Le symbolisme du sanglier trouve ses origines dans la Tradition primordiale et hyperboréenne, elle-même fondatrice des divers mythes indo-européens.
A côté du cerf, le sanglier faisait partie du monde marginal et divin de la forêt. Il participait de l’animation visible, (lat. anima = âme) comme témoin du panthéon des dieux que l’esprit des hommes avait forgé, pour hiérarchiser le sacré et appréhender le monde.
Animal solaire, le sanglier participait des trois fonctions de l’idéologie tripartite des indo-européens, et c’est à ce titre que la compréhension de sa symbolique est particulièrement difficile. Perçu distinctement par les castes, sa valeur magico-religieuse était conflictuelle. Cette situation se maintiendra jusqu’au moyen-âge, illustrée en Seine-et-Marne par la légende de Ste Osmanne.
La caste sacerdotale (les druides), participait de la fonction souveraine. Détentrice du savoir et du sacré, elle dominait la société dans ses orientations.
Selon J. Chevalier et A. Geerbrant, le sanglier est en conflit avec la caste guerrière. Comme le druide, il est en rapport étroit avec la forêt, se nourrit du gland du chêne, et la laie, symboliquement entourée de ses neuf marcassins, fouit la terre au pied du pommier, arbre d’immortalité. Aussi bien dans la société druidique que brahmanique, le sanglier figure l’autorité spirituelle. Il est l’avatâra sous lequel Vishnu ramène la terre à la surface des eaux pour l’organiser. Dans le monde indou, notre cycle est désigné comme étant celui du sanglier blanc.
Pour la caste guerrière, le sanglier participait du rituel de la chasse, c’est-à-dire du combat loyal contre la force vénérée et distincte, combat dont la victoire élève vers les dieux. Le mythe de « La Chasse Sauvage » et le légendaire Hubertien ne sont que des avatars populaires et parfois christianisés de ces rituels initiaux. Pour la caste paysanne, (fonction productrice) l’animal était naturellement celui qui assure la subsistance du groupe. L’animisme aidant, on s’évertuait à acquérir sa force et son courage. Il remplissait les ventres et les âmes.
Comme on le voit, cette perception distincte ne pouvait qu’entraîner des conflits, des interdits comme la chasse, le sacrifice ou la consommation hors certaines périodes.
Le nom du sanglier vient du latin populaire singularis, de singulus = seul. Le mot « singulier », combat d’un seul contre un seul, à la même origine. Le nom de la laie vient du francique lêka (moyen haut allemand liehe). Le même mot, remarque L.R. Nougier, désigne également un chemin forestier. Au moyen-âge, on évoquait le sengler, ou porcq saingler. Le terme servait aussi à désigner un homme solitaire.
La plus ancienne représentation connue d’un sanglier concerne une peinture pariétale dans la grotte d’Altamira, en Espagne. Elle est d’époque magdalénienne. (Paléolithique supérieur, 12000 ans).
De Perse, de l’Inde, de la Grèce à l’Irlande, il est partout présent dans le monde indo-européen. Il est également présent au Japon et en Chine, au Moyen-Orient, mais sa symbolique se réfère à des mythèmes distincts. En Grèce, Hercule parvient à rapporter un gigantesque sanglier qui semait la terreur en Arcadie, sur les collines d’Erymanthe. L’animal est transporté vivant sur les épaules. Cet exploit constitue le troisième des douze travaux d’Hercule. Ailleurs, c’est un autre monstre dévastant l’Etolie, le sanglier de Calydon, que combattent les héros de la Toison d’Or.
Dans la mythologie nordique, le nain Brokk forge un anneau d’or pour Odhin-Wotan, un marteau pour Thor et un sanglier pour Frey. Frey est le dieu de la fertilité, le dieu de la troisième fonction chez les Scandinaves. « Voici un animal qui peut courir nuit et jour, aussi bien sur terre que dans le ciel et sur l’eau. Il va plus vite que n’importe quel cheval. Et ses soies d’or resplendissent tant qu’elles peuvent éclairer les ténèbres les plus profondes. » Du martellement des forges de Brokk, naissent la fidélité, la puissance et la maîtrise. La maîtrise du temps et de l’espace. C’est en Ardennes (Arduenna sylva), au carrefour des mythes celtes et germaniques, que l’archéologie nous cédera une petite statuette, hélas décapitée, représentant le seul témoignage connu d’une déesse chevauchant un sanglier. On a évoqué le nom de Diane. Mais celui de Freya, sœur de Frey et déesse de l’amour pourrait s’imposer tout autant.
Chez les Celtes, le sanglier revêt donc une importance fondamentale. Il apparaît sur nombre de monnaies gauloises, et figure comme enseigne ethnique ou guerrière sur les vexillum.
La stèle calcaire d’Euffigneix (Haute-Marne), fait état d’un personnage orné d’un torque au cou, avec un sanglier vertical gravé sur sa poitrine. On peut soupçonner le caractère sacerdotal de cette stèle, s’il était confirmé que le motif symbolique de la patte droite est bien une crosse. Cette crosse (francique krukkja = béquille) serait de même nature que l’actuel attribut de l’épiscopat chrétien. Il était déjà l’emblème de dignité religieuse sous le paganisme romain, où du nom lituus, il équipait les augures et les pontifes.
L’archéologie irlandaise, de son côté, nous confirme la présence de diverses crosses sur les sites cultuels, de même curieusement, que certains monuments mégalithiques. Sur le côté de la stèle, on peut également distinguer la présence d’un œil. La valeur magico-religieuse de l’ensemble, nous permet d’imaginer le troisième œil, celui qui voit, celui de qui vient la religion. (lat. religio = qui relie)
Est-ce un hasard, si un autre dieu du panthéon celtique a été trouvé sous le chœur de N.D. de Paris, en 1970 ? Il s’agit de Cernunnos, « le dieu aux cornes de cerf ». On l’a également localisé à Reims, à Vandoeuvres, à Saintes, et il apparaît sur le célèbre chaudron de Gundestrup, accompagné d’un sanglier.
Comme pour relier les fonctions souveraine et productrice, le sanglier constituait la nourriture sacrificielle de la fête de Samain. (ou Samuhain, Samonios dans le calendrier de Coligny, le 1 novembre. La Toussaint en est la survivance christianisée). On le consacre à Lug, qu’on associe à Mercure. (L’un des surnoms de Mercure, Moccus = porc, est attesté par une inscription gallo-romaine à Langres).
La légende de Twrch Trwyth (irlandais triath = roi) s’opposant à Arthur, représente le sacerdoce en lutte contre la royauté, à une époque de décadence spirituelle. Le père de Lug, Cian, se transforme en porc druidique, pour échapper à ses poursuivants, avant néanmoins de mourir sous forme humaine.
Paradoxe d’importance, l’ensemble des textes irlandais, même d’inspiration chrétienne, n’accorde pas de mauvaise part au symbolisme du sanglier. Il s’agit là d’une contradiction flagrante avec les tendances de la tradition judéo-chrétienne.
Dans la Bible, le sanglier est associé à l’impureté, aux déchaînement des passions, aux forces démoniaques.
Parmi les légendes recueillies par Roger Lecotté, il en est une qui se rapporte au thème du sanglier, et qui concerne le village de Percy, en Seine-et-Marne.
Ste Osmanne, princesse d’Irlande, après de longues pérégrinations, vint s’établir dans la retraite de Féricy. « Avec sa servante, elle bâtit un abri de feuillage et mena une existence austère. Un jour, un jeune seigneur des environs, chassant un sanglier, vit la bête se réfugier auprès de la sainte, alors en prière près d’une fontaine. Malgré les cris des veneurs, les chiens ne pouvaient bouger, et le seigneur, voulant tuer le sanglier demeura figé. Il injuria Osmanne, qu’il prit pour une enchanteresse et se retira. Passant à Sens, il raconta les faits à St Savinien qui se rendit auprès de la solitaire et la reconnut comme une croyante ; aussi il la baptisa avec l’eau de la fontaine, et lui donna, le nom d’Osmanne ». Le bruit de sa sainteté se répandit partout, et de nombreux fidèles vinrent lui demander soulagement de leurs maux. Anne d’Autriche délégua deux pèlerins pour obtenir la naissance de Louis XIV, puis envoya un courrier à Féricy pour annoncer l’heureuse nouvelle, et fit don du tabernacle actuel. Un registre de confrérie du XVII° siècle porte de nombreuses demandes et procès-verbaux de guérisons ou miracles.
Selon la légende locale, les anciennes cloches de l’église, enfouies en 1789 dans la mare de l’abîme, et qui, envasées, n’ont jamais pu être récupérées, se font entendre à ceux qui se penchent au-dessus de l’onde, car elles sonnent encore pour la fête de Ste Osmanne. Ce texte démontre à lui seul, s’il en était besoin, combien l’animisme est vivace au VIIème siècle, et comment il est réintégré par l’Église sans autre forme de procès.
A partir de quels critères l’évêque de Sens reconnaît-il Osmanne comme une croyante ? Elle dispose de pouvoirs légués par la tradition celto-païenne, c’est-à-dire spécifiques aux coutumes de l’animisme européen. On songe aux oracles de Delphes et à la Pythie officiant en extase, près de la source Castalie. On songe aux légendes médiévales et aux « sorcières » des forêts profondes. On songe surtout au sanglier comme symbole druidique. On rappellera encore que le nom de « fontaine » désignait initialement une source, et l’on aura posé le décor dans lequel évoluent les acteurs de l’époque.
Sachant que les édifices de la chrétienté médiévale ont été élevés aux lieux même des sites sacrés du paganisme, il resterait à démontrer, au-delà des phénomènes de syncrétisme connus, la part de glissement sacro-religieux réalisée au titre de la Tradition entre la société druidique et la Chrétienté.
Gérard Thiemmonge (revue War Raok)
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