Donation d’entreprise : qui veut perdre des millions ?

Le Pacte Dutreil est un bon outil lorsqu’un dirigeant veut transmettre son entreprise à ses enfants. Encore faut-il respecter un certain nombre de conditions. A défaut, le redressement peut être sévère, à l’instar de ce récent arrêt ( CA Riom, 26 janv. 2021, n° 19/01179) qui condamne un héritier à payer 1,6 million d’euros ! On vous explique comment éviter ce genre de déconvenue (avec Absoluce).

En 2011, une mère donne à son fils 7 000 actions d’une société dans le secteur hôtelier, évaluées à 7 millions d’euros. Cette transmission est taxée sur une base réduite à 1,75 million d’euros, compte tenu de la conclusion d’un pacte Dutreil qui offre un abattement de 75 % de l’assiette taxable aux droits de mutation à titre gratuit, sous réserve de se conformer aux dispositions légales.

Quelques années plus tard, l’administration lui notifie la rectification des droits d’enregistrement éludés, à hauteur de 1,6 million d’euros. Son argument : la donation ayant eu lieu moins d’un mois après la création de la société, celle-ci ne pouvait pas être holding animatrice. En défense, le donataire prétend que la société était éligible au dispositif car elle aurait, selon lui, été effectivement animatrice de son groupe économique au moment de l’opération, activité assimilée à une activité commerciale éligible. Le fils apporte des éléments qui donnent des précisions sur le contexte de la constitution de la société, les recherches de fonds de commerce dans le secteur hôtelier à acquérir qui avaient été effectuées plusieurs mois auparavant, etc. Toutefois, la Cour d’appel ne lui donne pas raison et confirme le rehaussement.

Comment l’opération aurait-elle pu être sécurisée fiscalement ?

En premier lieu, il aurait été judicieux de ne pas procéder à la donation dans le mois suivant la constitution. Comment, en effet, démontrer une activité réelle d’animation dans un laps de temps si court… alors même que la holding n’en est pas une, à défaut d’avoir acquis des titres ? Compte tenu des enjeux, il est fortement recommandé de se laisser du temps afin de pouvoir prouver la réalité de l’animation de holding, et surtout de pouvoir la documenter.

En deuxième lieu, quand bien même le contribuable aurait persévéré dans sa donation en dépit des alertes dispensées par ses conseils, il eût été judicieux de rattacher à la société en formation tous les actes passés en cours de constitution et les dépenses effectuées préalablement à la constitution de la société (ce document est annexé aux statuts). Ceci aurait pu démontrer la réalité de l’activité d’animation de la holding, mais aurait toutefois été probablement insuffisant à emporter la conviction du juge de l’impôt.

En troisième lieu, multiplier les pactes aurait pu être recommandé. En d’autres termes, il s’agit de conclure un autre engagement de conservation sur les titres de la filiale opérationnelle, afin de s’en prévaloir en lieu et place de l’engagement litigieux sur la holding. En pratique, cela revient à bénéficier du pacte Dutreil sur la seule valeur de la filiale à l’actif de la holding et non sur la totalité de la valeur de cette société mère. Certes, cela n’aurait fait que minimiser le rappel de droits de mutation, mais aurait été préférable à un décaissement total. Toutefois, en l’occurrence, cette solution n’aurait pu fonctionner qu’après l’acquisition des titres de la filiale opérationnelle par la holding.

On le constate, la situation n’était globalement pas propice à la conclusion d’un pacte Dutreil, eu égard à la jeunesse de la holding, à l’impossibilité corrélative de prouver son effectivité, tenant au caractère concomitant de l’achat des titres de la filiale.

Ne pas donner vaut mieux que mal donner

Difficile, a posteriori, de sortir de l’ornière…

S’il ne dispose pas immédiatement de la surface financière pour acquitter les droits rappelés, le contribuable aurait globalement trois solutions. La première est de faire un pourvoi en cassation, qui a peu de chances d’aboutir compte tenu des circonstances entourant la donation. La deuxième solution, pour payer à l’administration les droits s’élevant à 1,6 million, est de se distribuer près de 2,3 millions d’euros pour, après prélèvement forfaitaire unique de 30 %, être en mesure de payer les droits. Cette deuxième solution revient cependant à verser au trésor public l’intégralité de cette somme de 2,3 millions d’euros (1,6 million + 30 %) ! On peut, de plus, douter que l’héritier dispose d’une telle trésorerie dans le secteur hôtelier aujourd’hui, compte tenu de la crise sanitaire. La troisième et dernière solution consiste à vendre les titres reçus en donation, en tout ou partie. Mais vendre dans la précipitation ne garantit pas les meilleures conditions de prix, loin de là.

« Donner et retenir ne vaut », dit l’adage. L’arrêt commenté pourrait en fonder un autre : « Ne pas donner vaut mieux que mal donner » !

Crédit photo : pxhere (cc)
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