En mars 1945, paraît un « Manifeste de l’Encyclopédie de la renaissance française ». Une très petite brochure (135 x 110) de seize pages, imprimée sur un vilain papier jaunâtre. La France est en pleine pénurie de papier. Elle est aujourd’hui presque introuvable mais on peut la lire en ligne sur le site rogergaraudy.blogspot.com
L’auteur est bien Roger Garaudy, décédé en 2012 à 99 ans. Un homme politique et essayiste à la très longue carrière. Ardent communiste, version stalinienne de 1932 à 1970 puis antisioniste radical jusqu’à sombrer dans la négation de la Shoah. Converti à l’Islam dans les années 80.
En 1945, cet agrégé de philosophie est membre du Comité central du Parti communiste français. On lui demande de mettre en marche un projet très ambitieux « une grande ambition », d’œuvrer « à la reconstruction totale de la patrie » par la voie culturelle.
Et Garaudy de lancer cet appel :
« Nous faisons appel à tous les intellectuels français, savants, artistes, écrivains, ingénieurs et techniciens, instituteurs et professeurs, médecins et architectes, pour qu’ils prennent leur place dans ce chantier gigantesque de notre histoire nationale.»
Le P.C.F. entend puiser dans les racines, dans les fondements du génie national. Il distingue quatre filiations, quatre cheminements :
– « La source chrétienne , de la chanson de Roland de Pascal à Péguy ».
– « La tradition romaine de l’ordre ».
– « L’esprit critique et d’ironie, de Rabelais à Molière et de Voltaire à Anatole France ».
– « La montée historique de la classe ouvrière ».
Au passage, Garaudy escamote les termes lutte des classes, matérialisme historique et ne se réclame pas de Marx, Engels, Lénine et Staline. Il faut ratisser large.
Cette nouvelle Encyclopédie prendra la relève de la Somme de saint Thomas d’Aquin ( !) et de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Elle sera contributive. Tout le monde est invité à y travailler, mais surtout pas avec une « méthode individualiste ». Au contraire, dans le travail en commun, le partage, « en sorte que chaque pensée pourra en féconder d’autres et être fécondée par elle, selon la loi même de l’éveil de l’esprit qu’avait entrevue Socrate ».
Le 10 juin 1945, cérémonie d’ouverture du projet, au Palais de Chaillot. Garaudy a la fierté de présenter le Comité directeur, Louis Aragon, Eluard, Joliot-Curie, Paul Langevin, Le Corbusier, Matisse, Picasso, Henry Wallon… Des sommités, de purs communistes*.
L’Encyclopédie du P.C.F. sera mort-née. Aucune trace de ses débuts, rien d’abouti, rien d’imprimé. Dans ses Mémoires, Garaudy l’a presque oubliée. En fait, les priorités du parti étaient ailleurs, purement politiques, devenir le premier parti de France, être au gouvernement… Et puis, à Moscou, d’où partait la « ligne générale » cette histoire d’encyclopédie ne devait susciter qu’un mince intérêt. Alors, une belle occasion manquée. A voir !
*Pas toujours… Le cas de Picasso étant le plus flagrant. Durant l’occupation, l’artiste a vu défiler les Allemands dans son atelier et l’anecdote, répétée jusqu’à aujourd’hui, de l’officier lui demandant si c’est bien lui qui a peint Guernica et Picasso lui répliquant : « C’est vous qui l’avez fait » relève de l’affabulation (en globish, fake news).
Jean Heurtin.
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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2 réponses à “Quand le Parti communiste français anticipait Wikipedia”
Si l’anecdote à propos de Picasso était le seul arrangement des communistes avec la vérité, ce serait trop beau !
Le projet d’Encyclopédie de Garaudy a disparu dans les poubelles de l’histoire, mais sont but était-il vraiment d’arriver à une somme en X volumes ? La méthode genre Wikipedia n’était pas dans les habitudes du parti. On pourrait envisage une opération de propagande (voyez comme nous sommes ouverts) et une opération de mobilisation, voire de fichage (que tous les intellos qui voudraient dire quelque chose se signalent au PCF) . Déjà avant la guerre, le PCF était un éditeur important (beaucoup de traductions du russe !). Il a continué après la guerre, tant qu’il en a eu les moyens financiers, mais toujours avec un souci de contrôle idéologique étroit.
« Roger Garaudy s’était converti à l’Islam en 1980 »: vraiment un précurseur !!