La frontière de la mer d’Irlande a entraîné une recrudescence des tensions dans les communautés loyalistes. Mais quelle est l’ampleur de la menace que représentent les principales organisations paramilitaires ? Nous vous proposons ci-dessous une traduction d’un article signé Allison Morris pour le Belfast Telegraph.
Si la menace potentielle des républicains dissidents a souvent été évoquée au cours des trois années de négociations sur le Brexit, on s’est peu préoccupé de la réaction des loyalistes à ce qu’ils perçoivent comme une trahison de leur souveraineté avec une frontière douanière en mer d’Irlande. Représentés par le Loyalist Communities Council, l’UVF, l’UDA et le Red Hand Commando ont retiré leur soutien à l’Accord du Vendredi Saint au début du mois, dans une lettre de protestation envoyée à Boris Johnson.
La colère est perceptible chez les unionistes et les loyalistes de tous bords, mais 23 ans après l’accord de paix historique et près de 27 ans après que le Commandement militaire combiné des loyalistes ait appelé à la cessation de la violence, quelle menace, le cas échéant, les groupes paramilitaires loyalistes représentent-ils pour la paix ?
Pete Shirlow, directeur de l’Institut d’études irlandaises de l’Université de Liverpool, qui a beaucoup travaillé avec les groupes loyalistes, pense que la sagesse prévaudra. « Nous ne sommes pas en 1968, ce monde n’existe plus, les plus anciens savent que ni la violence ni le fait de faire descendre les gens dans la rue n’empêcheront de nous rapprocher d’une Irlande unie, ils le savent, ils le comprennent. Beaucoup de dirigeants sont maintenant plus âgés, mais s’ils n’avaient pas le contrôle sur les plus jeunes, nous aurions déjà vu des manifestations plus importantes, ou des représailles pour des attaques de dissidents. Vous ne vous débarrasserez pas du Protocole et cela commence à rentrer dans les têtes ».
C’est un point de vue très différent de celui du révérend Mervyn Gibson. Ancien membre de la RUC et membre éminent de l’Ordre d’Orange, il est connu pour être à l’écoute des communautés loyalistes issues des quartiers populaires d’Irlande du nord.
« Je pense que les choses empirent de jour en jour à mesure que les gens réalisent ce que signifie le protocole. Même du point de vue des droits de l’homme, le droit à la démocratie, nombre de nos lois commerciales et même nos services de santé seront déterminés par l’Europe en termes de médicaments disponibles pour traiter les gens. Cela devrait être inacceptable pour tout le monde. La colère monte, mais le vrai danger est que personne n’écoute.»
La voix des femmes est souvent absente du débat concernant les réactions loyalistes aux évènements politiques actuels. Dans ce qui est encore une société patriarcale, Stacey Graham, du quartier de Shankill à Belfast, est l’une des rares voix féminines prêtes à s’exprimer au nom de sa communauté.
En décembre 2019, la membre du Progressive Unionist Party est montée sur la scène de l’Ulster Hall lors d’un événement Preserve the Union visant à exprimer l’opposition à l’accord de Brexit de Boris Johnson.
« Les manifestations autour du drapeau britannique ne sont pas que symboliques. Il s’agissait d’une accumulation de tensions héritées de l’accord du Vendredi Saint. Le quartier de Shankill n’a pas bénéficié des avantages de la paix, alors que les quartiers de la classe moyenne en ont bénéficié. Les gens sont privés de leurs droits, abandonnés. Rien n’a changé pour nous, la pauvreté, les mauvais résultats scolaires, la santé mentale, qui s’aggrave. Les gens trouvent qu’il est difficile d’exprimer leurs sentiments alors ils ont littéralement mis leurs opinions sur les murs. Quand on parle de frontière dure, l’UE, les partis nationalistes ont tous dit qu’ils ne l’accepteraient pas, mais quand les unionistes disent la même chose à propos d’une frontière maritime, eh bien nous sommes traités différemment et c’est pourquoi les gens sont en colère.»
Le loyaliste Jamie Bryson affirme que l’accord sur le Brexit va plus loin que le simple Protocole mais touchent au cœur de l’Accord du Vendredi Saint. « Il met en lumière la dure réalité : l’accord est un boulet pour le Royaume-Uni et, à mon avis, la position de l’unionisme ne s’améliorera jamais tant qu’il ne sera pas révisé. L’unionisme et le loyalisme doivent collectivement parvenir à la conclusion rationnelle et logique qu’il est impossible d’être à la fois favorable à l’accord sur le Brexit et au maintien dans le Royaume-Uni, car l’objectif même de l’accord est la destruction progressive de l’Union »
Jim Wilson est un ancien prisonnier du Red Hand Commando et membre du LCC. De l’ancienne génération, il tient à ce qu’il n’y ait pas de retour à la violence. « Personnellement, j’espère simplement, en tant que personne qui a traversé le conflit, que nous ne retournerons jamais à la guerre civile. Nous devons travailler dans l’arène politique et faire pression sur le gouvernement britannique pour qu’il voie la folie de ses actions. Je veux que nos jeunes sachent que la violence n’est pas la solution. Le plus gros problème est que, ces dernières années, la menace de la violence semble l’emporter. Lorsque Bertie Ahern (NDLR : ancien Premier ministre de la République d’Irlande) nous a rencontrés il y a quelques années, j’ai senti qu’il était une personne honnête. Nous lui avons dit que nous pensions que le gouvernement irlandais était l’ennemi de l’Ulster, mais qu’il avait fait des progrès en tendant la main de l’amitié à la communauté loyaliste. Leo Varadkar, d’un seul coup, a réussi à détruire tout ce travail »
Mais quelle menace, le cas échéant, les trois principaux groupes paramilitaires représentent-ils ?
N’étant plus structurés sous un commandement collectif, les querelles, les batailles de leadership et le culte de l’ego ont vu de nombreux groupes se fracturer en organisations plus petites, gérées comme des mini-fiefs par une direction locale. Pendant les Troubles, l’unité la plus meurtrière de l’UDA, la division South East Antrim, a assassiné des centaines de personnes.
C’est aujourd’hui un cartel criminel, fortement impliqué dans le trafic de drogue, l’extorsion, l’intimidation et le meurtre de membres de sa propre communauté. Cependant, elle ne représente qu’une faible menace pour la sécurité nationale, l’UDA South East Antrim ayant désormais pour seul objectif d’être une bande criminelle qui gagne de l’argent.
L’UDA de Belfast Ouest, autrefois dirigée par Johnny Adair, reste l’une des unités les plus lourdement armées de l’organisation paramilitaire loyaliste et compterait encore environ 2 000 membres. Si Adair vit désormais en exil forcé en Écosse, le noyau dur du groupe qui a présidé à la campagne de terreur de la fin des années 80 et du début des années 90 reste en place.
Ils sont farouchement opposés au protocole d’Irlande du Nord et l’ont ouvertement rappelé récemment. L’UDA de North Antrim n’a jamais soutenu l’accord du Vendredi saint – ses prisonniers ont voté contre l’accord de paix et étaient prêts à rester en prison plutôt que de soutenir le traité de 1998. Le démantèlement de l’organisation a été considéré comme un geste « symbolique » et elle a conservé une grande partie de son arsenal.
Récemment, l’UDA d’Antrim Nord a connu une recrudescence de ses activités, avec des fusillades et des attentats à la bombe artisanale à Coleraine et Ballymoney, y compris la tentative de meurtre de Sally Cummings. Ils pourraient constituer une menace potentielle pour la paix et ont montré qu’ils avaient accès à des armes.
L’UDA de Belfast Est conserve également environ 2 000 membres, s’étendant géographiquement de l’est de la ville à Newtownards et North Down. Ils ont participé à des projets en faveur de la paix, mais il y a eu des tensions récentes et ils pourraient être mobilisés pour causer des troubles et des désordres publics.
L’UDA de Belfast Sud est la seule zone totalement engagée en faveur de la paix. Sous la direction présumée de Jackie McDonald, ils sont fortement impliqués dans des initiatives communautaires et constituent la faction de l’organisation la moins susceptible de constituer une menace future.
S’adressant au Belfast Telegraph, un ancien membre de l’UDA a déclaré : « L’ancienne génération, les dirigeants qui ont 60 ou 70 ans, ne sont pas vraiment en phase avec les jeunes loyalistes. Si le protocole n’est pas adopté, si la politique nous laisse à nouveau tomber, que ferons-nous ? Les nouvelles cibles dont on parle sont l’UE et les nationalistes irlandais. Nous sommes à la croisée des chemins, les jeunes membres considèrent que tout cela fait partie d’un programme, d’un chemin inévitable vers l’unité. »
Le Red Hand Commando ne semble pas de son côté manifester quelconque désir de recourir de nouveau à la violence, et semble avant tout un club constitué d’anciens paramilitaires.
L’UVF a un leader général, en place depuis les années 1970, qui impose en respect et contrôle toutes ses sections, y compris à la faction dure de Belfast-Est. Bien que l’UVF soit publiquement favorable au processus de paix, une source haut placée au sein de l’UVF a déclaré qu’elle croyait toujours que « si cela était nécessaire », l’organisation pourrait de nouveau recourir à l’action militante (et violente ?).
La principale préoccupation des services de sécurité concernant l’UVF est qu’une fois que les dirigeants actuels auront passé la main, l’organisation pourrait se fracturer de la même manière que l’UDA. La faction la plus armée et la plus militante de l’organisation est celle de Belfast Est, qui compterait entre 1 500 et 2 000 hommes.
Parmi les autres zones qui gérées par des militants plus radicaux de l’UVF figurent les sections Mid-Ulster (centre de l’Ulster) et South Belfast, qui ont toutes deux été des régions qui ont récemment vu fleurir diverses peintures murales et bannières contre la frontière maritime, avec des messages menaçants et militants. L’organisation conserverait une importante cache d’armes introduite en Irlande du Nord à la fin des années 1980.
Une source haut placée de l’UVF a déclaré au Belfast Telegraph : « Le loyalisme est divisé entre faucons et colombes. Bien qu’il y ait une frustration croissante au sein de l’organisation en ce qui concerne la frontière de la mer d’Irlande, cela ne s’est pas traduit par une véritable volonté de revenir à une situation de conflit, mais la dynamique est en train de changer. Des actions violentes de faible intensité sont presque inévitables. Il y a un danger que cela puisse ensuite s’envenimer »
Les choses pourraient rapidement s’accélérer une fois que les restrictions liées au Covid-19, draconiennes pour ne pas dire tyranniques, seront levées en Irlande du Nord.
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