Après Œnologouine, un Œnolagay ?

Demain le monde du vin sera pluriel, un nouveau credo qui a le vent en poupe dans tout le petit milieu gaucho écolo de la mouvance nature sectarisée.

Pour preuve, tous les libres penseurs de la vitisphère se tiennent à l’affût du moindre concept en mesure de mettre à bas les citadelles du magistère des « vieux mâles blancs » dominateurs.

Autant dire qu’opiner sur la place des « minorités » dans le vin, ne relève plus de la simple marche sur des œufs mais d’un exercice éminemment périlleux, s’apparentant à une avancée à pieds nus sur des tessons de bouteilles.

Le club de vin genrifié, un concept radioactif

La gangrène de l’identitarisme communautaire « genrifié » a fait son œuvre dans un domaine que l’on croyait à l’abri des vieilles lubies socio progressistes.  De nouveaux prosélytes inoculent à présent le poison légitimiste des minorités, pour exciper d’un esprit revanchard en droit de se lever contre l’oppression d’une intelligentsia arc-boutée sur son monopole de la prescription des vins.

À la manœuvre sans surprise, le quotidien Libération et l’impayable Amunategui, venus s’enquérir d’une vision lesbocentrée du vin, défendue par la créatrice d’Œnologouine, Delphine Aslan.

Son club « Œnologouine » reprends volontiers à son compte le quolibet hautement péjoratif de « gouine » entièrement assumé par la caviste, comme moyen de réappropriation identitaire d’une insulte.

Inutile de chercher à comprendre la logique d’auto-persécution, à l’œuvre derrière un raisonnement qui relève autant de la psychiatrie que du combat pour la tolérance.

Ce cercle très fermé partage donc, et c’est là l’essentiel, « un référentiel commun », ou l’homme est persona non grata car sa seule présence lourdaude serait susceptible de polluer la délicatesse du bon esprit féminin et les libres bécotages du club…

C’est vrai que ça rappelle le coup de l’éviction des femmes des chais lors de leurs règles, accusées, il fut un temps, de troubler le processus de fermentation… juste retour du balancier ?

Pas question de s’en prendre à cette pauvre caviste enfermée dans son identité d’Amazone du vin en lutte contre les immondes mâles goguenards et suffisants qui lui ont toujours barré le chemin de sa passion.

C’est d’ailleurs ce qu’ils attendent à grand renfort de procès. Non soyons plus subtil, il s’agit plutôt de prendre de la hauteur afin de mieux démonter les ressorts idéologiques du discours venimeux qui vise à confisquer la percée du vin nature dans le but de l’ériger en vin antisystème.

Rétablissons quelques vérités car cette nouvelle catégorie de vin mérite bien mieux qu’un odieux détournement idéologique orchestré par une clique d’escobars du bien-boire, moulés dans une conception inquisitoriale du vin dit « nature », dépeint comme préservé de toute corruption chimique voire humaine…

Le détournement idéologique du vin nature

En fin d’interview, la caviste ne cache pas son engagement pour le vin nature et nous livre son dernier coup de cœur au nom évocateur : la cuvée « Putes féministe » (non ce n’est pas un gag c’est le vrai nom !) un gewurz vinifié en macération.

Ce choix est très représentatif de la lente dérive de la sphère dite « nature » vers des causes politico-sociales qui de prime abord, sont très étrangères au sujet du vin. Un glissement qui s’est opéré sous le gouvernail de journalistes et de blogueurs convertis de façon quelque peu radicale à leur cause.

Le monopole délétère de la Revue du Vin de France et ses conséquences…

Leur percée n’est pas détachable de l’hégémonie toxique exercée par la Revue du Vin de France (dont l’expertise est loin de soutenir la comparaison avec les revues anglo-saxonnes du Wine Spectator et de Decanter) sur la presse spécialisée du vin en France pendant plus 30 ans !

En retard sur le virage numérique, d’une insupportable condescendance envers le courant nature, la RVF a entamé un déclin inexorable en dépit d’un Guide Vert de bonne facture et de l’arrivée récente de quelques pointures comme Pierre Citerne.

Autour de ce vide, et à la faveur de l’absence de tribune pour les vins dits « natures », un petit écosystème de spécialistes improvisés sur le tard a pris position, ne jurant que par des vins libérés de l’emprise des sulfites et des autres additifs œnologiques.

Ces nouveaux sectateurs se sont mis à évangéliser les réseaux sociaux en s’imposant comme les seuls porte-paroles légitimes pour défendre des vins peu considérés par les canaux d’information mainstream.

Parmi eux, le belliqueux Amunategui, mais aussi le blog d’Olif à la plume d’ailleurs assez nébuleuse voire illisible, Antoine Gerbelle ancien transfuge de la RVF, Sylvie Augereau, et une floppée d’autres blogueuses, tant elles sont nombreuses à avoir adopté le vin nature par sincérité de goût mais aussi en y greffant malheureusement des arrière- pensées militantes.

Le plus doué d’entre eux, était sans conteste Guillaume Nicolas Brion, qui a arrêté de tenir son blog « du Morgon dans les veines ».

Citons aussi la synthèse quelque peu apaisée des enjeux sous-tendus par le vin nature livrée par la Master of Wine, Isabelle Legeron journaliste à la Revue Decanter et fondatrice d’un salon international de référence pour les vins natures : le RAW pour Natural Wine.

Une véritable filière du sans soufre

Dans le sillage de ce courant bio protéiforme, des bars à vins, des caves spécialisées, des guides, et même des petits salons « off »   se sont constitués à l’image de Vini Circus en Bretagne ou de celui créé par l’apôtre Amunategui : Sous les pavés les vignes.

L’organisation de cette filière du sans soufre, va ainsi emprunter son propre circuit de distribution et user d’une communication disruptive pour parvenir à poser les bases d’un séparatisme avec l’establishment du vin dit « conventionnel ».

Dans ces lieux alternatifs et rebelles on s’avine à plus soif, sans modération, conforté par les thèses de amunateguinesques tendraient à percevoir l’ivresse d’un vin nature comme moins nocive sous l’argument d’un meilleur métabolisme de son alcool, oui ça rappelle le bon et le mauvais chasseur des Inconnus…

Le problème c’est qu’à vouloir trop se distinguer des vins mécréants, le vin nature s’est enfoncé dans une obscure marginalité, en confiant notamment son image à de dangereux intégristes à la culture étriquée, doués surtout pour dresser les vins natures   contre le reste du monde traditionaliste.

L’indulgence de ces dégustateurs n’a rien arrangé à l’affaire, très conciliants sur le borderline, une incompréhensible caution a été accordée à des défauts récurrents qui signaient moins l’authenticité que les marques d’un vin bio mal maîtrisé.

Une absolution grotesque donnée aux disgrâces du volatile*, aux bretts* et leurs relents de selle de cheval, aux perlants agressifs nécessitant des dégazages traumatiques, aux nez de serpillère mouillée par une réduction rédhibitoire.

Le piège idéologique qui conduit au ghetto commercial

Un redoutable piège idéologique qui s’est refermé sur les vignerons, embrigadés malgré eux dans un emballage écolo-doctrinaire malsain, ayant fini d’épouvanter un consommateur perdu, déjà bien en peine à se déniaiser sur le vin.

À cause de cette récupération, les vins natures se sont ghettoïsés dans un discours et une symbolique transgressive qui condamne le classicisme tristounet des vins qualifiés de conventionnels.

De ce positionnement se rattache depuis lors une connotation résolument « underground ».

Pas étonnant donc que ces breuvages troubles (souvent d’ailleurs non filtrés) prospèrent avant tout dans les bars à vins du Marais, auprès d’une clientèle éduquée et fortunée apte à digérer les prix assez fantasques de certains flacons ainsi que les élucubrations socio-naturalistes de ceux qui les servent.

Un gigantesque hors sujet

Vous l’aurez compris, l’image du vin nature ne saurait être lisse, sa consommation se doit d’être résolument engagée et supposerait un rejet de tous les vins qui se sont éloignés d’une sacro-sainte virginité originelle.

La plupart de ces soi-disant spécialistes du vin bio, sont tombés dans le raccourci d’un antagonisme simpliste qui divise le mondovino en différentes chapelles irréconciliables, sans parler de la concurrence insidieuse existant entre les différentes obédiences du courant biologique.

Toutefois, aveuglés par leur fanatisme et sans doute aussi pénalisés par leur manque de perspective internationale, ces blogueurs sont passés royalement au travers de la seule et véritable problématique qui définira le nouvel échiquier de la vigne dans les 50 prochaines années :

Le mouvement de reconquête des terroirs disparus depuis la crise du phylloxera, ainsi que l’extension de la vigne dans les parties du monde ou elle n’avait jamais été plantée. Ces deux tendances de fond replacent en effet la mission pionnière de la vigne au cœur des enjeux futurs.

Or cette dimension leur échappe totalement ! Obsédés qu’ils sont par le fantasme d’une révolution du bio qui ne sera que le corollaire d’une évolution historique et géographique beaucoup plus vaste que de savoir si un vin est bio ou pas bio ! 

Le mythe d’une sensibilité féminine dans le vin

Enfin les principes d’exclusion de ce sympathique petit club réfractaire aux hommes, semblent conforter une idée bien installée dans le milieu féministe, qui laisserait à penser que les femmes partageraient une relation au vin très distinctive.

En matière de vin, Il est en effet est de bon ton pour elles de revendiquer une sensibilité proprement féminine, qui se voudrait en rupture avec la rustrerie d’une approche par trop masculine.

De la même manière qu’un vin dit « féminin » ne saurait renvoyer à d’autres qualités qu’à la délicatesse ou à la douceur, les poncifs vont bon train sur le fantasme d’un rapport au vin des femmes.

Celui- ci serait fait de civilité et de savoir-vivre, vibrant d’émotion, loin de la cuistrerie et des excès de la gente masculine.

N’en déplaise à cette propagande démagogique, les femmes qui parviennent durablement à s’imposer dans le monde du vin, doivent seulement leur réussite à leur professionnalisme et à leur expertise. Quant aux femmes enclines à user de leur condition d’opprimée du joug masculin pour mieux jouer de leur position victimaire, elles ne gagnent rien à jouer de ce répertoire, sinon à trahir une vraie carence d’expertise face à leurs supposés concurrents masculins.

L’arroseuse arrosée…

Tout ce qui consiste à tirer parti de la condition féminine pour mieux asseoir le statut des femmes dans notre société finit toujours par se retourner contre ce désir de reconnaissance. Deux exemples me viennent à l’esprit :

Tout d’abord le souvenir de ce salon spécialement dédié aux femmes vigneronnes, lancé en grande pompe sous les ors de l’Hôtel Radisson à Nantes.

Un flop monumental essuyé par la fondatrice d’un concept marketo-féministe baptisé « chais elles » ayant réuni péniblement 300 personnes sur la première édition.

La volonté de mettre à l’honneur exclusivement des vigneronnes avait conduit le processus de sélection à faire grand cas de l’appartenance à la gente féminine aux dépens du savoir-faire.

Il y a aussi l’exemple édifiant de ce célèbre domaine du Brunello di Montalcino : Donatella Cinelli Colombini, qui offre la particularité d’être géré uniquement par un personnel féminin dans une région ou les femmes ont eu à subir la pression machiste de la culture latine.

Reste que ce domaine dont les vins, au demeurant, sont comme pour beaucoup de brunellos d’excellent niveau, a eu davantage à se faire connaître pour ce particularisme, et ce au détriment d’une célébrité qui aurait dû se bâtir sur la qualité des vins, surtout dans une appellation hautement concurrentielle sur le plan de la notoriété.

Alors à quand un prochain article vantant la création d’un œnologay à la gloire d’une sensibilité proprement masculine ? On l’espère sans « little boy* » tant que la consommation restera interdite aux mineurs…

Raphno

*Brett : Diminutif de Brettanomyces, qui renvoie à une famille de levures responsables des vins « phénolés » se caractérisant par des senteurs de type animal très désagréables voire malodorantes.

*Little Boy : Nom de la bombe A larguée par le bombardier Enola Gay sur Hiroshima

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