Si vous êtes amateur de vin, vous avez sûrement croisé l’une de ses bouteilles, car le portfolio de la maison Jeff Carrel recense une centaine de cuvées dont la plupart s’écoulent en petits volumes (certaines cuvées sont tirées à une centaine de cols).
La relative confidentialité des vins est d’ailleurs ce qui distingue Jeff Carrel des deux grands tycoons du négoce languedocien, à savoir Gérard Bertrand et Jean-Claude Mas. Si les capitaines d’industrie précités, ont su bâtir deux beaux empires du négoce, à quelques exceptions près, leurs vins manquent cruellement de cachet et tendent à se lénifier dans des standards crypto-biologiques de grande diffusion.
Itinéraire d’un œnologue prodige
Chez Jeff Carrel aussi, les cuvées phares de la maison ne sont pas en reste sur les volumes. Toutefois, ce qui caractérise un des labels les plus modernes du négoce languedocien est contenue dans l’insatiable créativité de son géniteur qui rejaillit indubitablement dans la forte personnalité de ses vins.
À ses débuts au milieu de la décennie 90, Jeff Carrel, aurait pu se définir comme un « flying winemaker » : un œnologue itinérant supervisant la vinification de nombreuses cuvées pour le compte de petits domaines d’un Languedoc-Roussillon encore assoupi.
Dans la décade 90, les jus languedociens pouvaient être d’excellente qualité, mais ne trouvaient que peu de valorisation au sein des ripopées des tristes châteaux pinardiers. Dans ces régions l’indépendance d’esprit du vigneron a mis du temps à s’imposer face à l’hégémonie des mastodontes coopératifs et du panurgisme encouragé par les négoces à l’ancienne.
Une ligne et un marketing moderne
De ce constat, naît l’idée de prendre sous son ombrelle le destin de vins dignes d’intérêt, manquant cependant de lisibilité commerciale nécessitant un rhabillage sous des étiquettes alléchantes et décalées.
Jusqu’à les affubler de noms plutôt loufoques non dénués d’humour. À l’instar de cette improbable étiquette « Vulcani », en clin d’œil au film d’Audiard :« comment réussir dans la vie quand on est con et pleurnichard » dans lequel un misérable représentant de commerce incarné par Jean Carmet tente d’écouler auprès des cafetiers le tord boyaux familial surnommé le vermouth des intrépides !
Avec le temps, la gamme s’est enrichie de cuvées sélectionnées au sein d’un panel varié de domaines implantés dans les différentes appellations languedociennes, agrémentées ou non, d’un élevage maison, conduit sous la maîtrise de Jeff Carrel.
En ressort une gamme solide à la ligne homogène, définie par une patte stylistique indéniable. Des vins que l’on traduirait dans l’épouvantable langue du marketing de « décomplexés », s’adressant à une clientèle jeune en recherche de ce fruité percutant venant se substituer à une sophistication superflue.
Jeff Carrel l’inclassable
Mais au-delà de la réussite des vins, la prodigieuse ascension de Jeff Carrel a de quoi laisser perplexe un mondovino habitué à classifier ses protagonistes par chapelle. Son label a en outre puissamment contribué à faire rayonner l’aura du Languedoc dans le monde sur le créneau du rapport qualité /prix. Les vins font en effet un tabac à l’exportation, notamment depuis que Robert Parker s’est entiché d’une grande partie de la gamme.
À dire vrai, Jeff Carrel incarne un modèle de réussite véritablement atypique, qu’il doit à la singularité d’un ADN ultra créatif, rattaché dès l’origine à sa petite maison de négoce.
Au point que cet œnologue-conseil et négociant est parvenu à se hisser au-dessus d’un monde du vin traditionnellement scindé par une logique binaire entre le bio (et ses différents avatars) et le non -bio.
Souvent amené à subir la condescendance des dogmatiques du bio, toujours enclins à dénoncer des vins qui empruntent les codes commerciaux du bio sans en porter l’engagement, Jeff Carrel, résolument attaché à son indépendance, n’a jamais fait la moindre concession à la doxa agrobiologique qu’il abhorre.
La ligne de ses vins est avant tout dictée par son travail et son inspiration et non par la pression ambiante, d’où une gamme très bigarrée oscillant entre le bio, le sans sulfites ajoutés, et ce qu’on qualifie pudiquement de conventionnel.
Il n’empêche que les vins transcendent les clivages comme l’illustre leur grande présence sur le site « vins étonnants », réputé pour son expertise dans les vins atypiques. Imbattables sur le rapport qualité/plaisir, bon nombre de cuvées ont fait les riches heures de la restauration et continuent à abonder le fonds de roulement des cavistes dits indépendants !
Notons qu’en Loire-Atlantique, la foire aux vins du Leclerc de Saint-Brévin propose, du 22 mars au 3 avril, quatre cuvées cultes de Jeff Carrel.
Les Darons, Jeff Carrel, Languedoc : 7.8€
Cette cuvée star est issue d’un vaste assemblage assez hétéroclite provenant des vendanges de trois domaines situés sur des terroirs distincts. D’une infaillible régularité, ce vin aux contours massifs mais au fruit terriblement expressif, s’est imposé comme l’une des grandes valeurs du rapport qualité/ prix en Languedoc.
Morillon Blanc, Jeff Carrel : 9.9€
Le morillon est l’autre nom du chardonnay dans le sud de la France, vendangé en surmaturité, il offre une richesse texturale incomparable et ses notes de caramel blond sont irrésistibles. Le vin conserve fraîcheur et tension pour finir sur une finale d’une superbe onctuosité.
Côtes-du-Roussillon, la bette, Jeff Carrel ,9.8€
Voici un côte-du-Roussillon étonnamment atypique par sa fraîcheur tant il s’éloigne du profil très alcoolisé et excessivement généreux auxquels nous habituent les vins de cette appellation. Jeff Carrel valorise davantage dans ce vin les nuances végétales du fruit, qui trouvent en arrière-fond la résonance de notes de laurier.
Fitou, la Tire, Jeff Carrel, 9.8€
Un fitou proprement incroyable ! D’une grande concentration et à la noirceur fruitée incomparable, autour de laquelle se superpose de délicates tonalités goudronneuses. Sans doute l’un des meilleurs fitous par son panache et l’extrême intensité de ses arômes, le tout sur un équilibre souverain.
Raphno
Crédit photos : DR
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