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Xavier Vigna : « Il faut rappeler les vertus du droit à l’action collective des salariés pour défendre leurs intérêts » [Interview]

En 2015, le Conseil général de la Confédération syndicale internationale (CSI) a proclamée le 18 février comme étant la journée d’action mondiale de défense du droit de grève, en justifiant ainsi ce choix :

« Trop souvent, le droit de grève est refusé aux travailleurs du secteur public, en raison de définitions larges des services essentiels et des restrictions à la négociation collective ou au droit de s’organiser, tandis que certains gouvernements commettent des violations flagrantes des droits humains et fondamentaux des travailleurs. Remettre en cause le droit de grève, c’est remettre en cause la possibilité des salariés d’inverser le rapport de forces avec l’employeur et les priver de la possibilité de faire valoir leurs droits »

En France, tout salarié a le droit de faire grève pour manifester un désaccord ou obtenir la satisfaction de revendications d’ordre professionnel. Ce droit de grève est reconnu et garanti par la Constitution à tout salarié, dans le secteur privé comme le public. Le 27 octobre 1946, le droit de grève est pleinement reconnu dans la constitution (art. 7 du préambule) : “Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent”. Depuis le 7 décembre 2000, ce droit figure dans l’article 28 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Ces droits, fruits de batailles syndicales et ouvrières et de longues négociations, résultent d’une longue histoire ouvrière, notamment en France, parfaitement évoquée dans histoire des ouvriers en France au 20ème siècle, de Xavier Vigna, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris Nanterre et spécialiste d’histoire sociale, dont les travaux portent sur le monde ouvrier.

Un livre sorti en 2012 chez Perrin et édité depuis en poche, chez Tempus.

Alors que le 18 février marquait symboliquement la journée mondiale d’action en faveur du droit de grève, nous l’avons interrogé sur le monde ouvrier, sur son évolution, sur son actualité.

Breizh-info.com : D’où vous est venu cet appétit pour écrire l’histoire des ouvriers en France au 20ème siècle ?

Xavier Vigna : C’est d’abord une commande de mon collègue Olivier Wieviorka. Une commande un peu intimidante, une espèce de défi, parce que cette histoire n’est pas si connue qu’on le prétend. Et donc, même si je ne suis pas familialement lié au monde ouvrier, j’ai relevé le défi. J’en ai profité donc pour essayer de modifier le récit habituel qu’on pouvait en faire.

Breizh-info.com : La classe ouvrière a-t-elle réellement été une classe sociale unie au long du 20ème siècle, comme l’a souvent colporté la mythologie communiste ? Quelles sont les grands moments d’unité et ceux de rupture au sein de cette classe ouvrière ?

Xavier Vigna : L’expression « classe ouvrière » charrie beaucoup d’ambiguïté : cela dépend de ce qu’on entend. Si on désigne par là une condition matérielle, des revenus, des modes de socialisation et de vie, alors on peut considérer qu’il a existé une classe ouvrière, comme classe sociale, même si elle connaît des évolutions spectaculaires.

Si on entend par classe ouvrière, un groupe uni et soudé derrière le mouvement ouvrier et les organisations de la classe, alors, les choses sont assez différentes. J’ai en effet essayé de montrer que ce groupe ouvrier était assez divisé sur le plan politique entre les communistes, les socialistes, les conservateurs (qu’on oublie souvent) et surtout ceux, majoritaires, qui ne s’intéressent pas à la politique, au sens traditionnel du terme.
Ce monde ouvrier a ses moments d’unité : autour du Front populaire et à la Libération ; en 1968 sans doute. Les divisions apparaissent surtout après les défaites revendicatives : après la Première Guerre mondiale par exemple et plus encore depuis 1981 quand la désindustrialisation a durement frappé.

Breizh-info.com : Quelles sont les grandes avancées sociales, qui bénéficient aujourd’hui à tous les salariés, qu’ont obtenu, par la force et la contestation, les mouvements ouvriers au 20ème siècle ?

Xavier Vigna : D’abord le mouvement ouvrier passe plus de temps à négocier avec le patronat qu’à se battre ou à faire grève. Evidemment, en 1936, il y a les congés payés et les 40 h, mais il y a surtout les conventions collectives, c’est-à-dire les contrats collectifs de travail qui permettent une élévation générale des salaires et des conditions de travail. A la Libération, Pierre Laroque et Ambroise Croizat fondent la Sécurité sociale. En 1968 enfin, c’est le droit syndical dans l’entreprise.

De fait la classe ouvrière a permis des conquêtes dont ont bénéficié ensuite tous les salariés, puis tous les Français.

Breizh-info.com : Y’a-t-il des leaders ouvriers (politiques, syndicaux, associatifs) qui ont su réunir une partie importante du peuple au delà des clivages politiques ou syndicaux dans le courant du 20ème siècle ?

Xavier Vigna : Je ne crois pas qu’il y ait véritablement de leader ouvrier qui ait été unanimement apprécié. Les clivages politiques, sociaux et idéologiques souvent très forts ont empêché tout unanimisme.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui explique selon vous la chute, depuis plusieurs décennies, de la représentativité syndicale ?

Xavier Vigna : Pour saisir ce phénomène, il faut distinguer selon les secteurs d’activité : elle est moindre par exemple dans la fonction publique. Mais dans les usines, cela tient à 3 phénomènes : d’abord les grandes usines, qui étaient des bastions ouvriers, ont parfois fermé ou en tout cas ont vu fondre leurs effectifs. Cela a affaibli la puissance des ouvriers. De ce fait, aujourd’hui, la majorité du monde ouvrier travaille dans les services (la logistique par exemple, le transport, les services aux entreprises, etc.) : ces salariés ne se sentent guère ouvriers et donc ont davantage perdu l’habitude de se syndiquer pour organiser collectivement la défense de leurs intérêts. C’est la 2e explication. Enfin, il ne faudrait pas oublier l’hostilité du patronat à la syndicalisation : des phénomènes de discrimination ont été constatés. Un syndiqué apparaît souvent comme une « forte tête », un « meneur » et donc on ne lui fera pas de cadeau. Cette répression ne favorise pas la syndicalisation, surtout dans les petites entreprises.

Breizh-info.com : Depuis le début du 21ème siècle, il semblerait que la classe ouvrière en France ait déserté, petit à petit, la gauche et ses représentants qui l’ont incarné politiquement et électoralement durant le 20ème siècle. Comment expliquez-vous ce changement profond ?

Xavier Vigna : La situation varie un peu selon les élections, qu’elles soient locales ou nationales. Mais il est vrai que les ouvriers votent moins à gauche qu’à la fin des années 1970 par exemple. Cela tient surtout au fait que la gauche politique, et d’abord le Parti socialiste, a abandonné les ouvriers. Une fondation proche du PS, Terra Nova, a d’ailleurs théorisé cet abandon il y a quelques années.

De ce fait, quand elle exerce le pouvoir, la gauche ne choie pas tellement ses électeurs, à la différence du pouvoir actuel par exemple. Dès lors, nombreux sont les ouvriers qui s’abstiennent.

Breizh-info.com : Quelle symbolique porte, aujourd’hui, la date du 18 février, journée mondiale d’action en faveur du droit de grève ?

Xavier Vigna : Difficile à dire. Cette journée est peu connue, mais il faut rappeler les vertus du droit à l’action collective des salariés pour défendre leurs intérêts. S’ils ne le font pas eux-mêmes, personne ne le fait !

Breizh-info.com : Travaillez vous sur d’autres ouvrages à venir ?

Xavier Vigna : Oui, je suis en train d’écrire un petit livre sur l’histoire de la société française dans les années 1970 et 1980. Il devrait sortir dans quelques mois j’espère.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR
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