L’administration Biden lance une nouvelle chasse aux sorcières dans l’armée américaine.
Washington se dit déterminé à interdire « l’extrémisme » parmi les militaires. À cette fin, le Pentagone prendra une série de mesures, dont la première a déjà été annoncée : un « statu quo » dans toute l’armée. Lloyd Austin a ordonné à chaque département de l’armée de prendre une pause d’une journée pour organiser des événements de sensibilisation et de réflexion.
Au cours des 60 prochains jours, au moins un secteur des forces armées sera inactif chaque jour. D’autres mesures seront prises dans un avenir proche et des sanctions sévères sont prévues pour le personnel militaire qui appartient aux catégories jugées « extrémistes ».
En réalité, ce que l’administration Biden considère comme « extrémiste » se révèle avant tout être un positionnement pro Trump. En outre, cette décision pourrait avant tout aggraver les maux dénoncés (racisme, xénophobie), maux structurellement intégrés dans la société américaine, tant parmi les civils que parmi les militaires.
Biden ouvre ainsi la voie à un mécontentement collectif des militaires américains vis à vis de la nouvelle administration, ce qui peut entraîner plusieurs problèmes tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des États-Unis.
Pendant la période électorale, Joe Biden a clairement fait savoir que l’une des plus grandes préoccupations de son gouvernement serait de faire avancer les programmes progressistes et mondialistes, étant un candidat engagé dans la lutte contre les pensées dites extrémistes telles que le racisme, la xénophobie et la suprématie blanche. Les défenseurs de Biden accusent l’administration Trump d’encourager ces crimes dans la société américaine avec son discours nationaliste et anti-immigration basé sur le principe « American First ».
C’est pourquoi les partisans de Trump, comme les envahisseurs du Capitole, ont été communément qualifiés d' »extrémistes », sans la moindre preuve d’un racisme ou d’une xénophobie quelconque.
Lloyd Austin, le nouveau premier secrétaire à la défense des États-Unis, est le premier Afro-Américain à entrer en fonction et il s’est lancé dans la mise en oeuvre de programmes antiracistes. Cependant, donner la priorité à de telles directives pour la bonne organisation des forces armées peut être très préjudiciable à la fonction principale d’Austin, qui est de veiller au moral des forces de défense.
Le fait que de nombreux militaires soutiennent Trump incite l’administration Biden à répandre le discours selon lequel il y a une « infiltration raciste dans les forces armées« , alors qu’en fait, les problèmes peuvent être différents. Les raisons pour lesquelles les militaires ont tendance à soutenir Trump sont avant tout que les militaires voient en Trump un homme politique qui défend mieux leurs intérêts – de la même manière que les minorités ethniques, les journalistes, les avocats et plusieurs autres catégories sociales ont tendance à soutenir Biden…
Trump est soutenu par les militaires non seulement car il a fait la promotion des valeurs patriotiques historiquement défendues par les forces de défense, mais aussi parce qu’il a mis fin à des décennies d’une politique étrangère agressive et pro-guerre qui a toujours fait du tort aux militaires. En diminuant le nombre de combattants au Moyen-Orient, en faisant régresser les tensions avec les différentes nations et en promettant de mettre fin à la politique de « police mondiale », Trump a obtenu une énorme approbation parmi les militaires parce qu’il a simplement répondu aux demandes formulées par cette catégorie sociale pendant des décennies.
Même si les généraux américains font partie de l’Etat profond et cherchent à provoquer des guerres dans le monde entier, les soldats du rang, qui sont envoyés au combat, ne sont pas intéressés par cela, voulant profiter de la paix – ce que les États-Unis n’ont pas eu depuis longtemps. Et ce sont précisément ces militaires du rang qui soutiennent Trump, parmi lesquels certains n’ont pas hésité à descendre dans la rue pour protester et même à manifester dans l’enceinte du Capitole.
Que certains de ces militaires aident des idées racistes ou xénophobes, sans doute, mais tout comme chez les officiers, et finalement, dans toutes les strates de la société américaine. Le racisme est ancré aux États-Unis. Cette nation a été l’une des dernières au monde à abandonner la ségrégation raciale et les privilèges officiellement accordés aux Blancs.
Le racisme n’est pas un phénomène exclusivement militaire ou une caractéristique particulière des forces armées, mais un problème national aux racines historiques qui a peu de chances d’être inversé à court terme.
Lorsque Biden et Austin créent de telles mesures pour combattre le racisme et imposent des sanctions sévères spécifiquement contre les militaires du rang, la nouvelle administration ne fait qu’accroître la distance entre les intérêts du gouvernement et ceux des militaires, créant ainsi davantage de tensions, davantage de rivalités et générant plus de haine et d’instabilité. Pourquoi commencer à punir le racisme parmi les soldats de bas rang et non parmi les grands décideurs, les généraux et la classe dirigeante ? Ce sera la justification parfaite pour renforcer le discours de Trump en tant que « sauveur » de la classe ouvrière blanche, ce qui affaiblira Biden dans les premiers mois de son gouvernement.
Rien de bon ne peut sortir de la rivalité entre les militaires et le gouvernement. Les mobilisations, les manifestations violentes et les émeutes sont quelques exemples de ce qui se passe lorsque les intérêts de l’armée sont sapés. Biden, non content de tenter de reprendre une politique de guerre et d’intervention qui a tué des milliers de militaires américains depuis des décennies, veut désormais faire la chasse dans son armée aux « extrémistes » qui auraient besoin d’être « éduqués et sensibilisés ». Cela ne tend qu’à susciter de l’antipathie au moment même où Biden a le plus besoin du soutien des militaires, il n y a qu’à voir la militarisation extrême de la cérémonie d’investiture de Biden pour s’en rendre compte.
Pour Biden, « extrémiste » devient ce que « terroriste » a signifié dans le passé pour certains gouvernements républicains : un concept vague, qui peut s’appliquer à toute personne opposée aux décisions gouvernementales. Faire le choix d’ajouter les militaires dans cette catégorie est un choix terrible.
Lucas Leiroz, chercheur international à l’université fédérale de Rio de Janeiro (traduction du site Infobrics)
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