse. Les décès sont trois fois moins nombreux que dans la deuxième semaine d’avril 2020. L’essentiel, on le sait, est d’alléger la pression de l’épidémie sur l’hôpital public en Île-de-France et dans deux ou trois autres régions. Le gouvernement s’est incliné devant un quasi-ultimatum publié dans le Journal du dimanche par 41 médecins de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Ils menaçaient de « faire un tri des patients ».
La situation pas si critique
Ceux qui quittent Paris en masse depuis vendredi ne sont probablement pas les plus menacés par le covid-19. Leur fuite permettra néanmoins d’écrêter la vague. De combien ? Quelques pour-cents seulement pourraient faire d’eux la goutte d’eau qui ne fera pas déborder le vase.
Ou qui le fera déborder à Nantes ou à Rennes ? Le taux d’occupation des lits en réanimation n’y est pas tellement plus bas qu’à Paris, et l’épidémie n’y progresse pas tellement moins vite. Pourtant, même à Paris, il n’y a pas saturation à ce jour. Plusieurs journaux, en particulier Les Échos et Le Parisien, se sont penchés ces derniers jours sur les capacités hospitalières. La France a un peu de marge. Outre les lits de réanimation, il est possible de mobiliser des lits de soins critiques ou de surveillance. D’où les « déprogrammations » d’opérations prévues, afin de faire de la place pour les malades du covid-19.
Ces déprogrammations n’avaient pas suscité une grande émotion l’an dernier, lors de la première vague. Elles en suscitent beaucoup plus cette année. La tribune des pontes de l’APHP au JDD s’alarmait ainsi : « le tri des patients a déjà commencé puisque des déprogrammations […] nous ont déjà été imposées et que nous savons pertinemment que celles-ci sont associées à des pertes de chances et des non-accès au soins pour certains patients ».
Pertes de chances et de revenus
Si les déprogrammations sont une perte de chances pour certains patients, elles sont aussi une perte de revenus pour certains médecins. Selon un document officiel de l’APHP, 355 de ses praticiens pratiquaient une activité libérale à l’hôpital en 2018 et pouvaient pratiquer des dépassements d’honoraires par rapport au « tarif sécu ». Les deux tiers étaient des professeurs d’université, le dessus du panier médical, donc, et la moitié des chirurgiens. Ils ont facturé en moyenne 121 703 euros d’honoraires dans l’année au titre de cette activité (et plus de 450 000 euros pour huit d’entre eux).
Pour être juste, il est probable qu’aucun des 41 signataires de la tribune du JDD ne figure parmi ces 355-là, puisqu’il s’agit de réanimateurs et d’urgentistes, spécialités dans lesquelles l’APHP ne recensait aucun exercice libéral en 2018. Il n’en reste pas moins que le confinement réclamé par eux vise à compenser l’incapacité de leur institution à s’adapter à l’épidémie. Les efforts réclamés aux Français sont la contrepartie de ceux que l’hôpital public n’a pas su faire.
Erwan Floch
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