L’immense majorité des Juifs sont rabbinistes, mais une poignée d’entre eux sont karaïtes. Le rabbinisme s’appuie sur la Bible hébraïque, mais également sur la Michna, les compléments de la loi. La Michna a longtemps été orale avant d’être couchée par écrit à partir du Iier siècle après JC de peur qu’elle ne s’oublie. Chacun de ses articles a été également l’objet de commentaires compilés dans la Guemara entre le II ième et le V ième siècle après JC. Michna (lois) et Guemara (commentaires des lois) constituent le Talmud dont il existe 2 versions celle de Babylone et celle de Galilée, du nom des contrées où étaient implantées les écoles qui l’ont compilé. L’étude du Talmud n’est pas figée et de nombreux juifs rabbiniques ont passé et passent encore de nos jours leur vie à interpréter la loi et ses commentaires.
Les rabbinistes sont les héritiers des Pharisiens de l’époque de Jésus, rendus célèbres par le Nouveau Testament. Les Pharisiens s’opposaient aux Sadducéens regroupés autour du grand Prêtre de Jérusalem et des serviteurs du Temple. Les Sadducéens (qui selon le Nouveau Testament ont condamné à mort le Christ pour impiété) rejetaient la Michna orale et ne considéraient comme valable que la Bible hébraïque (la Thorah). La prise de Jérusalem et la destruction du Temple par les Romains en 66 après JC leur ont porté un coup fatal, mais ils n’étaient pas les seuls à s’opposer à la loi orale. Il existait, surtout en Occident, d’autres mouvements juifs scripturalistes ( c’est-à-dire qui refusaient de tirer des commandements religieux autres que ceux qui existent dans les textes sacrés). Le karaïsme qui a lentement émergé après le Vième siècle après JC, a fini par réunir tous les opposants au Talmud. On estime également que l’essénisme, un courant de pensée juif de l’époque de Jésus, rendu célèbre par les manuscrits de Qumram, a influencé ce mouvement naissant. Les karaïtes n’étaient pas des dissidents, mais au contraire des Juifs attachés à leur tradition ancienne et qui refusaient les innovations apportées par les rabbins babyloniens dans l’Antiquité tardive. Le premier penseur connu du karaïsme est un descendant de David, Anan ben David (715-795), il est né en Babylonie et a émigré par la suite à Jérusalem. S’il a structuré le karaïsme, celui-ci lui est antérieur. Les karaïtes se basent sur la même Bible que les rabbinistes, leur théologie a de fortes similitudes avec celle de leurs rivaux, mais le rituel diffère quelque peu et varie suivant les communautés karaïtes. Le karaïsme n’est pas homogène et se définit surtout par le rejet du rabbinisme. Les dirigeants spirituels des karaïtes sont appelés rav dans les pays non musulmans ou hakkam, rav étant considéré comme blasphématoire par les fidèles du prophète. Alors que les rabbinistes doivent se choisir un rabbin et suivre impérativement son enseignement, les karaïtes mettent l’accent sur l’exégèse personnelle, chacun étant libre d’interpréter à son gré la Torah, les hakkams ayant un rôle de conseil et ne cherchant nullement à imposer leurs vues
Les Karaïtes eurent beaucoup de succès et on estime que vers l’an mil, ils constituaient 40 % de l’ensemble de tous les Juifs. Il y avait notamment des communautés dynamiques à Césarée et à Jérusalem, les karaïtes de cette dernière ville étant dirigée par des descendants d’Anan ben David. La ville sainte était alors le centre spirituel du Karaïsme mondial. Les karaïtes palestiniens furent décimés par les Turcs avant d’être exterminés par les croisés en 1099. En effet, les Juifs karaïtes et rabbiniques lors des sièges de Jérusalem et de Césarée ont en résistant aux côtés des musulmans provoqué la violence des compagnons de Godefroi de Bouillon alors que nombre de villes palestiniennes ont été conquises sans effusion de sang. Ces 2 tueries, qui heureusement furent isolées, constituent une tâche indélébile sur l’histoire des Croisades, même si les musulmans ne sont pas en reste avec les massacres commis lors des prises de Saint-Jean d’Acre et de Tripoli. Le sang n’excuse pas le sang.
Vers 900, les karaïtes étaient nombreux en Crimée et dans le sud de la Russie actuelle. Ils auraient pratiqué le prosélytisme notamment au sein des Khazars, un peuple d’origine turque, qui a fondé vers 800 un puissant empire dans les steppes proches de la Mer noire. Selon une légende, les dirigeants khazars désireux de se convertir à un monothéisme, ont rejeté le christianisme et l’Islam pour ne pas dépendre de l’Empire Byzantin ou du califat et ont choisi le judaïsme sous sa forme karaïte. La conversion éventuelle des Khazars est un sujet de controverses entre les historiens surtout israéliens. Des textes de voyageurs musulmans attestent que les dirigeants khazars étaient juifs, il existe une lettre, dont l’authenticité est sujette à caution, entre Joseph, le khan karaïte des Khazars et le vizir juif d’un État musulman de la péninsule Ibérique, mais ces preuves ne paraissent pas crédibles aux yeux d’une minorité d’experts qui estiment que les conversions ne concernaient qu’une faible partie des Khazars et pas leurs dirigeants. Selon d’autres chercheurs, seule l’aristocratie Khazar, voire qu’une partie de la cour royale a adopté le karaïsme. Enfin des historiens penchent pour une conversion massive des Khazars.
Cette polémique sur des événements qui se seraient déroulés il y a plus d’un millénaire a des prolongements actuels. Certains auteurs juifs (Arthur Koestler, Sholmo Sand) prétendent que les Juifs Ashkénazes, qui forment 40% de la population juive israélienne, auraient pour ancêtres des Khazars, donc, des Turcs qui auraient abandonné le karaïsme pour le judaïsme traditionnel . Cette affirmation a des implications évidentes : les sionistes revendiquent la Palestine au nom de leurs supposés aïeux hébreux. Si les Juifs descendent à 30 % de Turcs, cette revendication perd une partie de sa légitimité. Les analyses génétiques sont contradictoires, l’une à grande échelle indique que les Ashkénazes comme les Sépharades descendent d’hommes habitant le Proche-Orient et de femmes « locales », une autre portant sur 12 juifs, conclut à l’origine turque, mais à défaut d’ADN Khazar elle s’est basée sur celui de Georgiens et d’Arméniens. Hitler dans sa folie antisémite a cru, à la thèse khazar ; il a donné pour instruction lors de l’invasion de la Russie de laisser tranquille les karaïtes (karaïmes) de langue turque en affirmant qu’il n’avait rien contre la religion de Moïse et qu’il ne s’en prenait qu’aux Juifs sémites. Néanmoins, malgré les ordres de leur führer, les Allemands n’ont souvent sur le terrain fait aucune différence et ont exterminé karaïtes et Juifs de la même façon, notamment en Crimée.
Les Karaïtes possédaient également des communautés en Espagne, en Égypte et à Erdine (Andrinople) et ils étaient surtout nombreux en Russie du sud. La grande majorité des karaïtes Criméens de langue turque, qui n’avaient pas rallié le judaïsme traditionnel, choisirent de se différencier des autres Juifs et de s’appeler désormais Karaïmes. Ils prospérèrent dans le khanat de la Horde d’or puis dans celui de la Crimée et essaimèrent en Lituanie où ils obtinrent un statut enviable proche de celui de la noblesse. Après le partage de la Pologne, les Karaïmes se retrouvèrent pour la plupart sous domination russe. Néanmoins, ils obtinrent de la Tsarine Catherine II un statut enviable qui les distinguait des Juifs. En 1860, il y avait en Crimée plus de Karaïmes que de Juifs dans toute la Russie. Mais la répression soviétique et l’invasion allemande ont fait disparaître la plupart des communautés Karaïmes. Il n’en subsiste qu’une en Lituanie ( 257 membres dont 16 enfants).
À partir du Xième siècle les rabbanites ont entrepris une lutte féroce contre les karaïtes qu’ils traitaient d’hérétiques en les accusant d’avoir emprunté des coutumes musulmanes (déchaussement dans la synagogue, génuflexion). Devant la pression exercée par les rabbanites, les communautés karaïtes ont fini par disparaître de l’Occident et du Proche-Orient
Actuellement, en dehors de la Lituanie, il ne subsiste que deux petites communautés. L’une forte de plusieurs milliers de membres vit en Israël et est l’héritière des communautés irakienne, égyptienne et d’une partie de la communauté criméenne. L’autre ne regroupe qu’une cinquantaine de personnes à Istanbul.
Christian de Moliner
Photo d’illustration: DR
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2 réponses à “Un courant juif presque disparu : le karaïsme.”
Marek Halter a écrit un livre sur le sujet ( Le vent des Khazars). La classe dirigeante khazare était d’origine turque mais comme pour les Avars et les Huns, les populations dominées pouvaient être d’origines diverses, sarmate par exemple.
Marek Halter se laisse un peu emporter et prend pour argent comptant de simples suppositions. Les populations soumises au Khazars étaient en effet d’origine diverses, slaves, alains, reste des sarmates