Catalogne : l’effacement progressif de l’Espagne et de l’espagnol [Reportage]

Nous avons été enquêter en Catalogne lors des élections cruciales du 14 février. Place du catalan et du castillan, sentiment indépendantiste et question de l’immigration, nos reporters ont parcouru une ville de Barcelone désertée pour cause de mesures sanitaires. Mais malgré les restrictions, les Barcelonais continuent de vivre… et de revendiquer. Breizh-Info vous dit tout !

La Catalogne est la seule « région » au monde où les militants pour une langue oppressée sont ceux qui défendent la langue d’Etat. Car l’espagnol est bel et bien en train de disparaître de l’espace visible à Barcelone. Vous vous promenez dans la capitale catalane, vous ne voyez pratiquement plus de castillan : les enseignes de boutiques sont en catalan, les communications officielles de « l’ajuntament de Barcelona » (la mairie) sont exclusivement en catalan sans parler de celle de la Generalitat, le gouvernement autonome. « Quand les autorités m’envoient des documents à remplir, je ne comprends même pas tout » nous explique cette jeune femme originaire d’une région d’Espagne et dont le compagnon est catalan mais « constitutionnaliste » nous précise-t-il dans un anglais parfait, c’est à dire anti-indépendantiste. Lui parle le catalan mais ne comprends pas pourquoi tout n’est pas bilingue car « le catalan comme langue unique éloigne la Catalogne de l’Espagne ».

La langue prioritaire dans les commerces

A la veille de la campagne électorale pour le renouvellement du parlement autonome, nous constatons que même les partis constitutionnalistes font leur réclame en catalan ou dans les deux langues, jusqu’aux très jacobins Vox qui ont utilisé le catalan sur leurs affiches de campagne en appelant à « recuperem Espanya » (récupérons l’Espagne). Dans les rares commerces ouverts, passé le traditionnel « Hola !» (qui a l’avantage d’être identique en catalan ou en espagnol), les commerçants vous entreprenent majoritairement en catalan. Il faut dire que selon une loi de 2005, le catalan doit être la langue prioritaire dans l’espace public comme dans l’espace commercial. Sur la moindre affichette bilingue, l’espagnol est toujours en deuxième voir troisième place après l’anglais que tous les jeunes catalans parlent magnifiquement bien. La jeune femme rencontrée auparavant nous assure que la non-connaissance du catalan est une quasi-mort sociale si l’on veut travailler dans le commerce en Catalogne. « Tout le monde connait l’espagnol mais les gens s’adressent à vous en catalan et vous devez leur répondre en catalan ! Or de Barcelone, dans la campagne c’est encore pire» s’exclame-t-elle, choquée, elle qui vient d’une région où le castillan est roi.

Trois heures de cours d’espagnol à l’école

Dans le train, trois enfants africains sont en train de chahuter. Leur mère leur parle dans une langue africaine alors qu’eux parlent entre eux exclusivement en catalan. Et surtout chantent en catalan, on reconnaît ici une de ces chansons enfantines apprises dans les écoles. Il faut dire que le système scolaire catalan encourage le changement de langue : les cours sont exclusivement en catalan, la langue usuelle de l’école est le catalan et les cours d’espagnol ne se résument en tout et pour tout qu’à trois heures dont deux heures de cours formel. Les communications de l’école sont exclusivement en catalan et ceux qui veulent avoir un enseignement en espagnol pour leur enfant sont orientés vers des structures privées. Pourtant, selon la loi, un quart des cours devraient être dispensés en castillan, mais cette réglementation n’est jamais appliquée ou très peu. Ce qui entraîne des manifestations de parents d’élèves… non pas pour sauvegarder le breton ou le gallo comme en Bretagne mais, au contraire, pour sauvegarder l’espagnol !

D’ailleurs, lors de la crise de 2017, les partis espagnolistes style Ciudadanos/Ciudadans (les affiches du parti de droite violemment anti-indépendantiste sont en catalan en cette veille d’élections) avaient demandé une modification de la loi sur l’Education. Des manifestations monstres des indépendantistes avaient coupé court à toute véléité centraliste à ce sujet. Il faut dire que la puissance des associations pour la langue telles que Plataforma per la Llenga ou Omnium Cultural est redoutable dans cette Catalogne où la question linguistique et culturelle suit de très près les questions politiques et institutionnelles.

Sur le « Passeig de Lluís Campanys » près de l’emblématique « Arc de Triomf » (beaucoup plus petit que son homologue parisien tout de même) nous sommes alpagués par des militants anti-mesures de restrictions COVID. Sur leurs pancartes et leurs tracts, tout est écrit en espagnol. Nous comprenons rapidement qu’ils font partie d’une association satellite de partis protestataires espagnols et…espagnolistes ! Malgré la nécessaire ouverture des formations « constitutionnalistes » au catalan, la langue reste toujours un marqueur très fort d’hispanité ou de catalanité.

Extrémisation des positions

Car nous sentons, à chaque rencontre, une volonté de marquer nettement son camp chez nos interlocuteurs. Ici on est pour l’indépendance ou contre l’indépendance mais il n’y a pas de milieu. La montée des tensions et, il est vrai, une certaine raideur de l’Espagne et notamment des gouvernements PP, a extrémisé les camps. Il y a des « indépendantistes modérés » (Pere Aragonès, futur président ERC de la Generalitat en est un) et des « constitutionnalistes modérés » (les gauchistes de Podemos qui prônent une « troisième voie » tout en restant « indépendantisto-compatibles ») mais plus véritablement d’autonomistes.

Et que dire des balcons couverts de drapeaux indépendantistes, de bannières en soutien aux prisonniers politiques (en Catalogne, ce sont des ministres qui sont enfermés et pas pour détournement de fonds comme en France), de rubans jaunes qui s’affichent jusqu’aux revers de veston des élégants barcelonais âgés. La revendication publique aux balcons et aux fenêtres est ici très largement dominée par les indépendantistes. A peine voit-on parfois un timide drapeau espagnol… Là aussi la « déconnection d’avec Madrid » est complète !

Il faut dire qu’avec le large statut d’autonomie, l’Espagne s’efface petit à petit du quotidien des catalans. Dans les rues de Barcelone, les seules traces d’Espagne qui restent sont quelques voitures de la police nationale (concurrencée par les Mossos d’Esquadra, la police autonome) et les trains Renfe. Tout le reste, de la communication sur les gestes barrières anti-covid à l’organisation des élections, est géré soit par la mairie soit par la Generalitat, dont le logo est omiprésent dans l’espace public.

Vox, la force qui monte

Dans un bureau de vote, nous apercevons un assesseur mandaté par le parti VOX. Vox est LE parti protestataire, anti-immigration, violemment anti-indépendantiste et dont la figure de proue en Catalogne est Ignacio Garriga, un orthodontiste… noir !

Précisons tout de même que Vox et ses militants ne sont pas du même tonneau que le très policé Rassemblement National mariniste. Lors des manifestations auxquelles participent Vox et parmi ses militants, il n’est pas rare de voir des militants néo-fascistes assumés. Sans parler des commémorations du souvenir pour Franco et de la Phalange où ils sont présents, ce qui fait plus penser concernant ce parti au Front national canal historique qu’au Rassemblement national actuel.

L’entrée de Vox au parlement catalan est donc un événement en soit surtout que le parti en question fait le plein des voix chez les électeurs de droite anti-indépendantistes. Le PP se groupusculise de plus en plus en dépassant à peine les 3% quant à Ciudadanos, ils passent de 36 députés à… 6 ! La malédiction de Manuel Valls aurait-elle touché ses anciens amis ?

Barcelone la blanche

L’absence, jusqu’alors, d’une formation comme Vox en Espagne alors que les droites populistes anti-immigration percent partout en Europe depuis plus de 20 ans s’expliquait généralement par l’héritage du régime franquiste. Les médias de gauche adoraient la fable d’une Espagne et d’un Portugal allergiques à « l’extrême-droite » car hantées par les régimes autoritaires de Franco et de Salazar, plus une certaine solidarité avec les immigrés extra-européens en souvenir des années où les espagnols et portugais étaient eux aussi des exilés, notamment en France.

En parcourant les rues de Barcelone, on s’aperçoit que l’explication est tout autre. Quand vous vous promenez dans le centre-ville, les seuls immigrés que vous voyez sont quelques asiatiques, auxquels s’ajoutent des représentants du sous-continent indien qui tiennent notamment les innombrables épiceries de quartier. Mais point de voiles ou de barbes de prophète ! Les catalans ne savent pas ce qu’est l’immigration et ne connaissent pas les immigrés ! Pour en rencontrer, il faut s’enfoncer dans l’immense banlieue où les immigrés noirs et arabes sont largement minoritaires par rapport aux sud-américains catholiques. Et pourtant la Catalogne est la province d’Espagne comptant le plus de musulmans, notamment sur son pourtour méditerranéen. Mais la présence mahométane dans les rues n’a aucune commune mesure avec celle que l’on peut voir à Nantes ou à Rennes par exemple. La rue barcelonaise est très largement blanche et les partis catalans sont plutôt débonnaires à l’encontre des immigrés. Notre arrivée à Paris à l’issu de ce séjour en terres catalanes aura été d’un saisissant contraste. Comparé à Barcelone, la capitale française est devenue un quartier de Lagos ou d’Alger !

Contre-reconquista ?

Si le « choc migratoire » qui commence pourtant en Espagne se confirme et s’amplifie pour atteindre les standards européens, la donne pourrait toutefois changer au niveau politique. Car, il y a quelques années de cela, des poussées de fièvre anti-islam avaient touché jusqu’aux quartiers ultra-nationalistes des banlieues basques. La montée de Vox, au-delà du différent sur l’unité de l’Espagne, traduit aussi cette sidération : l’islam commence très lentement à envahir l’Espagne qui ne connaissait pas ce problème depuis la fin de la Reconquista. Et, même si elle ne se ressent par encore beaucoup dans l’espace public catalan, ce Petit Remplacement risque de bouleverser, dans l’avenir, bien des certitudes politiques, notamment dans le camp indépendantiste…

Crédit photo : DR
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12 réponses à “Catalogne : l’effacement progressif de l’Espagne et de l’espagnol [Reportage]”

  1. odile HARVEY MEAR dit :

    Comment se fait -il que vous ayez pu vous déplacer de Bretagne en Catalogne pour écrire ce reportage, je croyais que l’on ne pouvait se déplacer si aisément car les Barcelonais eux- même ne sont pas actuellment autorisés à quitter leur ville pour respecter les mesures barrière antiCOVID. En d’autres périodes du confinement, ils ne pouvaient quitter leur domicile sinon pour un temps très limité pour faire des courses essentielles ou motif familial impérieux.
    Avez-vous des correspondants en Catalogne?
    Par ailleurs, il faut noter que les Catalans ont la chance d’être élevés bilingues Espagnol/Catalan, dès leur plus jeune âge, ce qui leur donne des dispositions pour acquérir d’autres langues. Il est certain que l’anglais comme langue internationale est là aussi en train de détrôner le français. Les Catalans sont en général des Européens plus polyglottes que les Français. Certes en Bretagne ,l’école de la république a tué le Breton en empêchant les enfants bretons bilingues de parler breton même dans la cour de récréation.

  2. Horst MUSCHAK dit :

    Nous avons été enquêté en Catalogne ?
    C’est breizh-info qui a été enquêté et par qui ???
    Il va falloir de nouveau, arrêter le chouchen !!!

    • Rédaction dit :

      Oui, nous étions en Catalogne, qu’est-ce que cela a de surprenant ? Référez-vous au live sur twitter le jour des élections.

  3. Charlie dit :

    Vivant en Espagne j’ai été choqué de l’évolution ces 10 dernières années. A n’en pas douter le PP (le parti de droite en Espagne) a une responsabilité énorme sur cette « radicalisation » des politiques catalanes. Il y a un réel soutien populaire pour défendre la culture et les intérêts catalans, cependant l’absence de dialogue du gouvernement central et plus tard ces actes de répression ouverte n’ont fait qu’attiser ce soutien, que les hommes politiques catalans sont bien contents d’exploiter…

  4. Galahad dit :

    Et puis, ils n’ont plus à craindre Manuel Valls (lol) !

  5. Miquel Furio Sendra dit :

    Aquest article te un tuf espanyolista que no es pot aguantar lo de la « pobre noia » espanyola que no entén el que li diu l’Ajuntament o que es queixa de que sino parles català no pots treballar a una botiga… si jo vaig a Castellà i no parlo castellà puc treballar a un botiga ? o si vaig a França i no parlo francés hi podre treballar?

  6. Je vais régulièrement à Barcelone depuis presque 30 ans. Ce qui m’a frappé, c’est l’omniprésence de l’espagnol, la langue coloniale. Il faut rouspéter pour se faire répondre en catalan. C’est finalement comme en Hexagonie, même sans ces colonies comme la Bretagne où le breton est relativement bien affiché et enseigné (si l’on compare avec l’occitan ou le francoprovençal)… mais où tout le monde ne parle que français.
    Alors, je ne sais pas dans quelle bulle votre reporter vit…

  7. François RICHARD-NICOLAS dit :

    Presqu’aucun étranger n’apprendra cette langue catalane et Barcelone y perdra si les cours d’université ou les démarches ne se font plus en Espagnol. Je ne vois pas l’intérêt de la rendre officielle et surtout quasi unique. Les habitants du territoire ne pourront pas l’utiliser à l’international. Apprendre deux langues qui se ressemblent, quel ennui ! Rien à voir avec la sauvegarde du Basque ou du Breton qui eux sont fondamentalement différents des langues romanes et maintiennent le souvenir de civilisations précédant la nôtre. La littérature en Espagnol est magnifique. Côté catalan, çà donne quoi? En plus, cet idiome ressemble vraiment trop au Castillan pour apporter du neuf. Et il n’est pas plus agréable à l’ouïe. Une indépendance qui va surtout créer des postes pour politiciens grassouillets déjà à l’oeuvre.

  8. Presqu’aucun étranger n’apprendra cette langue catalane et Barcelone y perdra si les cours d’université ou les démarches ne se font plus en Espagnol. Je ne vois pas l’intérêt de la rendre officielle et surtout quasi unique. Les habitants du territoire ne pourront pas l’utiliser à l’international. Apprendre deux langues qui se ressemblent autant, quel ennui ! Rien à voir avec la sauvegarde du Basque ou du Breton qui eux sont fondamentalement différents des langues romanes et maintiennent le souvenir de civilisations précédant la nôtre. La littérature en Espagnol est magnifique. Côté catalan, çà donne quoi? En plus, cet idiome ressemble vraiment trop au Castillan pour apporter du neuf. Et il n’est pas plus agréable à l’ouïe. Une indépendance qui va surtout créer des postes pour politiciens grassouillets déjà à l’oeuvre.

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