Les sondages portant sur les intentions de vote pour l’élection présidentielle de 2012 n’étaient pas bons pour Nicolas Sarkozy. Or il fallait gagner à tout prix. D’où l’idée de multiplier les meetings afin de créer une dynamique. En alimentant les télés en images et en son, on touche un maximum d’électeurs. Mais avec quarante-deux meetings, les comptes ont dérapé. On a trouvé des astuces pour camoufler « l’excédent ». Un exemple : le meeting de Morlaix a été facturé 75 000 euros au candidat, mais à coûté 280 000 euros à l’UMP…
L’affaire Bygmalion se résume à deux chiffes : Nicolas Sarkozy est accusé d’avoir dépensé 42,8 millions d’euros pendant la campagne présidentielle de 2021, alors que la loi fixait le plafond à 22,5 millions d’euros. C’est pourquoi Jean-Louis Debré, devenu président du Conseil constitutionnel, chiraquien notoire et anti-sakozyste connu, a pris plaisir à rejeter les comptes de campagne de Sarkozy en juillet 2013. L’ancien président de la République est donc poursuivi pour « financement illégal de campagne électorale ».
De grands shows télévisés
Le mieux placé pour expliquer le pourquoi et le comment de ce dérapage s’appelle Gérôme Lavrilleux, alors directeur de cabinet de Jean-François Copé (secrétaire général de l’UMP) et directeur adjoint de la campagne. « Cette campagne était un train fou que personne n’a eu le courage d’arrêter », explique-t-il. Lavrilleux est le type même de l’apparatchik peu habitué à la lumière. Malgré lui, il devient une des vedettes du procès qui s’ouvrira prochainement. « Sarkozy devait gagner quoiqu’il en coûte », poursuit-il. « En retard dans les sondages, il a soudain changé de stratégie. Au lieu d’une poignée de grands meetings, comme prévu initialement, il a exigé de passer au rythme infernal de trois à quatre réunions publiques par semaine, montées en catastrophe avec une débauche de moyens audiovisuels. Plus que des meetings à l’ancienne destinés à convaincre les participants, il s’agissait de grands shows télévisés retransmis par les chaînes d’info, les militants et leurs petits drapeaux tricolores servant de décor. « ll fallait alimenter la machine, faire croire que Sarkozy était porté par une foule immense », se souvient Lavrilleux » (Libération, mardi 16 mars 2021).
C’est dans ces conditions qu’est organisé un meeting à Morlaix le 17 avril 2012, soit 5 jours avant le premier tour. Environ 3 000 personnes ont pris place dans le parc des expositions. « Au sein du staff de campagne, une quarantaine de personnes gérait la vidéo, la décoration, la lumière, le son… Le candidat était arrivé à bord du Facon présidentiel, tandis qu’une autre délégation, emmenée par Jean-François Copé, alors secrétaire général de l’UMP, avait pris place dans un autre avion. Au sol, neuf monospaces attendaient l’entourage du président sortant, alors que lui prenait place dans une Peugeot 508. » (Le télégramme, mardi 17 mars 2021).
Pourquoi Morlaix et pas Quimper ou Brest ? Laurent Prunier, qui était alors président de la fédération UMP du Finistère, explique la chose ainsi : « Pour moi, c’est un meeting qui a été rajouté à l’arrache. Brest et Quimper étant à gauche, il fallait une ville de droite et puis Agnès Le Brun voulait être ministre… ». Effectivement, il est plus facile d’organiser un meeting de dernière minute dans une ville dont le maire appartient au même parti que le candidat. Tout sera fait par la municipalité pour favoriser l’opération et les éventuels obstacles techniques seront vite balayés.
Un petit job au ministère de l’Éducation nationale.
Pour Laurent Prunier, « ce n’est pas ce petit meeting de Morlaix qui a fait sauter la campagne, laquelle avait explosé de partout bien avant ». Selon Médiapart, le meeting de Morlaix, facturé à 75 028 euros, aurait en réalité coûté 282 372 euros à l’UMP (Le Télégramme, mercredi 17 mars 2021).
Résultat des courses : Agnès Le Brun qui espérait devenir ministre en cas de réélection de « Sarko », resta modestement maire de Morlaix, ville de 15 000 habitants. Car « Sarko » ne lui a pas porté chance : elle est battue aux élections législatives de juin 2012, puis battue aux élections municipales de juin 2020, après douze ans de mandat. Mais il lui reste un demi – salaire : conseiller régional de Bretagne. Enfin l’Élysée a eu pitié d’elle ; on lui a trouvé un petit job au ministère de l’Éducation nationale. Elle est en effet chargée des relations avec les collectivités, en lien avec le cabinet de Jean-Michel Blanquer. On la retrouvera aux prochaines élections régionales sur la liste de droite. Mais pas comme locomotive du Finistère, place réservée à Stéphane Roudaut, maire de Gouesnou. Grandeur et décadence !
Bernard Morvan
Crédit photo : Flickr (cc)
[cc] Breizh-info.com, 2021, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine