Richard Schittly : « L’enquête sur le Gang des Lyonnais a été une période charnière dans l’histoire de la Police » [Interview]

Nous avons évoqué récemment la réédition d’un ouvrage intitulé « L’histoire vraie du gang des Lyonnais », écrit par Richard Schittly, et qui raconte, dans le détail, l’histoire d’un gang sujet aujourd’hui encore, à beaucoup de curiosité et de fantasmes.

Voici comment le livre est présenté par l’éditeur, la Manufacture de livres :

Une bonne cinquantaine de coups dans les années soixante-dix et le sommet du genre : un milliard à la poste de Strasbourg. À la tête des Lyonnais : Joanny Chavel, Pierre Pourrat, dit « Le Docteur », Edmond Vidal, dit Momon, avec ses fidèles amis de Décines. La P.J. de Lyon et l’Office Central de Répression du Banditisme déclencheront une opération hors normes pour les arrêter, l’opération « Chacal », mobilisant neuf cents policiers.
Pourquoi le gang est-il né à Lyon, alors la « capitale française du crime » ? Comment les Lyonnais ont-ils pu échapper si longtemps à la police ? Comment s’est déroulé l’assassinat du juge François Renaud ? Comment expliquer le verdict qui a surpris tout le monde aux assises du Rhône ? Le gang a-t-il participé au financement occulte de partis politiques ? Histoire exhaustive du gang des Lyonnais, le document de Richard Schittly répond à toutes ces questions et apporte son lot d’informations inédites sur la bande à Vidal, et comment celle-ci a profondément modifié les rapports entre justice et police, et pas seulement à Lyon.

Pour en discuter, nous avons interviewé Richard Schittly, qui a bien voulu répondre à nos questions (ci-dessous, version écrite, mais aussi audio).

Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Richard Schittly : Je suis journaliste à Lyon. Pendant un quart de siècle, j’ai assuré la chronique judiciaire, à la fois la chronique des procès dans les tribunaux, les cours d’assises, mais aussi ce qu’on appelle les faits divers, les accidents, la criminalité, les événements imprévus de l’existence.. Dans la région lyonnaise, j’ai eu de quoi faire. Je me suis également intéressé à l’histoire du banditisme.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amené, plusieurs décennies après le procès du Gang des Lyonnais, à vouloir écrire ce livre ?

Richard Schittly : Cette histoire fait vraiment partie de l’histoire judiciaire de Lyon. Elle fait partie du patrimoine judiciaire. J’en avais les grandes lignes, j’avais déjà rencontré des personnages de l’époque, policiers comme malfaiteurs. Le déclencheur a été la préparation du film d’Olivier Marchal (2009-2010) « Les Lyonnais », sorti en 2011.

Quand j’ai su que le film allait sortir, je me suis dit que c’était l’occasion de revenir sur l’histoire du gang des Lyonnais, de la raconter complètement, ce qui était inédit. Car elle n’avait jamais été racontée de manière intégrale, du début à la fin. C’est ce film qui m’a donné envie de revenir sur cette histoire.

Breizh-info.com : Votre livre, initialement sorti en 2011, a inspiré le film d’Olivier Marchal « les Lyonnais ». Qu’en avez-vous pensé ?

Richard Schittly : C’est un film librement inspiré de l’histoire du gang des Lyonnais. Ce n’est pas un documentaire. Si j’avais un avis cinéphile, je dirais que c’est un film efficace, dans le style Marchal, bon polar, une bonne galerie d’acteurs. Ceux qui aiment Marchal vont s’y retrouver. Si on recherche après l’exactitude de l’histoire, c’est une autre affaire.

Olivier Marchal a pris le pli de s’éloigner finalement de l’époque du Gang des Lyonnais. On retrouve par flashback des épisodes qui correspondent à des faits historiques précis, mais la trame est assez éloignée. C’est un parti pris. Je ne me prononce pas sur la liberté artistique. C’est une affaire très délicate à traiter, et à un moment donné le réalisateur a pris le parti de s’éloigner de l’histoire, car il y a des sujets qui fâchent (l’assassinat du juge Renaud). C’était compliqué pour lui de faire quelque chose fidèle à l’histoire, en tout cas cela a eu beaucoup de succès en salles.

DR Daniel Houpline

Breizh-info.com : Comment Lyon est-elle devenue la capitale du crime en France, le temps d’une époque ?

Richard Schittly : La capitale du crime ça a été les gros titres des journaux de l’époque. C’est vrai qu’il y a eu un attrait de la presse nationale, même internationale (la Pravda avait titré Chicago sur Rhône) pour cette époque, très agitée, marquée par beaucoup de règlements de compte, un banditisme très affirmé, mais aussi des histoires politico-financières.

Il y’avait un bouillonnement social, un mélange entre différentes couches de la société, entre les malfaiteurs, les hommes politiques… tout cela a fait les gros titres de la presse.

Mais je ne suis pas sûr que Lyon était plus criminogène que Marseille ou Paris à la même époque. Mais il y avait une sorte de mélange très étonnant qui a fait que ça a intéressé. Lyon a été le révélateur d’une partie de l’histoire française. C’était la fin de la guerre d’Algérie, on découvrait des alliances très particulières entre le monde politique et le monde de la voyoucratie.

Breizh-info.com : La plupart des membres du gang sont morts, dont beaucoup assassinés. Comment avez-vous mené votre enquête pour construire votre livre ? Avez-vous rencontré des membres du gang (Edmond Vidal notamment) encore en vie ?

Richard Schittly : Pour mener mon enquête, j’ai travaillé méthodiquement, entre l’historien et le journaliste. Historien, car j’ai retrouvé tous les articles de l’époque, tous les livres qui ont évoqué cette histoire d’une manière où d’une autre, j’ai fait un travail documentaire. J’ai accédé aux dossiers d’instruction de l’époque. Ce sont des vieux dossiers, des procès verbaux sur des vieux papiers. C’est un travail de lecture pas évident, des rapports rédigés dans des styles très différents d’aujourd’hui.

Puis je me suis lancé dans la recherche de tous les témoins de l’époque que ce soit les policiers qui ont travaillé à l’époque à Lyon notamment le directeur adjoint de la Police judiciaire qui a été le directeur d’enquête consacré au Gang des Lyonnais : Pierre Richard. Un policier à au caractère bien trempé, un personnage hors norme, originaire d’une famille de notaires en Bretagne, qui était d’ailleurs passé par la police judiciaire de Rennes, où il a ferraillé contre les autonomistes bretons, avant d’être nommé à Lyon. Mais aussi du côté des voyous. Je suis parvenu à retrouver tous les survivants du gang des Lyonnais, discuter avec eux et c’est un travail d’approche progressive. Il faut mettre en confiance, plusieurs rendez vous, des déjeuners, des rencontres, pour avoir un maximum de témoignages fiables, directs, et humains, pour reconstruire l’histoire de ce gang.

Breizh-info.com : Quel était le degré de politisation des membres du gang des Lyonnais ? Est-ce que cela a joué dans leur « association de malfaiteurs » ?

Richard Schittly : Le gang des Lyonnais est à diviser en deux périodes. La première, complètement imbriquée avec l’histoire politique de l’époque. Celui qui va initier le premier groupe qui sera l’embryon du gang des Lyonnais est Jean « Jeannot » Augé, qui a été désigné comme le Parrain de Lyon. Il avait plusieurs casquettes. Il avait travaillé avec les services secrets pendant la guerre d’Algérie dans les basses œuvres du régime gaulliste, de la France coloniale. Il avait tissé des liens avec des hommes d’État, des personnalités politiques, et avec le fameux SAC (service d’action civique), police parallèle du pouvoir gaulliste.

Cette imbrication entre la voyoucratie et le monde politique a profondément influencé les débuts du gang des Lyonnais . J’ai pu vérifier les dires de l’époque ; les premiers braquages, les premiers butins revenaient alimenter les caisses de ce groupuscule parapolitique du régime gaulliste, sur fond de fin de guerre d’Algérie. Ces gangsters avaient des méthodes militaires, directement inspirées du passage de certains comme soldats durant la guerre d’Algérie. Il y avait une configuration commando qui a marqué le gang des Lyonnais dans ses débuts. On retrouve dans ce gang des gangsters avec une conscience politique très pro Algérie française, anti communiste. Des personnages comme Augé ou Chavel, initiateurs du gang, baignent dans cette ambiance-là.

Après ça s’est compliqué, car ce sont agrégés des voyous issus de la périphérie lyonnaise (notamment Décines). Ces jeunes gens n’étaient pas du tout issus de ce courant historique. Ils n’avaient pas fait la guerre d’Algérie, n’avaient rien à voir avec la politique. Ils étaient là pour braquer, pour attaquer des banques. Il y a eu petit à petit des dissensions internes entre anciens et plus jeunes qui se sont mis à refuser de donner des parts de butin aux politiques. Il y a eu une fracture à mi-parcours, qui a tourné à la guerre fratricide sanglante.

Breizh-info.com : Les années 60-70 ressemblent à un autre monde, notamment en terme sécuritaire (pas de vidéosurveillance, enquêtes plus compliquées à mener sans internet, etc.). Le Gang des Lyonnais aurait-il pu exister en 2021 ?

Richard Schittly : Probablement pas dans la forme qui a été la sienne. La téléphonie, l’ADN, les balises, la vidéo surveillance, rendraient impossible les actions du Gang des Lyonnais telles que développées dans les années 70. Ils avaient des techniques particulières qui font toute la spécificité de ce gang dans l’histoire du grand banditisme français. C’est un gang qui avait l’habitude de repérer des semaines, des mois à l’avance les endroits où ils allaient braquer. Ils allaient jusqu’en Alsace, Bretagne, Nord de la France, ce qui avait désorienté la Police.

A la faveur des enquêtes sur le Gang des Lyonnais, la PJ va se réformer : ce que l’on appelle aujourd’hui l’Office central de répression du banditisme, de répression des stups vient directement de cette époque-là. La Police judiciaire s’est rendu compte qu’elle avait à faire à des braqueurs qui tournaient dans toute la France et qui nécessitaient d’autres méthodes pour les traquer, les identifier. Cela a été une période charnière dans l’histoire de la Police.

Aujourd’hui je dirai que le mental et la perfection de ce gang s’appliqueraient peut-être d’une autre manière. Je serai curieux de voir comme ils se seraient adaptés à la technologie. Ils auraient inventé des procédés appliqués à des technologies nouvelles. Mais leur méthode, consistant à être patient, prudent, à avoir confiance entre membres du gang, a totalement disparu dans le banditisme actuel.

Breizh-info.com : Vous êtes chroniqueur judiciaire. Constatez-vous une grande différence entre les méthodes de l’époque, entre les voyous de l’époque que l’on juge ou décrit parfois plutôt sympathiques, pas trop violents, et ceux d’aujourd’hui ?

Richard Schittly : D’abord, je me méfie beaucoup des légendes un peu trop complaisantes à l’égard des voyous, les bandits d’honneur du temps ancien, qu’on cherche à magnifier. Je rappelle qu’au temps du Gang des Lyonnais, il y avait beaucoup de règlements de compte, cela a toujours été un monde violent. Ceux qui j’ai rencontré me disent que c’était un monde violent dont il était difficile de s’extraire, rattrapé par les uns, les autres, il fallait toujours être en mode survie. À ce niveau-là, ça n’a pas changé entre hier et aujourd’hui.

Mais à l’époque, la violence était plus endogène, à l’intérieur du monde des voyous et malfaiteurs. Aujourd’hui la violence est plus agressive, à tous les niveaux. Il y a moins de gangs structurés qui durent dans le temps, c’est une grande différence. Aujourd’hui, les gangs ont une durée courte, avec des méthodes très violentes. Le banditisme reflète son époque. Aujourd’hui, on est dans la société de consommation où l’on veut tout tout de suite. Les voyous d’aujourd’hui c’est un peu ça, et du coup, ils prennent peu de précautions, se font assez vite prendre, c’est cela aussi la différence avec le Gang des Lyonnais.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR
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